Habituellement, quand un grand nombre d’amendements sont en discussion commune, j’en trouve toujours certains tellement intéressants que je parviens, au nom de la commission, à leur donner un avis favorable. Ce n’est pas le cas cette fois-ci.
Je pourrais me dispenser de toute autre explication en vous renvoyant simplement au texte que la commission a adopté ce matin et en tentant devant vous de le justifier. C’est d’ailleurs ce que je vais faire dans un premier temps.
Ce matin, nous avons fait deux choses.
D’abord, nous avons considéré que, si le Gouvernement voulait reconduire une nouvelle fois l’état d’urgence, il faudrait qu’il revienne devant le Parlement avant le 23 juillet prochain. Nous avons pensé que ce serait la bonne mesure de lui laisser deux mois après le commencement du déconfinement, lundi prochain, avant de procéder avec lui à l’évaluation de l’efficacité des mesures prises, si aucun événement ne survient d’ici là qui justifie que ce bilan doive être fait plus tôt.
Nous avons donc adopté la limite du 10 juillet prochain, avant laquelle le Gouvernement devra s’être, en quelque sorte, réassuré devant la représentation nationale, dans toute sa diversité, sur la prolongation de l’état d’urgence. Je n’exclus pas qu’il soit amené à le faire avant. Au reste, nous préférons, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, que vous le fassiez tôt plutôt que tard – tout en vous laissant suffisamment de temps pour que l’évaluation puisse être pertinente.
Ensuite, nous avons constaté que nous entrerions, lundi prochain, dans une période très particulière. Jusqu’ici, une règle simple s’impose à tous les Français : le confinement, avec possibilité de sortir de chez soi pour des raisons dûment justifiées, au moyen d’une attestation remplie par chacun ; ce n’est pas facile, mais c’est simple. À partir de la semaine prochaine, il faudra prendre de multiples décisions d’organisation sur le fonctionnement des écoles, des entreprises, des administrations. Le Gouvernement demandera à chacun de prendre ses responsabilités, comme il est juste.
Reste que, dans des circonstances aussi exceptionnelles, les personnes qui seront amenées à prendre leurs responsabilités doivent être protégées. Elles prendront, bien sûr, un risque : nous ne pouvons jamais écarter la mise en cause de la responsabilité pénale d’une personne qui aurait intentionnellement provoqué une contamination, ni admettre qu’on exonère de sa responsabilité pénale une personne qui aurait commis, par violation délibérée d’une obligation particulière de prudence imposée par les lois et les règlements, un acte ayant entraîné une contamination.
La règle que nous avons fixée est, somme toute, assez simple : ce n’est pas une exonération totale de responsabilité pénale, mais le moyen d’éviter que le juge pénal puisse trouver dans la loi du 10 juillet 2000, d’initiative sénatoriale, un fondement pour attraire la responsabilité pénale d’une personne – par exemple, un maire –, pour le motif qu’elle aurait commis une faute caractérisée parfaitement indéfinie dans le code pénal, mais que le juge invoquerait pour rechercher la responsabilité pénale de cette personne qui, du fait de la politique du Gouvernement, aurait pris un risque.
Nous estimons qu’il suffit largement, pour préserver la possibilité de l’action pénale, de considérer que l’intention délibérée de provoquer une contamination ou la violation de règles de prudence particulières prévues par la loi et les règlements permettrait évidemment de condamner une personne ayant commis ce type de délits. C’est un dispositif équilibré !
Par égard pour nos collègues, j’aimerais à présent entrer dans le détail des amendements.
Notre travail de ce matin s’est inspiré des réflexions menées par les uns et les autres, les unes et les autres. Je rends hommage particulièrement à notre collègue Hervé Maurey : inspiré par de nombreuses remarques des maires du département de l’Eure, qu’il a à cœur de défendre, il a pris très tôt des initiatives pour faire avancer la réflexion. C’est en tenant compte de ses réflexions, mais aussi d’autres, que nous sommes arrivés à un équilibre qui me paraît bon.
C’est pourquoi, mes chers collègues, vous ne serez pas étonnés que je ne sois pas favorable aux amendements n° 135 et 143 rectifié, déposés par Mme Assassi au nom du groupe qu’elle préside. Le premier s’oppose à la prolongation de l’état d’urgence et à un régime définissant de manière plus précise l’engagement de la responsabilité pénale pendant l’état d’urgence, à rebours de la position de la commission. Quant au second, très bien présenté par Mme Cukierman, il est trop restrictif, car il se limite au régime de responsabilité des maires, qui ne sont pas les seuls à rencontrer des difficultés.
