Intervention de Philippe Bas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 27 octobre 2020 à 15h00
Projet de loi autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, rapporteur :

Chers collègues, je ne prends aucun plaisir à revenir tous les quinze jours vous parler du même sujet dans des termes différents, tant les événements précèdent les propositions du Gouvernement.

Mon rapport est inspiré par un esprit de responsabilité que nous partageons tous. Le nombre quotidien de personnes testées positives au covid-19 est passé d'environ 10 000 dans les quinze premiers jours d'octobre à un peu plus de 50 000, ce dimanche. À ce rythme, l'estimation du conseil scientifique de 100 000 contaminations par jour, soit le point le plus élevé de l'épidémie en mars dernier, pourrait bientôt être atteinte - aux yeux de son président, c'est déjà le cas. C'est dire combien la situation actuelle est parfaitement analogue à celle qui a entraîné le confinement obligatoire généralisé du printemps dernier. À l'époque, nous avions accepté cette action gouvernementale, en votant la loi du 23 mars d'urgence, au motif qu'il n'existait pas d'autre moyen efficace de lutter contre la propagation de l'épidémie : ni masques, ni gel hydroalcoolique, ni tests de dépistage accessibles à toute la population, ni organisation appropriée du travail et des transports, ni pratique suffisante des gestes barrières, ni système d'information facilitant la remontée des filières de contamination.

Nos concitoyens ont subi la situation courageusement et respecté le confinement parce qu'il n'existait pas d'autre moyen. Ensuite, le confinement ayant cassé l'épidémie, en mai, la situation était plus favorable, si bien que le Gouvernement a présenté un texte relatif à la sortie de l'état d'urgence sanitaire, qui nous a paru d'affichage, car tous les pouvoirs conférés au Gouvernement pour lutter contre l'épidémie étaient ceux de l'état d'urgence sanitaire, exception faite du confinement. Il eût tout simplement suffi de reconduire ce dernier, en n'utilisant qu'une partie du champ du possible. Mais la priorité politique du Gouvernement était de faire partager la renaissance de l'espoir et de poursuivre la lutte contre le virus sans arrêter l'activité, en permettant à la vie sociale de reprendre normalement, après une interruption très douloureuse pour beaucoup de Français, notamment âgés.

Il y a encore quinze jours, nous délibérions de la prolongation du régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire, système qui s'est révélé parfaitement inutile et inapproprié face à l'aggravation de la crise. Psychologiquement, notre pays se trouve dans une situation bien pire qu'en mars. À l'époque, il n'existait pas d'autre moyen que le confinement, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui, mais les autres moyens n'ont pas permis d'enrayer la reprise de l'épidémie. En outre, maintenant, nous savons à quel point le confinement est préjudiciable à la vie de la société et à l'économie et par conséquent encore moins acceptable qu'en mars.

Cet après-midi même, d'importantes décisions sont en cours de préparation. On évoque un reconfinement, territorialisé ou généralisé, ou une amplitude élargie du couvre-feu assortie d'un confinement le samedi et le dimanche. Ce n'est pas la même chose d'accepter la prorogation de l'état d'urgence sanitaire selon les mesures prises la semaine dernière ou selon celles qui se préparent.

Je suis embarrassé de présenter ce texte alors que nous sommes dans l'ignorance des contraintes qui seront imposées aux Français. Je suis également inquiet de devoir vous proposer de vous prononcer en laissant toute latitude au Gouvernement. Je pense que, heureusement, au moment du vote en séance, nous serons éclairés.

À l'exigence de responsabilité, qui doit nous faire considérer sans hostilité la nécessité de durcir les contraintes auxquels les Français se soumettent, doit correspondre une exigence de vigilance accrue de notre part.

Il était paradoxal, il y a quinze jours, de devoir délibérer de dispositions législatives prorogeant le régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire, alors que le lendemain, un simple décret a pu imposer des mesures plus contraignantes que celles sur lesquelles le Parlement délibérait. La loi du 23 mars, qui a créé l'état d'urgence sanitaire pour un an, a facilité davantage l'action de l'exécutif, mais, de manière paradoxale, elle conduit à ce que les mesures les plus contraignantes de ce régime puissent être décidées par décret. Cela pose question : quand nous avons adopté la loi précitée, nous n'avions pas totalement anticipé la situation actuelle.

