Intervention de Philippe Bas

Réunion du 4 mai 2020 à 22h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Article 2

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Nous avons eu sur ce sujet avec la commission des affaires sociales et son président un débat très intéressant, qui a même partagé la commission des lois et qui mérite à coup sûr d’être porté devant notre assemblée.

À l’origine, le Gouvernement avait prévu d’autoriser la mise en œuvre de mesures de quarantaine ou d’isolement non pas pour des personnes arrivant en France, mais pour des personnes qui ne respecteraient pas les prescriptions qui leur auraient été faites de rester chez elles pendant une quatorzaine pour éviter de faire courir à autrui le risque d’une contamination, sans que leur statut de porteurs du virus soit établi. Le Gouvernement a renoncé à cette mesure.

La commission des affaires sociales, sur la proposition de son président Alain Milon, a souhaité rétablir cette faculté, pour le Gouvernement, d’imposer une mesure de quarantaine ou d’isolement à des personnes récalcitrantes. Le régime de base serait celui d’une recommandation, dont le respect est attendu en raison du civisme de nos compatriotes, de leur esprit de responsabilité, de leur sens du devoir à l’égard d’autrui.

Qu’est-ce qui sera le plus efficace ? Poser une contrainte ultime pour les récalcitrants, ce qui, en réalité, revient à rendre le régime obligatoire, ou faire reposer celui-ci sur la confiance ? Le débat mérite d’avoir lieu.

La proposition de nos collègues de la commission des affaires sociales a pour inconvénient, du point de vue de la commission des lois, qu’un régime de contrainte suscitera de nombreuses stratégies d’évitement et de contournement de la part de personnes qui voudront dissimuler le fait qu’ils sont porteurs du virus. Nous voulons tenir en échec ces stratégies, car elles sont probablement plus dangereuses que le risque marginal qui serait pris en faisant confiance à tous ceux que l’on invite à rester chez eux pour ne pas contaminer d’autres personnes.

À cet argument important, j’en ajouterai un deuxième qui ne l’est pas moins. On pense souvent qu’il suffit d’édicter une obligation pour avoir les moyens de la faire respecter, mais il n’en est pas ainsi dans la réalité : pour faire respecter une obligation, encore faut-il qu’il existe une organisation le permettant. Pendant la période de confinement, il y a eu plusieurs millions de contrôles et près d’un million de procès-verbaux. Dans toute la France, la police et la gendarmerie étaient présentes sur les lieux de circulation pour vérifier que les Français confinés qui sortaient de chez eux avaient une raison légitime de le faire. Mais, avec le déconfinement, ces contrôles généralisés cesseront. Si un préfet de département prend, par arrêté, des mesures de quarantaine s’adressant, par hypothèse, à des individus récalcitrants, aucun contrôle ne permettra de vérifier que ceux-ci ne sortent pas de chez eux : on ne postera pas un gendarme devant la porte de leur domicile ! C’est seulement si ces personnes commettent un excès de vitesse, par exemple, que l’on pourra s’apercevoir qu’elles ne respectent pas la quarantaine, à la condition toutefois qu’elles aient été préalablement inscrites au fichier des personnes recherchées…

C’est donc une fiction que de penser qu’un tel régime de contrainte sera appliqué : il ne le sera pas, faute de moyens de contrôle. Le meilleur choix à faire, pour que les mesures de quatorzaine soient respectées, c’est celui de la confiance. Chacun a pu remarquer que les mesures de protection actuelles sont spontanément respectées par la plupart des gens, qui sont soucieux de préserver leur famille, leurs proches et leurs collègues de travail, comme nous le sommes ici. Pardon de me répéter, mais si le régime repose sur la contrainte, nous verrons se multiplier les stratégies d’évitement. Cela étant, le débat est parfaitement justifié. À vrai dire, si j’avais la conviction que la contrainte ultime peut réellement s’appliquer et n’est pas une simple vue de l’esprit, ma réponse serait peut-être moins ferme…

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