Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est la quatrième fois que nous sommes amenés à légiférer sur les pouvoirs que nous consentons au Gouvernement pour faire face à la crise sanitaire.
Il y a eu successivement deux régimes, l’un d’état d’urgence sanitaire, l’autre qualifié de « sortie » de l’état d’urgence sanitaire. Mais c’est une sortie qui n’en finit pas, puisque le Gouvernement nous demande maintenant de prolonger ladite sortie jusqu’au mois d’avril 2021. Autant dire que ce texte est déjà mal nommé : c’est en réalité un texte de prolongation des pouvoirs exceptionnels que le Gouvernement estime nécessaires pour faire face à cette crise sanitaire, qui rebondit actuellement.
La seule différence entre le régime de l’état d’urgence sanitaire et le régime dit de « sortie » de l’état d’urgence sanitaire, c’est que, dans la deuxième hypothèse, le Gouvernement n’a pas le droit de prononcer le confinement généralisé de la population tel que nous l’avons connu du mois de mars au mois de mai. Encore faut-il se rappeler que la loi de mars dernier sur l’état d’urgence sanitaire reste en vigueur, et que le Gouvernement peut à tout moment par décret déclencher le régime du confinement généralisé. Évidemment, c’est l’instrument de dernier recours, et nous ne blâmons pas le Gouvernement de ne pas s’inscrire dans cette perspective, qui ne pourrait être acceptée que dans une situation de crise tellement grave qu’il faudrait de nouveau interrompre l’activité nationale.
Notre espoir, depuis la fin du confinement, est au contraire de réussir à lutter contre l’épidémie sans avoir à suspendre l’activité économique et sociale de notre pays. C’est sans doute une gageure, mais nous mesurons à quel point le confinement généralisé est la mesure à laquelle il a fallu recourir faute de mieux, et à défaut d’avoir été préparés à affronter une telle épidémie.
Il est vrai que, au mois de mars dernier, nous n’avions pas de masques, pas de gel hydroalcoolique, pas de tests de dépistage accessibles à la population et, surtout, pas de système national d’information permettant de remonter les filières de contamination en neutralisant les personnes exposées à la contamination le temps que l’on vérifie leur statut au regard de l’épidémie.
Au fond, la sortie de l’état d’urgence sanitaire se réduit à un enjeu : faire en sorte que l’on substitue de multiples confinements individualisés et temporaires au confinement généralisé de la population. Depuis la mise en œuvre du nouveau système à partir du mois de mai, il y a eu plus de 650 000 cas de personnes qui ont pu être diagnostiquées comme porteuses du virus grâce au système national d’information mis en place et aux plateformes de l’assurance maladie, qui ont recherché ce qu’il est convenu d’appeler les cas contacts.
La situation actuelle, qui préoccupe tous les Français, et particulièrement nos autorités sanitaires, est une situation de très nette aggravation au cours des derniers jours et des dernières semaines. Si elle n’est pas de même niveau, et c’est heureux, que celle que nous avons connue au mois de mars dernier, elle est cependant suffisamment préoccupante pour qu’il n’y ait pas à débattre de l’opportunité de prolonger les pouvoirs exceptionnels que nous avons accordés au Gouvernement au fil des lois que nous avons débattues ici même.
Nous avons donc admis, à la commission des lois, le principe de la poursuite de cette action qui restreint l’exercice des libertés individuelles et des libertés publiques pour réduire les risques de contamination.
Nous attendons, bien sûr, les nouvelles décisions qui devraient être rendues publiques par le chef de l’État dans la journée de demain, en espérant qu’elles n’auront pas d’incidence sur nos travaux législatifs, lesquels sont déjà bien assez bousculés comme cela.
Monsieur le ministre, en effet, nous ne souhaitons pas vous permettre d’exercer ces pouvoirs exceptionnels qui restreignent l’exercice de nos libertés durant plus de trois mois, c’est-à-dire au-delà du 31 janvier prochain. J’ai bien entendu votre argument, mais je dois vous dire que nous ne souhaitons pas non plus vous laisser mettre en place le système permanent de pouvoirs exceptionnels par la loi que vous voulez nous faire adopter, et dont nous ne savons rien à ce stade.
Il est donc très difficile pour nous de vous donner une sorte de blanc-seing, en vous laissant appliquer ces pouvoirs exceptionnels, non pas pendant deux ou trois mois, comme ce fut le cas avec les précédentes lois, mais pendant une très longue durée, au seul motif que vous avez l’intention de nous faire adopter un régime permanent de pouvoirs exceptionnels pour restreindre les libertés en vue de lutter contre cette épidémie ou de nouvelles à venir.
Nous sommes donc très fermes sur cette exigence du contrôle parlementaire. Il s’agit tout de même de choses essentielles pour la vie des Français, et je crois que notre vocation, en tant que représentants de la Nation, est bien de consentir au Gouvernement les moyens nécessaires à l’efficacité de la lutte contre l’épidémie, mais d’exiger aussi en retour que nous puissions assumer notre responsabilité de contrôle dans sa plénitude.
Je voudrais vous dire par ailleurs, monsieur le ministre, que nous souhaitons apporter notre contribution, comme nous l’avions fait au mois de juillet, à votre volonté de réformer les régimes de lutte contre les épidémies, en mettant à jour ce fameux article L. 3131-1 du code de la santé publique, qui aujourd’hui comporte des dispositions faisant douter de sa constitutionnalité. Il faut que le ministre de la santé puisse prendre des mesures non pas qui soient de tous ordres, mais qui relèvent de la santé.
Si cet article avait été appliqué sans que l’on adopte la loi relative à l’état d’urgence sanitaire, vous auriez eu de très graves difficultés juridiques. C’est bien la preuve qu’il n’est pas adapté à ce genre de situations. Nous voulons donc le modifier.
Enfin, nous avons pris un certain nombre de mesures, qui nous ont été inspirées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), pour ce qui concerne les fichiers utilisés pour lutter contre les risques de contamination ou procéder à des recherches épidémiologiques.
Nous avons également souhaité que des dispositions soient prises pour préparer les scrutins de mars 2021.
La démocratie est une affaire trop sérieuse pour la suspendre au risque sanitaire. Imaginons qu’en 2021 n’aient pas lieu les élections régionales et départementales, qui sont certes importantes, mais qu’ait lieu l’élection présidentielle. Faudrait-il envisager qu’à cause d’une épidémie les Français ne se prononcent pas ?
De la même façon, nos concitoyens devront se prononcer dans toute la mesure du possible en évitant les risques de contamination. Mais comment les éviter, d’une part, si l’on ne modifie pas le régime des procurations, ce que le Gouvernement propose et dont je le remercie, et, d’autre part, si l’on ne remet pas à l’ordre du jour le vote par correspondance, en lui apportant des garanties qui lui ont fait défaut dans le passé – raison pour laquelle il avait été supprimé de notre code électoral ?
La commission des lois, dans une forme d’unanimité, a souhaité que nous versions au débat des propositions dans ce domaine, ce qu’ont fait plusieurs collègues. J’ai présenté à notre commission une synthèse de ces efforts pour que nous puissions nous préparer – nous en avons encore le temps ! –, afin que le scrutin de mars prochain se déroule dans de bonnes conditions, quelle que soit l’intensité de l’épidémie à cette date.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà ce que je tenais à vous dire au moment d’ouvrir ce débat. L’heure est manifestement grave. Le Sénat est au rendez-vous, mais ne consentira pas à accorder des pouvoirs dérogatoires au Gouvernement sans de sérieuses garanties.