Les amendements n° 5 rectifié bis, 62, 74, 3 rectifié ter et 164 portent tous sur les délais. Sur cette question, cent fleurs se sont épanouies… Chacun, bien sûr, peut avoir son idée. Pour ma part, j’ai trouvé que le 10 mai comme point de départ d’un délai de deux mois était une bonne formule ; je ne vais pas vous dire ce soir que j’ai changé d’avis parce que certains proposent le 30 juin plutôt que le 10 juillet, ou autre chose encore. Mes chers collègues, vous aurez à trancher ce grave débat, mais la position de la commission, si elle n’est peut-être pas idéale, est assez pratique et repose sur des arguments.
Mme Guillotin, à travers son amendement n° 7 rectifié bis, souhaite inscrire dans la loi les règles de distanciation sociale. Si nous devions le faire, combien d’autres dispositions ne devrions-nous pas aussi introduire dans la loi ? Il y a un moment où c’est trop… D’autant qu’on nous reproche, à juste titre, de faire des lois trop bavardes. Laissons à chaque échelon de responsabilité ses propres attributions.
Le plus important, c’est nous qui l’écrivons. Les règles dont il s’agit sont très importantes, mais nous ne sommes pas médecins, et le Gouvernement peut fort bien, dans le cadre des pouvoirs que nous lui attribuons, régler ces problèmes d’organisation de la vie pendant le déconfinement, en particulier de respect des règles, très importantes, de distanciation.
Je découvre un amendement n° 194 rectifié du Gouvernement… Madame la garde des sceaux, je vous dirai – mais vous y verrez peut-être de l’ironie – que cet amendement m’a peiné. Oui, peiné, parce que voilà plusieurs semaines que nous travaillons sur cette question, très importante, car nous ne pouvons pas déconfiner sans protéger l’exercice des responsabilités qui seront prises par de nombreux Français, alors qu’elles les dépassent. Le Gouvernement le sait très bien, et depuis longtemps – en vérité, depuis plus longtemps que nous ne connaissons ses intentions de créer un système d’information, qui fait l’objet de l’article 6 du présent projet de loi.
Vous écrivez dans l’objet de cet amendement qu’il serait difficile de mesurer dans l’urgence les conséquences d’une telle restriction de la responsabilité pénale. Mettez-vous donc un peu à notre place… Nous avons découvert samedi après-midi un projet de loi dont je ne veux pas exagérer l’importance, mais qui, tout de même, comporte des dispositions mettant en cause le respect de la vie privée, le secret médical et un certain nombre d’autres garanties et libertés. Or vous ne nous avez pas entendus dire qu’il nous était difficile de nous prononcer, parce que nous faisons notre devoir. Nous préférons, bien sûr, avoir du temps, comme vous préférez en avoir. Ne disqualifiez donc pas notre travail au motif que vous n’auriez pas eu le temps de réfléchir, alors que l’exécutif, jusqu’au plus haut niveau de l’État, est prévenu de notre intention depuis plusieurs semaines.
Vous dites aussi que vous avez de l’inquiétude. Remarquez, je comprends : moi aussi, en ce moment, j’ai beaucoup d’inquiétudes… §Nous limitons, dites-vous, cette disposition pénale aux faits commis pendant l’état d’urgence sanitaire. Mais, madame la garde des sceaux, nous l’avons fait exprès ! C’est justement parce qu’il y a l’état d’urgence sanitaire, une situation exceptionnelle, qu’il nous faut, pour la traiter, prendre des mesures exceptionnelles – et d’ailleurs temporaires.
Vous nous expliquez ensuite qu’il y aurait un risque de rupture d’égalité, parce que la responsabilité pénale de quelqu’un ne serait pas engagée en application des dispositions que nous prenons dans les mêmes conditions qu’en application des dispositions de droit commun. Madame la garde des sceaux, il n’y a pas d’inégalité à traiter différemment des situations différentes ! Et si l’état d’urgence sanitaire n’est pas une situation différente justifiant l’application d’un droit différent – à condition qu’il ne porte atteinte à aucun principe fondamental… En réalité, nous appliquons le principe d’égalité en mettant en œuvre des règles différentes dans des situations différentes.
Voilà pourquoi j’ai eu de la peine en lisant non seulement le dispositif de votre amendement, mais aussi son objet. Je n’émettrai pas un avis défavorable ; cet amendement, je vous demanderai, tout simplement, de le retirer.