Intervention de Elisabeth Doineau

Réunion du 3 mars 2020 à 14h30
Congé de deuil pour le décès d'un enfant — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Elisabeth DoineauElisabeth Doineau :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de saluer, moi aussi, toutes les associations travaillant au-delà de ces murs, qui ont défendu cette proposition de loi à leur manière.

Rien n’est pire pour des parents que de perdre un enfant. La proposition de loi de notre collègue député Guy Bricout, qui est présent dans nos tribunes et que je salue, faisait écho à l’histoire de Pascaline, une maman à jamais marquée par un tel drame.

Notre collègue pensait – on peut le comprendre – que sa proposition de loi tendant à porter de cinq à douze jours le congé prévu par le code du travail en cas de décès d’un enfant mineur ferait l’unanimité à l’Assemblée nationale. Cela n’a pas été le cas, ce qui a provoqué une indignation légitime des parents concernés et de l’opinion en général.

Dès lors, chacun a reconnu ses responsabilités. Les ministères concernés ont lancé de nouvelles auditions afin de construire une réponse satisfaisante et l’on a rendu possible l’inscription du texte à l’ordre du jour du Sénat, dans un délai très court ; notons une célérité inhabituelle pour un texte qui n’émane pas des rangs de la majorité ! Néanmoins, réjouissons-nous, ce sujet méritait une ambition commune, transpartisane et unanime.

Permettez-moi de le souligner : cet épisode constitue une nouvelle illustration de l’importance du bicamérisme et de l’utilité du Sénat. La commission des affaires sociales de la Haute Assemblée a ainsi abouti, avec l’accord du Gouvernement, à un texte permettant non seulement d’instituer de nouveaux droits en cas de décès d’un enfant, mais encore d’améliorer l’accompagnement des familles endeuillées.

Je l’ai indiqué, le texte initial de notre collègue député Guy Bricout consistait en une proposition simple ; contrairement à ce que j’ai pu entendre ou lire, celle-ci n’était pas mal ficelée, elle était limitée par l’article 40 de la Constitution.

Le texte transmis par l’Assemblée nationale au terme de ses travaux comportait deux articles.

Plutôt que d’allonger la durée du congé pour décès d’un enfant, l’article 1er proposait d’autoriser le salarié à prendre, à la suite du décès d’un enfant, le solde de ses congés annuels et de ses jours de réduction du temps de travail (RTT), sans que son employeur puisse s’y opposer, à la condition qu’un accord de branche ou d’entreprise le prévoie.

Une telle disposition n’avait qu’une portée indicative, puisqu’un tel accord collectif peut actuellement être conclu sans qu’une habilitation législative soit nécessaire. En outre, cette proposition posait des difficultés juridiques non négligeables, par exemple dans les entreprises dans lesquelles les congés annuels sont imposés. J’ajoute que cette disposition aurait été sans effet pour les salariés perdant un enfant et ayant déjà pris tous leurs congés annuels.

L’article 2 étendait, aux parents endeuillés, le dispositif, instauré par la loi du 9 mai 2014 permettant le don de jours de repos à un parent d’un enfant gravement malade, dite loi Mathys, de don de jours de congé entre salariés d’une entreprise en faveur des parents d’un enfant malade ou handicapé. Si l’intention était louable, un dispositif de don de jours peut difficilement être mobilisé immédiatement après le décès d’un enfant et il exige une démarche, au succès incertain, de la part du salarié concerné. Surtout, un tel dispositif ne peut bénéficier de la même manière à tous les salariés, selon la taille de leur entreprise.

Le texte qu’il nous était donné d’examiner ne répondait donc que très marginalement aux besoins des familles et, malgré un dispositif juridique plus complexe, il était en deçà de l’ambition initiale de la proposition de loi.

Je dois ici faire justice au Gouvernement en reconnaissant qu’il a bien pris conscience de cette insuffisance et que la ministre du travail comme le secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance ont souhaité contribuer utilement au travail de la commission des affaires sociales, afin de sortir par le haut de la polémique née à l’Assemblée nationale.

Le texte issu des travaux de la commission, complété par ceux de la commission des lois, dont je salue le rapporteur pour avis, Catherine Di Folco, comprend désormais neuf articles, issus d’initiatives de sénateurs de différents groupes, en coopération avec le Gouvernement, lequel a pu lever l’irrecevabilité financière.

