Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, disposant d’un moindre temps de parole que M. le ministre, je n’aborderai pas tous les sujets, mais dirai quelques mots pour vous exposer la position de la commission des lois sur le projet de loi organique visant à réformer le CESE.
Vous avez compris dans les propos qui viennent d’être tenus que la commission des lois n’avait pas totalement partagé l’analyse faite par le Gouvernement quant à la nécessité de cette réforme.
Pour expliquer cette position, il convient au préalable d’apporter quelques précisions sur ce qu’est le CESE. Vous le savez, cet organisme assez ancien, qui existe depuis 1925, a pour rôle de représenter ce que l’on appelle la « société civile organisée » : syndicats, coopératives, mutuelles, et autres organismes représentant des intérêts diversifiés dans la société française. Il est composé de représentants de la société civile, à hauteur de 193 membres, auxquels sont associées une quarantaine de personnalités qualifiées désignées par le Gouvernement. Parfois se mêlent aux travaux des personnalités associées, qui sont au nombre maximal de 72, lesquelles sont également désignées par le Gouvernement.
Le CESE a deux rôles essentiels : il est, d’abord, une instance de dialogue social et, ensuite, un organe de conseil pour les pouvoirs publics, au sens large, c’est-à-dire autant pour le Gouvernement que pour les assemblées parlementaires que sont le Sénat et l’Assemblée nationale.
Le CESE joue-t-il son rôle d’instance de dialogue social ?
Vous l’aurez compris en entendant M. le ministre, et sur la base de ce que vous connaissez du CESE, la question peut se poser. En effet, depuis 1925, la société française ne perçoit pas véritablement ce rôle : les conflits sociaux y sont, je crois, toujours aussi difficiles, voire plus durs à certains égards.
Le CESE joue-t-il son rôle de conseil auprès des pouvoirs publics ?
M. le ministre a précisé que les travaux du CESE étaient menés, à hauteur de 80 %, à partir d’une autosaisine. Cela signifie que, pour 80 % des rapports qu’il rend, il s’autoconsulte. On peut se dire, au vu de ce chiffre, qu’il a quelques difficultés à jouer son rôle dans la société. C’est précisément pour cette raison que ce projet de loi organique a été présenté, et nous partageons le constat du Gouvernement sur la difficulté pour le CESE de s’affirmer.
J’ajoute, et certains d’entre vous s’en souviennent peut-être, qu’un premier projet avait été lancé il y a une dizaine d’années, afin aussi de donner au CESE les moyens de s’affirmer dans la société. Force est de constater que ce rôle est difficilement rempli, quelle que soit la qualité des travaux et des membres du Conseil.
Ce projet de loi organique vise à remédier à cette difficulté patente. Y parvient-il ? La majorité de la commission des lois n’a pas été tout à fait convaincue par les dispositions mises en œuvre en vue de permettre au CESE de jouer le rôle constitutionnel qui lui a été confié.
En effet, je ne suis pas certaine qu’un certain nombre de mesures constituent un apport fondamental. Elles concernent, peu ou prou, des méthodes de travail déjà utilisées par le CESE. Vous le savez, je ne suis pas de ceux qui pensent qu’un espace de liberté doit s’appeler un vide juridique, et je ne suis pas sûre qu’il faille toujours légiférer.
Face à ces mesures, que je ne considère pas fondamentales, d’autres que M. le ministre estime, là encore, fondamentales, n’ont pas eu l’heur de convenir à la commission des lois. Elles visent en effet davantage un affaiblissement qu’un renforcement permettant au CESE d’affirmer son rôle.
Dans une première catégorie de mesures tendant à permettre l’affirmation de ce rôle, il est prévu que le CESE puisse consulter les assemblées consultatives, essentiellement les Ceser. Nous avons précisé les termes de cette disposition, mais il faut savoir que le CESE pratiquait d’ores et déjà cette consultation, en l’absence de texte. Je ne crois pas que l’avancée soit importante.
Est en outre prévue la modification, longuement détaillée par M. le ministre, de la mise en œuvre du droit de pétition : le nombre de signataires requis passe de 500 000 à 150 000, et l’âge minimal de 18 à 16 ans. Quant à la dématérialisation, elle est bienvenue et il ne s’agit pas de remettre en cause la décision du Gouvernement.
Il faut tout de même savoir que le seuil de 500 000 signataires, qui est en effet important, n’a pas été de nature à faire obstacle au travail du CESE. Celui-ci s’est en effet toujours saisi des pétitions, même lorsque le nombre de signataires n’atteignait pas 500 000 – une seule de ces pétitions a atteint ce nombre, et elle a été jugée irrecevable.
