Intervention de Philippe Bas

Réunion du 22 juin 2020 à 17h00
Sortie de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Monsieur le ministre, je vous remercie des explications que vous nous avez apportées. Mes chers collègues, je suis heureux de vous retrouver pour ce débat très important.

Monsieur le ministre, la commission des lois s’est réunie ce matin. Nous travaillons dans des conditions extrêmement tendues. Nous avons déjà accepté de le faire pour faire aboutir la loi du 23 mars dernier, puis celle du 11 mai dernier. Nous espérions que la sortie de l’état d’urgence sanitaire justifierait que le Parlement dispose de davantage de temps pour se concentrer sur sa mission et tenter, quand c’est possible, d’améliorer les textes qui lui sont proposés.

Nous constatons qu’il n’en est rien. Si cela ne nous a pas empêchés de travailler, l’ordre du jour prioritaire nous contraint à le faire dans des conditions telles que nous nous inquiétons de la qualité du travail que nous pourrons fournir.

Vous nous présentez ce texte comme organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire. Nous ne faisons pas la même interprétation de la rédaction proposée par le Gouvernement, puis confirmée par l’Assemblée nationale.

À l’article 1er, nous avons considéré que vous repreniez les mêmes pouvoirs que ceux qui vous ont été accordés par le Parlement du fait de l’état d’urgence sanitaire dans les trois domaines qui ont fait l’objet de vos décisions les plus nombreuses durant celui-ci : la liberté d’aller et venir et les conditions de circulation, l’ouverture des établissements recevant du public et la liberté de manifestation et de réunion.

Or il est tout de même singulier que, sur ces trois sujets, vous ayez repris les termes mêmes de la loi du 23 mars, tout en affichant une sortie de l’état d’urgence. De plus, sous couvert de sortie de l’état d’urgence, vous demandez la prorogation de ces pouvoirs pour une durée de quatre mois, alors que la précédente prorogation que nous avons consentie était d’une durée de deux mois.

Cette prorogation est donc doublement étonnante, d’une part parce qu’elle ne dit pas son nom, et, d’autre part, parce qu’elle porte sur une durée deux fois plus importante que la dernière prorogation que nous avons consentie.

Naturellement, ce n’est pas parce que vous réclamez les mêmes pouvoirs que ceux qui vous ont été accordés lors de l’état d’urgence sanitaire sur les sujets les plus sensibles pour les libertés individuelles et publiques que vous entendez prendre des mesures aussi radicales que celles qui ont été prises à l’époque, à commencer par le confinement.

Toutefois, même si nous devons rester prudents et vigilants sur toute régression en la matière, il reste que la situation sanitaire s’améliore. Il paraît donc très difficile de justifier, y compris devant le juge des libertés fondamentales qu’est le Conseil constitutionnel, le maintien sans le dire des pouvoirs étendus qui ont été conférés au Gouvernement pendant l’état d’urgence sanitaire… C’est pourquoi il nous a semblé nécessaire d’examiner les choses de plus près.

Nous avons décidé de substituer à l’article 1er des dispositions qui nous semblent exactement proportionnées à vos besoins. Il vous reviendra de nous dire si nous y sommes parvenus, car il faut naturellement que vous puissiez amener progressivement à la sortie de l’état d’urgence en disposant des moyens qui vous seront nécessaires. Il n’est pas question pour nous de vous les marchander.

Nous tenons simplement à vous rappeler que, en matière de libertés essentielles, il n’y a aucune raison que le législateur vous autorise à faire plus que ce qui vous semble à vous-même nécessaire et que nous pourrions approuver après discussion avec vous.

Cette discussion n’a pas pu avoir lieu la semaine dernière en commission compte tenu de votre emploi du temps ; elle interviendra donc aujourd’hui.

Les dispositions que nous avons adoptées nous paraissent amplement suffisantes pour permettre de sortir de l’état d’urgence dans de bonnes conditions, tant en matière de liberté de circulation que d’ouverture des établissements recevant du public ou encore de droit de manifester.

Concernant ce dernier, le Conseil d’État, dans le cadre de son rôle de juge de l’excès de pouvoir, a d’ailleurs indiqué au Gouvernement qu’un certain nombre de mesures prises étaient disproportionnées à la situation sanitaire telle que le Gouvernement lui-même l’a décrite – en la matière, nous n’avons pas de meilleures informations que celles que vous nous apportez. Nous avons donc voulu circonscrire exactement vos pouvoirs.

Par ailleurs, nous pensons qu’il faut accorder une attention particulière à la situation de certaines collectivités telles que la Guyane et Mayotte.

Certains élus de Mayotte contestent la nécessité de reconduire l’état d’urgence sanitaire. Nous acceptons cette reconduction, tout en vous rappelant que si les conditions qui justifient l’état d’urgence sanitaire à Mayotte et en Guyane devaient fort heureusement disparaître, rien ne vous imposerait alors de maintenir cet état d’urgence sanitaire localement pendant les quatre mois qui vous seront accordés pour agir.

Nous vous faisons évidemment confiance pour ajuster vos décisions aux réalités. Si toutefois l’action publique se prolongeait au-delà de la période nécessaire, dans un état de droit tel que le nôtre, où la juridiction administrative exerce un contrôle sur les mesures de police, des recours pourraient intervenir.

Nous avons également voulu maintenir l’équilibre trouvé lors des travaux de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions sur les mesures que l’on appelle par commodité « mesures de quarantaine », mais qui sont devenues mesures de quatorzaine, puis – si vous me permettez ce néologisme – mesures de septaine.

Nous aurons à débattre des modifications que nous avons adoptées afin de faciliter les voyages entre l’outre-mer et la métropole, tout en assurant la plus grande sécurité sanitaire possible.

Au mois de mai dernier, nous avions rappelé que les tests de dépistage ne sont pas infaillibles, car, pendant une partie de la période d’incubation, la présence du virus chez un individu ne peut être détectée. C’est pourquoi nous avions alors privilégié des mesures de quatorzaine pour les personnes prenant l’avion.

Nous accepterons aujourd’hui des mesures de dépistage par test, car nous considérons que l’amélioration de la situation sanitaire justifie un système moins protecteur.

Nous avons eu une discussion assez longue sur votre souhait de prolonger les durées de conservation des données recueillies dans le cadre des systèmes d’information pour le dépistage de la maladie.

Le travail réalisé par l’Assemblée nationale, qui a restreint la portée du texte que vous aviez proposé, nous paraît satisfaisant. La rédaction retenue permettra en effet aux épidémiologistes de travailler sur des données pseudonymisées, pour reprendre un terme très élégant, sans pour autant que des données directement identifiantes soient divulguées.

Nous accepterons de prolonger la durée de conservation des données à cette fin, mais sous forme d’exception à la règle que nous avons voulu poser, selon laquelle la durée de conservation ne peut en principe excéder trois mois.

Tels sont les équilibres que nous avons recherchés, monsieur le ministre. En démocratie, il faut dire les choses telles qu’elles sont : ce texte n’était pas un texte de sortie de l’état d’urgence, mais un texte de prorogation des principales mesures de l’état d’urgence. Si le Sénat est suivi, ce sera un texte de sortie de l’état d’urgence.

Nous sommes allés jusqu’à modifier le fameux article L. 3131-1 du code de la santé publique, afin de doter le ministre de la santé, voire le Premier ministre, ou encore les préfets, d’une base juridique solide, dont vous ne disposiez pas avant le 23 mars dernier et dont vous ne disposerez plus quand l’état d’urgence sanitaire sera levé.

Nous avons donc eu le souci de contribuer à la sécurité sanitaire, tout en veillant, comme c’est le rôle du Sénat, à la préservation des libertés publiques et en ne consentant aucune restriction qui ne soit strictement justifiée par la situation sanitaire, qui elle-même, naturellement, évolue.

Enfin, il nous semble important que vous puissiez prendre des mesures plus sévères si cela est nécessaire. C’est pourquoi nous avons bien précisé que vous pouvez à tout moment prendre un décret pour déclarer l’état d’urgence sanitaire et prendre toutes les mesures auxquelles nous avons consenti au mois de mars dernier dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

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