Au travers de l’article 1er, la commission est revenue à l’esprit initial du texte, tout en allant plus loin. Tout travailleur, salarié ou indépendant, qui perd un enfant âgé de moins de 25 ans aurait ainsi droit à quinze jours de congé. Pour les salariés, les sept premiers jours ouvrés – les cinq jours actuellement prévus par le code du travail augmentés de deux – seraient rémunérés par l’employeur ; les huit jours suivants pourraient être pris dans l’année suivant le décès, de manière fractionnée, et ils feraient l’objet d’une indemnité journalière de la sécurité sociale, complétée par l’employeur à hauteur du salaire. Seul le nom de « congé de répit » n’a pas fait l’unanimité au sein de la commission ; d’autres appellations vous seront proposées au cours du débat. Les travailleurs indépendants auraient, quant à eux, droit à des indemnités journalières pendant quinze jours.

Ce droit serait ouvert pour le décès d’un enfant du travailleur concerné jusqu’à 25 ans. Certains auraient préféré inclure les enfants à charge sans lien de filiation, afin de tenir compte des familles recomposées, mais le Gouvernement en a arbitré différemment.

L’article 1er bis, issu d’un amendement de la commission des lois, instaure un dispositif équivalent pour les fonctionnaires ; je laisserai le rapporteur pour avis de celle-ci le présenter.

À l’article 2, nous avons précisé le dispositif de don de jours de congé, afin notamment de définir la période pendant laquelle il peut être mobilisé : une année. Un amendement de la commission des lois a prévu son extension aux fonctionnaires.

L’article 3 est issu de travaux menés par notre collègue Catherine Deroche. Il propose de maintenir plusieurs prestations familiales pendant une période déterminée par décret. Il est évident que les dépenses à la charge des parents ne se réduisent pas brusquement avec le décès d’un enfant. Ce maintien, pendant une période qui devrait être de trois mois, doit permettre de ne pas ajouter des difficultés financières à la douleur considérable des parents.

L’article 4, proposé également par Catherine Deroche, crée une allocation forfaitaire versée automatiquement et destinée à aider au paiement des frais d’obsèques. Le montant de cette allocation, fixé par décret, sera modulé en fonction du revenu du foyer et pourra être complété par les caisses au titre de leur action sociale. Je laisserai le Gouvernement préciser son intention, les associations étant un peu déçues.

L’article 5, issu d’un amendement de notre collègue Martin Lévrier, propose une mesure similaire pour ce qui concerne le revenu de solidarité active et la prime d’activité.

L’article 6, que nous avons également adopté sur proposition de Martin Lévrier, prévoit une expérimentation portant sur la prise en charge de la souffrance psychique de la famille d’un enfant décédé. Il me semble que cette mesure est de nature à répondre à la demande forte d’accompagnement médico-social et psychologique formulée par les associations de parents.

De mon côté, j’ai souhaité compléter la proposition de loi afin de tenir compte des demandes exprimées par les associations que j’ai rencontrées. L’article 7 introduit ainsi une protection contre le licenciement des salariés ayant perdu un enfant, pendant une durée de treize semaines, à l’instar de ce dont bénéficient les jeunes mères. Les organisations patronales ne sont pas opposées à cette mesure.

Enfin, l’article 8 supprime le délai de carence pour le premier arrêt maladie qui suit le décès d’un enfant, et ce pour la même durée de treize semaines. Le choc représenté par la perte d’un enfant peut rendre la reprise du travail impossible, même après une période de congé. De nombreux salariés sont alors mis en arrêt de travail par leur médecin. Imposer des jours de carence avant le versement d’indemnités journalières en pareil cas paraît inhumain.

Outre trois amendements rédactionnels ou de coordination, je ne vous proposerai aujourd’hui qu’un amendement, tendant à modifier l’intitulé de cette loi, qui sera peut-être connue sous le nom de « loi Bricout », afin de le mettre en cohérence avec son contenu.

Il convient de rester modeste : la loi ne peut pas tout. Les associations que nous avons, les uns et les autres, rencontrées avancent la nécessité de mettre en place un réel parcours de deuil pour accompagner les familles. Ce parcours doit être personnalisé, car chacun ne vit pas la douleur de la même manière. Il pourrait être mis en œuvre de manière partenariale par les CAF, les unions départementales des associations familiales (UDAF) et le tissu associatif.

Les associations ont aussi insisté sur la nécessité de former les communautés éducatives, les collègues de travail, les entreprises ou encore les professionnels de santé. Il reviendra aux deux ministères de lancer concrètement ces actions.

En guise de conclusion, je veux l’indiquer, je me réjouis que, d’une polémique, naisse l’opportunité d’avancer de manière concertée et consensuelle sur un sujet difficile et – M. le secrétaire d’État le disait – souvent tabou ; je forme le vœu que nos débats de cet après-midi soient empreints de l’esprit de concorde qui a animé la commission des affaires sociales.

Je veux aussi vous faire un clin d’œil, car Guy Bricout avait terminé la défense de sa proposition de loi en commission en citant le poème « Demain, dès l’aube », de Victor Hugo. Or il se trouve que Victor Hugo siégeait au Sénat et que sa voix résonne encore dans cet hémicycle…

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