Sans doute est-ce en partie la conséquence du fait que le Gouvernement est déjà éclairé par un certain nombre d’organismes dotés d’une capacité d’expertise avec laquelle le CESE ne pourrait rivaliser. Néanmoins, là encore, l’ambiguïté n’est pas levée, car le CESE, qui se veut un lieu de représentation et d’expression des forces économiques et sociales, compte pourtant en son sein des personnalités qualifiées et des membres de section censés conforter l’expertise technique dont disposent, en principe, les autres membres, à des degrés divers.
Au demeurant, cette concurrence institutionnelle n’a fait que renforcer cette ambiguïté initiale. Les organes se comptent par dizaines : conseils supérieurs, hauts conseils, conseils et comités nationaux, ou encore hautes autorités. Certains ont même vu dans la création de ces organismes compétents en matière économique et sociale le signe d’une indifférence, sinon d’une défiance, à l’égard du CESE.
Venons-en à la question centrale : pourquoi le CESE passe-t-il largement inaperçu, non seulement, bien sûr, de l’opinion publique, mais aussi – c’est tout aussi ennuyeux – des pouvoirs publics ? Pourquoi nombre de ses avis et études, qui comportent des analyses stimulantes, demeurent-ils connus de leurs seuls auteurs ? Reste ainsi à savoir à quoi bon réunir et faire travailler régulièrement une assemblée, si plusieurs de ses travaux ne sont ni connus ni reconnus par la société française. C’est une production qui tourne à vide…
D’ailleurs, le diagnostic posé dès 1958 par Maxime Blocq-Mascart, membre du Comité consultatif constitutionnel, conserve toute son actualité : « Les travaux du Conseil économique ont toujours été remarquables depuis une trentaine d’années, mais vains. Ses activités se déploient dans le vide. Nos improvisations constitutionnelles ne remédient pas à un état de fait aussi fâcheux que prolongé. »
Je tiens à préciser que la qualité des membres qui composent le CESE n’est pas en cause ; c’est même un facteur aggravant que de se dire qu’une institution comme le CESE tourne à vide depuis si longtemps, en dépit de la qualité individuelle de ses membres. Cela donne la mesure du problème qui nous occupe…
Notre rapporteur le rappelle opportunément, le Conseil économique, social et environnemental, boudé par les gouvernements successifs, dispose d’un cache-sexe pour masquer son état d’abandon et de déréliction ; en effet, puisque les sollicitations de l’exécutif demeurent anecdotiques – sept en 2018, quatre en 2019 –, il peut s’autoalimenter par le recours quasi providentiel aux autosaisines, qui représentent près de 80 % de son activité. Curieux paradoxe que celui d’un organe consultatif au service des pouvoirs publics et dont la principale activité consiste à s’autoconsulter…
Ainsi, le CESE se retrouve noyé dans un flot incontrôlé d’autosaisines qui lui fait perdre toute visibilité et toute influence. Cela ne change rien ; à l’arrivée, il s’agit toujours du fonctionnement d’une institution en vase clos.
Les ajustements suggérés par le Gouvernement au travers de ce texte traduisent cette situation. Les dispositions proposées sont, le plus souvent, soit superfétatoires, soit contreproductives.
Elles sont superfétatoires quant aux nouvelles règles déontologiques, à la composition du CESE et même à la réduction du nombre de membres ; elles sont contreproductives avec l’introduction du tirage au sort ou avec les critères du droit de pétition.
Je veux dire un mot sur la suppression des personnalités qualifiées. C’est la seule véritable disposition significative de ce texte, après soixante ans de tergiversations et d’atermoiements. Comme d’autres, j’ai déposé, dans le passé, une proposition de loi en ce sens ; je ne peux donc qu’y souscrire.
On retiendra que les personnalités qualifiées sont, selon le Gouvernement, un instrument qui se révèle depuis toujours totalement dévoyé. Chacun se souvient ainsi de la nomination de Georgette Lemaire, ou encore de celle de Jean-Luc Bennahmias, alors secrétaire national du parti écologiste. Cette personnalité s’était vu refuser la troisième place éligible sur la liste de son mouvement aux élections européennes, parce que Mme Voynet tenait à ce qu’il garde la maison écologiste, mais, ne voulant pas « vieillir en apparatchik », avait-il dit, il avait fait comprendre qu’il n’avait pas fait vœu de chasteté institutionnelle, et la ministre de l’environnement de l’époque avait fait remonter le message à Matignon, pour une nomination qui, croyez-moi, n’avait pas traîné… §Quelques années plus tard, il fut renommé au CESE, par un nouveau pouvoir, en remerciement d’une opération de transformisme politique aussi rapide que remarquable.
On retiendra, plus récemment, la nomination de Rost, rappeur de son état et président de l’association Banlieues actives, dont la qualité déterminante, du point de vue du Gouvernement, fut d’avoir composé la chanson L ’ Avenir, c ’ est nous, qui faisait l’ouverture des meetings du candidat socialiste, ainsi que, plus généralement, celle d’une flopée d’élus ou d’anciens ministres, courtisans du pouvoir, apparatchiks, hiérarques ou contestataires trop bruyants.