Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 26 janvier 2021 à 21h30
Code de la justice pénale des mineurs — Discussion générale

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, songeons un instant à cette phrase écrite dans le préambule de l’ordonnance du 2 février 1945 : « La France n’est pas assez riche de ses enfants pour en négliger un seul. » Gardons-la à l’esprit alors que nous débattons aujourd’hui de ce projet de réforme. À la lecture de ces mots, il est difficile de douter de la philosophie initiale, claire, qui présidait au texte fondateur de la justice pénale des mineurs.

Au-delà de la sanction, cette justice spécifique vient protéger les mineurs d’eux-mêmes, de leur immaturité et de leur méconnaissance des nombreux pièges et embûches de nos sociétés modernes, des maux contre lesquels leur jeune âge ne les prémunit pas toujours, mais auxquels il tend au contraire plutôt à les exposer.

Il s’agit aussi d’une justice bâtisseuse et non punitive, qui, parce qu’elle prend en charge des personnes naturellement en pleine construction, repose sur le principe fondateur de la primauté de l’éducatif sur le répressif.

Ce projet de réforme par ordonnance, quarantième modification législative en la matière, a été engagé par le Gouvernement en mars 2019. Il se donnait pour objectif de construire « une justice pénale des mineurs plus lisible et efficace ». Cet objectif n’est apparemment pas atteint.

Les syndicats de magistrats et les chefs de juridiction vous avaient alerté, monsieur le garde des sceaux : le délai prévu avant l’entrée en vigueur de la loi, fin mars au mieux, était bien trop court pour permettre la mise en place de la réforme dans de bonnes conditions. Vous vous êtes prononcé en faveur du report du délai d’application au 30 septembre 2021, introduit par la commission des lois. Dont acte !

Ce projet de loi met non seulement l’accent sur le répressif, mais il s’engouffre aussi dans le rapprochement problématique entre la justice des mineurs et celle des majeurs. À cet égard, certaines dispositions nous interpellent.

Nous demandons la suppression de l’article L. 121-7 du code de la justice pénale des mineurs, qui prévoit une exception à l’excuse de minorité, ainsi que celle de l’article L. 413-1, qui prévoit la retenue par un officier de police judiciaire, pour une durée allant jusqu’à douze heures, d’un mineur âgé de 10 à 13 ans.

Le texte gouvernemental ne prévoit qu’une présomption simple, à savoir que le juge des enfants pourra, à l’issue d’un débat contradictoire, déclarer un mineur de moins de 13 ans responsable s’il a fait preuve de discernement au moment des faits. C’est inacceptable, juridiquement et moralement.

Nous proposons que la présomption d’irresponsabilité s’appliquant à ces enfants soit irréfragable et que le seuil de 14 ans, déjà appliqué dans plusieurs pays européens, soit retenu en France. Ajoutons que la convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU prévoit un seuil d’irresponsabilité pénale, qui n’a jamais été mis en place en France.

Enfin, nous refusons l’application du principe de la surveillance électronique, ou bracelet électronique, au mineur.

Plutôt que d’être coercitive, la justice des mineurs a surtout besoin de moyens.

Ce texte est loin de nous satisfaire. Nous tenterons de l’amender, espérant qu’une bonne réforme de la justice pénale des mineurs soit encore possible. Si nous n’y parvenons pas, nous voterons contre.

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