Intervention de Philippe Bas

Réunion du 21 juillet 2020 à 14h30
Mesures de sûreté contre les auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine — Discussion générale

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Au moment d’aborder la discussion des articles, je veux revenir sur plusieurs points qui ont paru essentiels à la commission.

Personne ne peut nier que la démarche dans laquelle nous sommes engagés est délicate : il s’agit d’être particulièrement attentifs à d’anciens condamnés qui ont purgé leur peine, qui sont donc en règle avec la justice, et qui peuvent néanmoins présenter une forte dangerosité, mais aussi à la liberté que tout citoyen a le droit de pouvoir exercer à partir du moment où il est en règle avec la justice. Et nous ne nous sommes pas engagés dans cette délicate démarche sans prendre un certain nombre de précautions.

Je suis d’ailleurs très heureux que notre collègue de l’Assemblée nationale, auteur de la proposition de loi, Mme Yaël Braun-Pivet – elle s’est sans doute inspirée de nos propres travaux en rédigeant son texte – ait pris la précaution de soumettre celle-ci au Conseil d’État.

Ce dernier a rendu un avis circonstancié de treize pages qui n’est pas un brevet de constitutionnalité et de conventionnalité et qui soulève un certain nombre de problèmes examinés par plusieurs de collègues, mais qui montre aussi le chemin à emprunter pour concilier les deux exigences que j’ai rappelées, celles de la liberté et de la protection de la société.

Je crois nécessaire de reprendre très précisément les choses, parce que c’est non pas avec des incantations ou des réquisitions que nous répondrons aux questions que soulève cette proposition de loi, mais en étant précis sur les dispositions prises, sur la nature des restrictions aux libertés qui seraient autorisées et sur les garanties apportées pour que ces restrictions ne soient pas excessives.

Cette proposition de loi nous fait-elle entrer dans un régime dans lequel le condamné qui a purgé sa peine serait de nouveau condamné pour les mêmes faits, pour le même crime ou pour le même délit ? Je peux vous rassurer, mes chers collègues, la réponse est assurément non ! Et il n’y a pas de nuances à cette réponse. Le respect essentiel de cette règle de l’État de droit non bis in idem est bien garanti.

Comme vient de le rappeler le garde des sceaux, il s’agit d’une mesure de surveillance, non de rétention. La liberté de l’ancien condamné est donc non pas supprimée, mais restreinte. Il s’agit également d’une mesure d’accompagnement psychologique dont la mise en œuvre sera assurée par le service pénitentiaire d’insertion et de probation dont la vocation est d’accompagner les anciens détenus dans leur démarche de réinsertion.

L’individu concerné conserve sa liberté et peut être incité à suivre les démarches nécessaires – formation, soutien psychologique… – pour faciliter sa réinsertion. De telles mesures ne peuvent en aucun cas être interprétées comme des peines. Le travail spécifique de la commission des lois du Sénat et de notre rapporteure a consisté à renforcer les mesures de surveillance et d’accompagnement de cette proposition de loi.

Je veux soulever un autre point qui me paraît extrêmement important : est-il nécessaire aujourd’hui d’intervenir par le biais de la loi ? Comme plusieurs d’entre vous l’ont rappelé, mes chers collègues, d’autres dispositifs existent déjà. Mais sont-ils pertinents ? Permettent-ils de concilier protection de la société et liberté d’une personne ayant purgé sa peine ?

Il me semble que la loi de 2015 relative au renseignement, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, que la loi qui a institué, à l’automne 2017, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et que la loi de 2016 renforçant la lutte contre le terrorisme ne répondent pas à notre préoccupation.

La loi de 2016 permet de prévoir la mesure de sûreté au moment de la condamnation. Ceux qui ont été condamnés avant l’entrée en vigueur de cette loi ne peuvent donc en faire l’objet. Ce texte n’est alors pas pertinent pour régler le problème des quelque 150 condamnés qui vont être libérés en 2020, 2021 et 2022. Nous avons besoin d’un autre dispositif.

Dès lors, pouvons-nous nous contenter des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance prévues temporairement par la loi de l’automne 2017 qui nous a permis de sortir de l’état d’urgence ? Non, car ces textes n’ont pas le même objet : les mesures de surveillance prévues ne comportent aucune mesure d’accompagnement à la réinsertion. On ne se donne pas la chance d’au moins essayer de ramener à une vie normale un ancien condamné pour complicité de terrorisme. Ce dispositif ne couvre par conséquent que partiellement les finalités que nous voulons réaliser.

En outre, les mesures de surveillance prévues dans la loi de 2017 sont plus sévères encore que celles que nous proposons – et nous pourrons d’ailleurs permettre à l’État d’y recourir. Elles permettent l’assignation à résidence, peuvent imposer un pointage quotidien dans les services de police ou de gendarmerie. De nature administrative, le juge judiciaire ne les contrôle pas.

Or, afin d’améliorer les garanties de respect des libertés, nous proposons non pas des mesures purement administratives, mais des mesures judiciaires, contrôlées par une juridiction. Nous protégeons ainsi mieux les libertés, contrairement à ce que d’aucuns semblent avoir suggéré, qu’en nous en remettant purement et simplement aux mesures d’ordre administratif de notre arsenal juridique.

Enfin, la loi relative au renseignement, que je connais bien, mobilise des moyens extrêmement importants. N’est-il pas plus raisonnable de prendre une mesure de surveillance et d’accompagnement pour les anciens condamnés ayant purgé leur peine ? Dans l’hypothèse où leur comportement renforcerait les soupçons de risque de récidive, il serait alors temps de mobiliser des moyens de surveillance complémentaire très forts, très intenses, et qui supposent également une mobilisation importante de personnels.

Au regard des dispositifs existants, on comprend tout l’intérêt de la proposition de loi dont nous débattons. Les mesures proposées sont proportionnées, moins restrictives que d’autres – c’est en tout cas ce que j’ai essayé de démontrer –, offrent une garantie judiciaire qui n’existe pas en cas de mesure administrative et sont respectueuses de la règle non bis in idem.

Forts de ces constatations, nous devons adopter ce texte amendé par la commission.

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