Intervention de François-Noël Buffet

Réunion du 4 mai 2020 à 14h30
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons ce soir pour examiner un texte important, qui, rappelons-le, a été déposé seulement samedi dernier par le Gouvernement sur le bureau du Sénat, soit, pour ainsi dire, il y a quelques heures. Il s’agit d’un texte qui vise à préparer le déconfinement, d’où la nécessité d’être précis dès ce soir sur ce que nous allons faire. Je salue, comme Philippe Mouiller, le personnel soignant, mais aussi ceux qui assurent, depuis le début, les missions des services essentiels.

Quel tableau du déconfinement ce texte dessine-t-il ? Une peinture un peu incomplète, parfois même problématique. Commençons par les absences.

D’abord, nombre de mesures de déconfinement relèvent du domaine réglementaire. Nous n’aurons donc pas à les examiner, mais, soyons-en certains, la mission de suivi de la commission des lois restera vigilante pour que se poursuive le bon exercice de la fonction de contrôle du Parlement, même en cette période difficile.

Ensuite, il y avait quelques silences dans le projet de loi initial. D’une part, le système d’information mentionné à l’article 6 n’est pas la fameuse application StopCovid. Cette application avait pourtant été présentée, au cours des dernières semaines, comme l’outil privilégié du déconfinement. D’autre part – le Gouvernement comprendra notre attention particulière sur ce sujet –, se pose la question de la responsabilité des maires et, au-delà, des élus, face à ce déconfinement. Chacun le sait ici, de nombreuses inquiétudes remontent du terrain. Les élus locaux ont souvent participé, en première ligne, comme beaucoup d’autres, à la réponse publique face à l’épidémie, alors même que, parfois, ils n’avaient pas été réélus lors des dernières élections, voire qu’ils souhaitaient se retirer de la vie publique.

Maintenant, au moment de rouvrir certains services essentiels, dont les écoles, les élus craignent de voir leur responsabilité engagée si des infections venaient à se produire, pour une décision qui, fondamentalement, n’est pas la leur. Cette responsabilité résulte de la coexistence, en la personne du maire, d’un élu local et d’un représentant de l’État dans sa commune.

Pourtant, le texte initial était muet sur cette question cruciale ; il ne présentait guère de proposition pour remédier à ce défaut. Nous espérons que, pendant les débats qui s’ouvrent, le Gouvernement entendra la voix des territoires et du Sénat sur ce sujet et ne prendra pas le risque d’abandonner en rase campagne les élus les plus dévoués de notre République. Ce matin, la commission des lois a fait, sur l’initiative de son président-rapporteur, des propositions à ce sujet.

Venons-en à ce qui figure dans le texte. Plusieurs des dispositions ne soulèvent guère de discussion ; nous n’avons pas de remarque particulière à formuler sur le prolongement de l’état d’urgence sanitaire, sur l’élargissement, à certains agents, des pouvoirs de verbalisation ou encore sur les éléments relatifs à nos collectivités d’outre-mer.

Les dispositions du texte relatives à la mise en quarantaine et à l’isolement des personnes entrant sur le territoire national présentent des améliorations significatives par rapport à ce qui était envisagé avant l’avis du Conseil d’État. Le dispositif précédent contenait en effet un risque réel d’atteinte aux libertés constitutionnelles et conventionnellement garanties. Il est heureux que le Gouvernement ait doté le texte de garanties plus solides avant la discussion parlementaire. Parmi celles-ci, nous tenons à relever tout particulièrement le rôle renforcé du juge des libertés et de la détention.

Évidemment, pour rendre effectives ces garanties, encore faut-il permettre au juge de remplir son rôle dans des conditions convenables. Petite digression : la commission des lois, en particulier Patrick Kanner et votre serviteur, qui travaille sur la situation de la justice, constate que celle-ci est en grande difficulté dans la période actuelle ; si nous voulons renforcer de nouveau le rôle du juge des libertés dans les circonstances prochaines, il faudra vraiment donner à ce dernier les moyens d’agir dans de bonnes conditions.

J’en reviens au projet de loi, car un sujet doit encore être évoqué, celui du système d’information prévu à l’article 6.

Nous avons lu les préconisations du comité de scientifiques et l’avis du Conseil d’État ; nous comprenons l’intérêt de procéder à des rassemblements de données pour permettre une lutte plus efficace contre l’épidémie. Néanmoins, la création de bases de données centralisées et interconnectées – étrangement, on parle, au sein de cet article, de « système » et de « systèmes », tant au singulier qu’au pluriel – suscite des interrogations, y compris pour les bases créées avec les meilleures intentions. Une fois ces données agrégées, même si des précautions sont prises à l’égard des personnes pouvant les consulter, des accidents ou des piratages demeurent possibles. Nous n’écartons pas le principe de la mise en place de ce système, surtout si c’est pour sauver des vies, mais le recours à l’ordonnance ou au décret pour son calibrage nous inquiète ; comme souvent, le diable se cache dans les détails…

Enfin, nous ne pouvons nous empêcher de relever que, une fois de plus, nous travaillons dans l’urgence. C’était parfaitement compréhensible, compte tenu des circonstances, pour la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Le Sénat était conscient de la situation ; nous nous étions donc astreints à organiser le travail pour permettre une adoption aussi rapide que possible des mesures dont le pays avait besoin immédiatement, en ajustant ce qui pouvait l’être et en faisant usage de certains raccourcis procéduraux exceptionnels. Toutefois, mon collègue Philippe Mouiller l’a demandé, était-il vraiment impératif de travailler de cette manière cette fois-ci ? N’aurait-il pas été possible, pour le Gouvernement, de mieux anticiper ces travaux dès la semaine dernière, afin d’assurer une bonne information et une préparation correcte des chambres ?

Ce texte est naturellement loin de régler toutes les difficultés et toutes les questions qui se posent ; des problèmes entiers demeurent : l’application StopCovid, la responsabilité des élus locaux, en cours de discussion, celle des chefs d’entreprise ou encore les suites des élections municipales ou la tenue des élections consulaires. Nous espérons que les débats porteront sur ces sujets et apporteront une partie des solutions. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains – cela a déjà été dit – réserve son vote à l’issue de la discussion parlementaire.

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