Le CESE travaille donc sur ces pétitions, quel que soit le nombre de signataires, et fait même de la veille en recherchant les pétitions qui circulent, de façon à pouvoir aborder ces sujets dont il considère qu’ils présentent un quelconque intérêt pour la société. Là encore, même si je reconnais le caractère véritablement normatif de ces dispositions, je ne crois pas que cela changera fondamentalement le travail du Conseil.
Le troisième élément est la consultation de personnes tirées au sort, une méthode de travail déjà utilisée par le CESE à deux reprises, ce qui est peu. Il y a eu recours avec des panels dont on ne peut pas dire qu’ils étaient représentatifs, puisqu’il s’agissait de 28 puis de 30 personnes. Même si cet échantillonnage n’avait pas grand sens, cela a déjà été fait.
Le tirage au sort est l’un des points sur lesquels la commission des lois est restée en désaccord avec le Gouvernement.
Il est prévu que le CESE puisse recourir au tirage au sort en tant que méthode de travail, mais également – M. le ministre l’a précisé – que des personnes tirées au sort, comme ce fut le cas pour la Convention citoyenne pour le climat, se substituent aux personnalités associées ponctuellement consultées par le CESE sur des thèmes particuliers.
Sur le tirage au sort, dont je ne pense pas qu’il constitue un apport, j’y insiste, nous sommes en total désaccord.
Ne nous leurrons pas, monsieur le ministre : je ne pense pas, et ce n’est d’ailleurs pas ce que j’ai dit devant la commission des lois, que la consultation des citoyens soit inintéressante. Quand on est élu local – le Sénat compte nombre de ces élus, qui ont occupé des fonctions dans les exécutifs locaux –, on passe son temps à consulter la population : de la façon la plus informelle qui soit, sur le marché le dimanche matin, jusqu’au conseil de quartier, en passant par les réunions publiques. La consultation du public est le quotidien des élus locaux !
Mais je ne crois pas que ce soit dans cet état d’esprit que la consultation par tirage au sort a été prévue dans le projet de loi organique. En réalité, on sacrifie à l’air du temps : on essaye de satisfaire une population mécontente en lui disant que l’on va choisir quelques-uns de ses membres faussement tirés au sort – nous aurons peut-être l’occasion d’y revenir –, lesquels seront instruits au cours de quelques week-ends, comme ce fut le cas dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat, via une formation accélérée et un peu orientée, qu’elle pourra prendre des décisions et qu’elle sera suivie par les pouvoirs publics. Ce n’est pas la bonne réponse au mécontentement de la population.
La bonne réponse serait sans doute de dire à nos concitoyens : « Si vous voulez participer et prendre des décisions, vous avez en France maintes occasions de le faire ; cela s’appelle les élections. » Chacun de nos concitoyens peut se présenter à l’élection, soumettre un programme qui sera en concurrence avec d’autres, être élu, prendre des décisions sur la base de cette élection, et ensuite – c’est là que la différence s’impose – être responsable de ses décisions. Ce n’est pas le cas pour les personnes qui sont tirées au sort.
La démocratie ne peut pas être le tirage au sort. La démocratie, c’est le choix qui résulte de l’élection et donne du pouvoir, en contrepartie duquel les élus ont des responsabilités.
Voilà qui est, me semble-t-il, de l’essence même de la démocratie, ce que l’on ne retrouve pas loin de là, dans le tirage au sort, raison pour laquelle nous avons supprimé les dispositions afférentes à celui-ci.
Le dernier élément sur lequel je m’attarderai est la diminution de 25 % du nombre des membres du CESE. Je n’ai pas su expliquer à la commission des lois que cette réduction pouvait être de nature à renforcer le CESE. Je n’ai pas su non plus expliquer comment avait été choisi le critère…
Vous l’avez dit, monsieur le garde des sceaux, c’était une déclaration du Président de la République. Certes, mais si l’on reprend tout ce qu’il a dit sur ce point, on constate qu’il a préconisé de réduire les membres du CESE d’abord d’un tiers, puis de 50 %, ensuite de nouveau d’un tiers et désormais d’un quart. Je ne suis pas certaine que ce critère soit très objectif…
Surtout, je ne sais pas expliquer comment, en diminuant le nombre de représentants de la société civile organisée, nous pourrions renforcer la capacité de travail de celle-ci. Ce n’est pas en réduisant le nombre de ses membres que nous pouvons renforcer une assemblée.
Là encore, nous n’avons pas cherché à contester nécessairement cette diminution, et il s’avère que le président du CESE, nolens volens, ne s’y est pas opposé. Nous avons opté pour un critère objectif, en choisissant de supprimer les personnalités qualifiées, dont la nomination – cela est connu – pose quelques difficultés, pour conserver l’intégralité des personnes représentant la société civile organisée.
Je n’irai pas plus loin dans la présentation du texte de la commission des lois, car nous aurons l’occasion d’y revenir au cours du débat.