Il est difficile d'assumer la confiance du Parlement envers le Gouvernement après l'échec de tous les instruments de lutte contre le virus. Nous ne devons pas hésiter à renforcer les outils de contrôle du Parlement. Dans ce moment de défiance et d'échec des mesures prises, on ne peut pas donner carte blanche à l'exécutif jusqu'au 1er avril prochain. Nous devons exercer notre vigilance en imposant un retour devant le Parlement anticipé par rapport à ce qui est prévu.

Aussi, je propose d'approuver la prorogation de l'état d'urgence sanitaire au-delà du 16 novembre, tout en prenant des dispositions pour que les pouvoirs exceptionnels du Gouvernement s'exercent sous le contrôle accru du Parlement, et en les limitant au 31 janvier 2021.

Le Gouvernement a prévu de faire revivre le régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire à la fin de la période, sans nouveau vote du Parlement. C'est complètement inutile. Si persiste après le mois de janvier un besoin d'outils spécifique, il faut que le Gouvernement soit contraint de repasser devant le Parlement pour proroger l'état d'urgence sanitaire et utiliser une partie de ses outils, sans recourir à cette fiction d'un régime distinct.

Un point est particulièrement délicat. Si des dispositions de contrainte maximale sont prises, peuvent-elles être appliquées jusqu'au 31 janvier sans contrôle du Parlement ? Si elles sont d'une force extrême, il faut que le contrôle du Parlement soit encore plus resserré.

L'actualité va plus vite que le travail législatif, mais j'ai préparé un amendement aux termes duquel le confinement ne pourrait être prolongé au-delà de douze jours que par la loi. Je me suis inspiré de la loi de 1955 sur l'état d'urgence. Lorsque celui-ci a été prononcé après les émeutes de 2005, puis les attentats terroristes, le Parlement a parfaitement su se réunir dans les douze jours. On pourrait s'accorder sur une prorogation déclenchée par décret à partir du 17 octobre, jusqu'au 16 novembre, tout en prévoyant, en cas de confinement, une autorisation du Parlement au-delà de douze jours. Si ces mesures sont décidées dès demain avant le vote de la loi, cet amendement sera caduc avant d'avoir été appliqué. C'est pourquoi je suis en train de chercher une solution sous une autre forme. Je vous propose donc de mettre cet amendement de côté et d'en reparler en séance. S'il n'était plus opportun, je vous proposerais une autre disposition afin qu'aucune mesure maximale ne puisse être mise en oeuvre sans vote du Parlement jusqu'au 31 janvier.

Un autre sujet concerne le contrôle du Parlement : celui des habilitations à légiférer par ordonnances. Pas moins de 70 habilitations sont prévues par le texte adopté par l'Assemblée nationale, sans objet précis. Le Gouvernement demande des habilitations de précaution. Il est bon d'être serviable, mais dans certaines limites, qui sont en l'occurrence allègrement franchies !

Nous avons beaucoup travaillé pour établir un inventaire des mesures qu'il est nécessaire de prendre par ordonnances, des mesures qui peuvent être inscrites dès maintenant « en clair » dans la loi, et des mesures qu'il est parfaitement inutile de prévoir dans une habilitation. Ainsi, nous réduirions leur nombre de 70 à 30. Pour certaines habilitations, je propose que l'on permette seulement de prolonger leur durée d'application jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire, sans possibilité pour le Gouvernement d'en modifier le contenu.

Enfin, le Gouvernement a déposé il y a quinze jours un amendement assouplissant le régime des procurations pour les élections régionales et départementales. Quelques jours plus tard, au lieu de penser à sécuriser les scrutins de mars prochain, il a confié à un ancien président du Conseil constitutionnel, également ancien président de l'Assemblée nationale, une mission sur leur report.

En démocratie, on ne doit se poser cette question que si l'intérêt général, c'est-à-dire la sécurité sanitaire, ne peut pas être atteint par d'autres moyens. Est-on vraiment incapable d'assurer un scrutin sécurisé en mars 2021 alors que l'enseignement, les transports, le travail des entreprises et des administrations, et nombre d'activités se poursuivent ? Tout serait possible, sauf de se rendre dans un bureau de vote ? Il est important de montrer que nous sommes attachés au fonctionnement normal de la démocratie. Plus le pays doit lutter contre la covid-19, plus on a besoin de démocratie. Imaginez que nous soyons en période d'élection présidentielle. Faudrait-il réviser l'article 6 de la Constitution pour prolonger le mandat du Président de la République, afin qu'il continue à gérer la crise sanitaire, et retarder le scrutin ? En tant que démocrate, je suis profondément heurté par l'idée de reporter l'élection plutôt que de l'organiser de façon sécurisée.

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