Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Réunion du 30 janvier 2020 à 10h30
Conventions avec le burkina faso — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Baptiste LemoyneJean-Baptiste Lemoyne :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, « la liberté a souvent, hélas ! le goût du sang versé ». C’est par ces mots que, le 2 décembre dernier, le Président de la République ouvrait l’éloge funèbre de treize soldats français morts dans le cadre de l’opération Barkhane.

Permettez-moi d’évoquer quelques instants le Sahel dans sa dimension sécuritaire avant d’en venir au texte qui nous réunit, puisque le Burkina Faso participe pleinement de cet espace parcouru d’un certain nombre de fragilités, traversé de crises et ayant bien des défis à relever.

Le sacrifice de ces héros a suscité l’émoi de toute la Nation. Il a rappelé combien la France prend sa part dans la lutte contre le terrorisme, sur son territoire comme par-delà ses frontières.

Cet événement tragique fut l’occasion pour nos concitoyens de témoigner une fois de plus de leur attachement à l’engagement remarquable de nos soldats dans leur combat pour la liberté. Cette reconnaissance de la patrie a été de nouveau exprimée par le Président de la République lorsqu’il s’est déplacé auprès des forces françaises en Côte d’Ivoire, basées à Port-Bouët et qui sécurisent cette voie sacrée, cet axe logistique de ravitaillement jusqu’à Gao.

En réunissant à Pau, le 13 janvier dernier, les pays du G5 Sahel, le Président de la République a réaffirmé l’engagement militaire de la France dans la région, annonçant l’envoi de renforts, ainsi que de moyens logistiques et de renseignement supplémentaires pour poursuivre cette lutte contre le terrorisme. La France espère que cet effort sera également mis à profit par nos alliés pour permettre le redéploiement de l’État, la reconstruction des appareils de sécurité.

En définitive, comme le rappelait le Président de la République en conclusion de ce sommet, l’objectif politique est la consolidation de l’État, le retour de l’État partout et dans toutes les régions.

Précisément, nous avons évoqué le retour de l’État malien à Kidal, la consolidation de l’État burkinabé. Cet objectif politique est indispensable et complémentaire de l’objectif militaire.

Si l’effort et la coopération militaires sont essentiels à la réaffirmation de la présence des États, la mise en place d’une coopération judiciaire pénale moderne et efficace entre la France et ses partenaires constitue un objectif majeur dans la stratégie française de lutte contre le terrorisme dans la région.

En matière de coopération judiciaire pénale, la France et le Burkina Faso sont actuellement liés par l’accord de coopération en matière de justice signé en 1961 – il a donc cinquante-neuf ans.

Depuis 2014, la France a adressé vingt demandes d’entraide judiciaire en matière pénale au Burkina Faso, principalement pour des faits de terrorisme et d’atteinte aux personnes. La multiplication des attaques terroristes au Burkina Faso, à l’occasion desquelles des ressortissants français ont été tués ou blessés, nécessite en effet la coopération des autorités burkinabées pour les besoins des procédures judiciaires en France.

Au moment où je prononce ces mots, j’ai une pensée toute particulière pour Thierry Gouy, notre compatriote décédé dans l’attaque contre un café-restaurant à Ouagadougou, dans la nuit du 13 au 14 août 2017 et pour toute sa famille.

Les négociations engagées avec le Burkina Faso font suite aux conclusions d’un groupe de travail interministériel piloté par le ministère de la justice français et consacré à l’entraide pénale en matière de lutte contre le terrorisme avec des États du continent africain identifiés comme prioritaires. Ces travaux remontent au dernier trimestre de 2016. Des négociations analogues ont été menées avec le Niger et le Mali.

Les deux conventions qui font l’objet du présent projet de loi ont pour objectif de moderniser le cadre juridique quelque peu obsolète de la coopération judiciaire en matière pénale et de répondre efficacement aux défis posés par la lutte contre la menace terroriste et la criminalité organisée.

Depuis 2014, les autorités burkinabées ont adressé à la France un plus faible nombre de demandes : quatre demandes d’entraide et deux demandes d’extradition. Toutefois, elles sont d’une importance particulière en raison des faits commis. Elles illustrent également le besoin d’une coopération bilatérale efficace entre nos deux pays.

Ces deux conventions prévoient le principe d’une coopération large et efficace.

La convention d’entraide judiciaire crée la possibilité de recourir aux techniques spéciales d’enquête : auditions par vidéoconférence, demandes d’informations en matière bancaire, saisies et confiscations d’avoirs criminels, livraisons surveillées, infiltrations et interceptions de télécommunications. Elle organise de manière claire les modalités de communication et de transmission des demandes, notamment dans les cas les plus urgents. J’ajoute que les échanges sont renforcés pour assurer une exécution plus efficace et plus rapide des demandes d’entraide par l’institution de mécanismes de consultation à différentes étapes de l’exécution des demandes.

En matière d’extradition, la lutte contre la criminalité et l’impunité sera renforcée grâce à des stipulations encadrant très précisément et au plus près des besoins opérationnels la coopération bilatérale. Dans cet esprit, les modalités de l’arrestation provisoire des personnes recherchées pour éviter leur fuite et celles des communications entre les autorités compétentes des deux États méritent d’être soulignées.

Les stipulations de ces deux textes, qui s’inspirent largement des mécanismes standards de coopération judiciaire du Conseil de l’Europe, sont conformes aux plus récents accords signés par la France et à nos engagements européens et internationaux.

À ce titre, conformément aux règles classiques du droit de l’extradition, la convention prévoit plusieurs motifs de refus, notamment lorsque l’État requis considère que la personne recherchée est réclamée pour une infraction politique ou de nature exclusivement militaire, ou encore lorsqu’elle a des raisons sérieuses de croire que l’extradition a été demandée aux fins de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d’opinion politique.

Cette nouvelle convention préserve le principe de refus d’extradition des nationaux tout comme elle prévoit un tel refus en cas de prescription de l’action publique ou de la peine, et également en application du principe non bis in idem.

Afin d’assurer le respect de la Constitution de 1958, la convention permet à la France de refuser d’extrader une personne passible de la peine capitale, sauf à ce que le Burkina Faso donne des assurances que notre pays jugera suffisantes. C’est donc à cette aune que nous nous prononcerons. Sur ce point, il doit être relevé que le nouveau code pénal burkinabé, adopté le 31 mai 2018, prévoit la suppression de la peine capitale, qui reste cependant en vigueur dans certaines lois spéciales.

Ce mécanisme est également applicable aux peines contraires à l’ordre public français.

Par ailleurs, et s’agissant de l’exécution d’une demande d’entraide aux fins d’enquête, elle peut être refusée si elle est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l’ordre public ou à d’autres intérêts essentiels de la France.

Enfin, les deux conventions instituent des garanties pour la protection des données à caractère personnel transmises sur leur fondement, conformément aux engagements européens de la France.

Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les grands équilibres, les grandes lignes du projet de loi et des conventions qui sont soumis à votre appréciation ce matin. Je ne doute pas que M. le rapporteur, dans quelques instants, approfondira, avec la sagesse qui est la sienne, l’ensemble de ces éléments.

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