Intervention de Patricia Schillinger

Réunion du 10 février 2011 à 14h45
Adaptation au droit de l'union européenne en matière de santé de travail et de communications électroniques — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Patricia SchillingerPatricia Schillinger :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques.

Comme d’habitude lorsqu’il s’agit de transposition de directives, le Gouvernement utilise la procédure accélérée et avance la nécessité d’adopter au plus vite le texte, sous peine de sanctions financières. Or c’est en raison de son inaction que la France affiche aujourd’hui un retard important dans la transposition de directives ; comme à chaque fois, c’est dans l’urgence que nous examinons des textes « fourre-tout », qui nuisent à la lisibilité et à la clarté des débats.

Il s’agit donc ici de transposer en droit interne des textes européens, dont la directive Services, dite Bolkestein, très controversée et que nous avons été nombreux à dénoncer. En effet, cette entreprise de simplification des législations nationales a surtout pour but la libéralisation et la dérégulation des services au sens large. Nous serons donc conduits à proposer la suppression de nombreux articles de ce projet de loi.

Mes chers collègues, je souhaite appeler votre attention sur la manière dont procède le Gouvernement.

Contrairement à la majorité des États, qui ont opté pour l’adoption d’une loi « horizontale », c’est-à-dire d’une loi-cadre, d’une loi « globale », la France transpose cette directive européenne secteur par secteur. Parmi les très nombreux textes qui reprennent des éléments de la directive Services, on peut notamment citer la loi de modernisation de l’économie, la loi de développement et de modernisation des services touristiques, la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST ou la loi relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services, sans oublier la réforme du statut de la société privée européenne.

Le gouvernement français a décidé de ne pas faire une transposition globale pour ne pas relancer le débat sur la libéralisation des services dans leur ensemble. Il nous présente donc une transposition compliquée, quasiment illisible et qui n’a fait l’objet d’aucune concertation. Ainsi, c’est dans l’opacité que se poursuit la révision des textes nationaux. Comme l’indiquait notre ancien collègue Hubert Haenel cité dans le rapport d’information de M. Bizet : « Les modalités de transposition des directives posent un problème de contrôle parlementaire et donc de démocratie. »

Une loi-cadre aurait été nécessaire, car la méthode retenue par le Gouvernement, qui consiste à transposer ce texte par morceaux, constitue un déni de démocratie. On évite le grand débat et on se retrouve avec des textes « fourre-tout », comme celui qui nous est présenté aujourd’hui.

Il est surprenant de voir que le Gouvernement ne propose ni débat politique ni campagne d’information générale, alors que sont en jeu des sujets aussi importants que la santé, le travail et les communications électroniques. Oui, ce sont des sujets essentiels et qui nous concernent tous ! N’oublions pas en effet que cette directive inclut les services fournis aux entreprises et aux consommateurs, les services publics, les services de santé et les services sociaux.

D’une manière générale, presque toutes les directives que vous transposez sont moins protectrices pour nos concitoyens que ne l’est le droit national et elles ne servent pas l’intérêt général. L’Europe devrait protéger. Or on s’aperçoit que le droit communautaire s’impose, déréglemente, prive de protection les citoyens.

Il est difficile de s’y retrouver dans ce texte. On mélange différents sujets, et il est donc impossible d’avoir un débat cohérent, une vue d’ensemble. Cependant, une tendance revient régulièrement : la déréglementation dans tous les secteurs. Cette déréglementation, dont l’objectif théorique est de favoriser la concurrence sur les marchés, peut, comme vous le savez, nuire à l’intérêt général au profit de certaines entreprises, mais elle est surtout cause d’instabilité économique.

À l’article 6 de ce texte, au nom de la libre prestation de services, la transposition de la directive créera une inégalité de traitement entre les entrepreneurs de spectacles établis en France, qui passeront toujours par un régime d’autorisation, et les entrepreneurs de spectacles européens établis hors de France, qui auront seulement à se soumettre à un régime déclaratif. On assiste ici à une concurrence déloyale et, je le répète, on introduit une inégalité de traitement. Ce n’est pas raisonnable ! Sachez en effet que la licence d’entrepreneur de spectacles sert avant tout à empêcher le travail illégal dans le spectacle vivant.

Au nom de la libre prestation de services, l’article 3 vise à modifier le régime d’habilitation des évaluations des établissements sociaux et médico-sociaux pour permettre à des prestataires européens d’exercer de manière temporaire et occasionnelle en France. Ainsi, les organismes établis dans un autre État membre n’auront pas besoin de fournir une habilitation, une simple déclaration d’activité suffira. Comment peut-on être assuré que les organismes d’évaluation des autres États membres affichent le même degré d’exigence que la législation et la réglementation françaises en direction de ces publics fragiles ?

Autre exemple : en matière de reconnaissance des qualifications professionnelles pour les assistants de service social, la déréglementation assouplit, là encore, le régime de qualification. La transposition de la directive abaisse donc le niveau de qualification requis pour exercer cette profession, alors même que ce métier a beaucoup évolué et demande de plus en plus de compétences.

Désormais, tout demandeur ressortissant d’un État membre, détenteur d’un titre de formation, sera dispensé de justifier de deux années d’expérience en tant qu’assistant de service social. Un certain nombre de garanties jusqu’alors exigées ne le seront plus, ce qui fait évidemment peser un risque non négligeable sur les publics pris en charge par les assistants de service social.

La déréglementation présente dans cet article ainsi qu’à l’article 2 relatif aux dispositifs médicaux se fait au détriment de la sécurité des patients. D’une certaine manière, elle organise le désengagement et la déresponsabilisation de l’État.

Concernant la directive Services, on peut dire : sorti par la porte, Bolkestein revient par la fenêtre ! En effet, le principe du pays d’origine, sorti par la grande porte, revient par la fenêtre.

Force est de constater qu’il existe aujourd’hui un grand décalage entre la vision d’une économie intégrée pour l’Union européenne et la réalité vécue par les citoyens européens et les prestataires de services. Triste constat de voir que l’Union européenne « ultralibérale » est devenue une destructrice de la protection sociale.

Le désenchantement des citoyens à l’égard de l’Europe va croissant. On ne peut que les comprendre. Comment convaincre de l’intérêt de l’Europe lorsque celle-ci, sous prétexte de garantir une meilleure concurrence, précarise les travailleurs et les entreprises ?

Tant que les citoyens entendront les mots déréglementation, libéralisation des marchés, restructuration, délocalisation, concurrence accrue, emplois précaires, licenciements, démantèlement des services publics, l’Union européenne ne restera qu’une chimère. D’ailleurs, l’OMC a fait le constat suivant : la libération totale des échanges commerciaux n’a pas empêché la crise financière mondiale ; au contraire, elle semble l’avoir aggravée, notamment en privant les pays de leur protection douanière qui leur permettait de corriger les imperfections du marché de l’import-export.

Les citoyens européens se désintéresseront de l’Europe tant qu’ils auront le sentiment que celle-ci ne les protège pas et que leurs droits sociaux sont menacés. En effet, ils ne trouvent pas leur place dans cette Europe ultralibérale. Et ce texte ne les protège pas sur le plan de la santé et du travail !

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, afin que cette Europe puisse être acceptée, nous devons parallèlement construire une Europe sociale. Celle-ci est indispensable pour corriger les injustices de l’économie de marché, dont le but ultime est la recherche absolue du profit, lequel profit se fait la plupart du temps au détriment des intérêts des citoyens. Il est de notre devoir, en tant que parlementaires, de protéger les citoyens !

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