Intervention de Bernard Jomier

Réunion du 16 juin 2020 à 14h30
Don de chèques-vacances aux personnels des secteurs sanitaire et médico-social — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Bernard JomierBernard Jomier :

Vous l’aurez compris, comme sur la forme, ce texte génère un profond malaise sur le fond.

D’une part, j’éprouve une gêne à l’écoute de l’auteur de cette proposition de loi, qui reconnaissait le 2 juin dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale que ce texte « n’était pas destiné à répondre aux attentes du personnel soignant ». Quel aveu, alors que le Ségur de la santé s’est ouvert le 25 mai et qu’en ce moment même plusieurs milliers de soignants et de citoyens venus les soutenir sont devant le ministère de la santé, après plus de dix-huit mois de conflit, pour exiger des réformes structurantes !

Tant de questions restent sans réponse. Parmi elles, celle du versement des primes exceptionnelles, notamment pour les personnels des services départementaux d’aide à domicile, qui n’est toujours pas garanti. La question de la revalorisation des salaires de ces soignants, hospitaliers comme du secteur médico-social, reste aussi ouverte, tout comme celle des praticiens étrangers à diplôme hors de l’Union européenne, dont l’égalité de traitement avec les médecins français et européens demeure suspendue à la publication des décrets de la loi Santé, qui date maintenant d’un an.

Parmi eux, ceux qui exercent dans les Ehpad sont exclus du dispositif d’intégration pleine et entière dans le système de santé français, alors qu’ils affrontaient le virus aux côtés de leurs collègues français dans ces structures durement touchées.

La question de la réorganisation du système de santé, dans laquelle vous avez ouvertement refusé d’inclure le problème crucial de la gouvernance ainsi que de la place des soignants et des élus locaux dans la refonte du processus décisionnel de l’hôpital – c’est le Premier ministre qui l’a annoncé en ouverture du Ségur – est un véritable problème.

D’autre part, j’éprouve une gêne sur le fond lorsque, en plus de rester sourds aux revendications des professionnels concernés, vous drapez dans des valeurs de solidarité et de générosité une logique consistant à déshabiller l’un pour habiller l’autre. En demandant aux salariés de payer des chèques-vacances aux soignants, je crains que vous ne travestissiez, madame la ministre, l’impuissance de l’État.

Vous souhaitez, avec cette proposition de loi, monétiser les dons des Français ? Mais vous démonétisez en réalité un principe auquel les Français sont extrêmement attachés, celui de la solidarité nationale par laquelle chacun cotise selon ses ressources et reçoit selon ses besoins.

Pendant cette crise, on a vu se multiplier les « cagnottes ». Les actions de solidarité, par exemple à l’intérieur d’une entreprise, ne posent aucun problème, tout au contraire, mais soyez clairs.

En avril, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, s’était exprimé dans la presse pour demander aux actionnaires de ne pas être trop gourmands. En écho, les personnels soignants répondent que cette proposition de loi sur le don de chèques-vacances est irrecevable, comme j’ai encore pu le lire ce matin sur une banderole tendue à l’entrée de l’hôpital Saint-Louis. C’est dire s’ils sont attentifs à nos débats !

Les Français attendent plus que des médailles, des primes ou des lois les « autorisant à se montrer solidaires », puisque c’est en ces termes exacts que ce texte a été présenté par son auteur. Ils préféreraient, à juste titre, que la rémunération des soignants soit à la hauteur de la valeur sociale dont ils ont été les témoins. Ils veulent un engagement ferme et une réponse forte de l’État mettant en avant l’exigence de la contribution de chacun selon ses moyens plutôt que selon sa bonne volonté.

Au lieu de cela, vous fermez la porte à toute hausse de la fiscalité sur les plus fortunés et vous choisissez de faire peser le remboursement des 136 milliards d’euros de dette publique sur les cotisations sociales des Français.

Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires, madame la ministre. Celle-ci, dans ses fondements, est peut-être plus grave encore. Le groupe socialiste et républicain votera résolument contre ce texte.

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