Intervention de François Bonhomme

Réunion du 14 octobre 2020 à 21h30
Conseil économique social et environnemental — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’imagine qu’un certain nombre de nos concitoyens qui nous regardent examiner, ce soir, sur internet ou sur Public Sénat, ce projet de loi organique visant à réformer le CESE découvriront peut-être par la même occasion que cette instance existe toujours, du moins sur le plan institutionnel. C’est dire la place singulière et, somme toute, relative que le Conseil occupe dans l’esprit de nos concitoyens…

Bien sûr, les plus diplomates évoqueront le CESE comme un lieu d’échange, de consensus. Pourtant, la première question qui me vient à l’esprit est : à quoi sert la troisième assemblée de la République ? La réponse pourrait presque tenir en un mot, mais il serait dommage de le prononcer, ne serait-ce que pour sauvegarder l’intérêt du débat qui nous occupe. En effet, poser la question de la raison d’être d’un tel organe constitutionnel pourrait paraître incongru, sinon inconvenant.

Pour autant, ce n’est pas la première fois – loin de là – qu’elle est posée. Déjà, des membres éminents du Comité consultatif constitutionnel, présidé par Paul Reynaud – cela ne date pas d’hier –, l’avaient fait en 1958. Il s’agissait alors de fixer l’objectif, sans doute utopique, d’un lieu et d’une institution du dialogue social susceptibles d’assurer la paix sociale.

Voilà bien un objectif sur lequel chacun peut s’accorder. Pourtant, des pays comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne n’ont pas cru devoir créer un tel organe. Ce sujet n’a pas manqué de susciter des questionnements, depuis le début, au sein des gouvernements successifs, à commencer par celui de Pierre Mendès France, en 1954, et celui du général de Gaulle, en 1969. Ces gouvernements s’étaient déjà heurtés, peut-être par excès d’ambition, à des résistances fortes.

Il n’empêche, les périphrases plus ou moins inventives au sujet du CESE me semblent symptomatiques : « assemblée consultative », « assemblée du premier mot », « assemblée miroir des mutations citoyennes », « assemblée du consensus » et, de la bouche même du Président de la République, « chambre du futur où circulent les forces vives de la Nation », ou encore « forum de notre République ». Rien que cela…

Sans doute peut-on, dans ce domaine, noter, peut-être pour s’en réjouir, la créativité du langage. Néanmoins, les plus rabat-joie, dont je fais partie, y verront surtout la confirmation que la langue de plomb politico-administrative regorge de ressources insoupçonnées…

Malheureusement, depuis la loi constitutionnelle de 2008, la réalité d’une telle institution se limite, dans notre droit positif, à des modes de saisine du CESE. Cette institution a vocation à émettre des avis sur des projets de texte et à être consultée sur des problèmes relevant de son champ de compétences. Jusqu’à cette révision, le CESE ne pouvait être saisi que par le Gouvernement.

Il est par ailleurs précisé que « par la représentation des principales activités économiques et sociales, le Conseil favorise la collaboration des différentes catégories professionnelles entre elles et assure la participation à la politique économique et sociale du Gouvernement ». Toutefois, les modalités de cette participation sont parfois évasives et, il faut bien l’admettre, cette affirmation relève davantage, au vu de l’histoire, de l’acte de foi que de la réalité.

Comme le notait Dominique-Jean Chertier, dans son rapport de 2009, ce laconisme est la « traduction de l’ambiguïté fondamentale qui a présidé à la destinée de cette institution, jusqu’à aujourd’hui. »

En effet, le CESE n’est pas une assemblée parlementaire ; c’est bien un organe consultatif. Il n’est pas tout à fait inutile ni superflu de rappeler cette évidence, me semble-t-il, car, depuis sa création, cet organe cherche à se doter de certains éléments caractéristiques du Parlement, comme le bénéfice d’immunités pour ses membres, le contrôle du Conseil constitutionnel sur son règlement, l’impossibilité pour le Président de la République de s’y rendre librement, ou encore l’autonomie budgétaire et administrative. Certains y ont vu un mimétisme parlementaire, sans doute guidé par un instinct de survie, qui, au fur et à mesure de son existence relative, n’a fait que croître.

Il est d’ailleurs significatif, au passage, que la saisine parlementaire proposée par le Gouvernement ait été supprimée en 1958.

De même, le rôle de conseil de l’exécutif de cette assemblée consultative reste à démontrer, tant ses avis demeurent obscurs et, parfois, occultes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion