Intervention de Philippe Bas

Réunion du 27 janvier 2021 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation sanitaire est grave. Après plusieurs semaines de couvre-feu, d’abord à vingt heures, ensuite à dix-huit heures dans certains départements, puis sur tout le territoire national, et après le reconfinement de l’automne, force est de le constater : malgré tous les efforts des Français et ceux des autorités sanitaires, la dynamique de l’épidémie n’a pu être cassée.

Nous le savons, depuis quelques jours, un reconfinement général de la population est envisagé sous diverses modalités. Si cette mesure n’a pas encore été décidée, elle est sur la table et pourrait survenir dans les prochains jours.

Dans les circonstances que traverse notre pays, chacune et chacun d’entre nous doit naturellement prendre ses responsabilités. Or la bonne position est difficile à trouver, car nous sommes sur une ligne de crête. Trop de restrictions mettent en péril non seulement l’activité économique mais aussi le moral des Français, voire la santé psychique d’un certain nombre de nos compatriotes – je pense en particulier à nos jeunes et à nos anciens –, mais une discipline insuffisante, trop peu de restrictions à nos libertés, mettent en péril la vie des personnes les plus vulnérables face à l’épidémie.

Monsieur le ministre, vous n’avez cessé de vouloir suivre cette ligne de crête. De notre côté, nous nous sommes efforcés de donner aux autorités sanitaires les moyens de la tenir.

Si nous n’avons pas voté tous les textes de loi relatifs à l’état d’urgence sanitaire qui nous ont été présentés, ce n’est pas parce que nous contestions la nécessité de prendre des mesures qui, malheureusement, restreignent les libertés fondamentales des Français. C’est précisément parce que nous étions conscients de la nécessité de ces mesures et que notre approche démocratique de la question nous conduisait à vous poser la question suivante : qu’y a-t-il de gênant pour le Gouvernement à revenir régulièrement devant le Parlement – c’est tout le sens de votre présence aujourd’hui – pour obtenir son autorisation ?

Combien plus fort est un gouvernement quand, au lieu d’agir seul, il s’adosse régulièrement au vote de la représentation nationale ! Ce suffrage atteste devant les Français de la nécessité des mesures exceptionnelles qui doivent être mises en œuvre.

Mes chers collègues, aujourd’hui, la situation sanitaire justifie pleinement que le Gouvernement nous saisisse de ce projet de loi pour prolonger l’état d’urgence sanitaire au-delà du 16 février 2021. Il n’aurait pas le droit de le faire si nous ne nous prononcions pas.

M. le ministre pourrait faire état de données plus récentes que celles dont je dispose, mais je vais tout de même vous livrer les chiffres que j’ai sous les yeux. Ils datent du 23 janvier dernier. Depuis lors, la situation n’a malheureusement pas évolué dans le bon sens.

Au cours de cette journée, 24 000 contaminations ont été détectées. L’indicateur de reproduction effective du virus était de 1, 1 – en d’autres termes, dix personnes contaminées en ont contaminé onze : ce n’est pas encore une explosion, mais le chiffre est excessif et l’on ne peut pas laisser la situation en l’état. Le taux d’occupation des lits de réanimation était quant à lui de 57 %, ce qui dans certains cas pose problème pour le traitement de malades atteints d’autres affections que le covid.

En conséquence, même si la vaccination progresse – M. le ministre s’en est expliqué lors de son audition la semaine dernière –, elle n’avance certainement pas à un rythme permettant de nous faire espérer que le déploiement du vaccin, ajouté à la discipline que les Français s’imposent à eux-mêmes, suffira pour enrayer la dynamique de cette épidémie.

Je suis donc obligé de vous le dire, bien sûr à regret, notre responsabilité est bien d’accepter la prorogation de l’état d’urgence sanitaire. Toutefois, j’ajoute que nous ne pouvons pas le faire à n’importe quel prix.

Monsieur le ministre, je vous remercie de votre propos. J’y ai décelé une ouverture à l’égard des travaux du Sénat et je m’en réjouis. Pour ce qui nous concerne, nous faisons preuve d’une constance absolue. Le Sénat est sans surprise : il ne varie pas. Il a sa ligne, que j’ai rappelée à l’instant – responsabilité et vigilance – et qui se traduit par une exigence, celle du contrôle parlementaire.

Il ne s’agit en aucun cas d’une marque de défiance et nous aurions la même attitude face à un autre gouvernement. Mais nous ne voulons pas signer de chèque en blanc. D’ailleurs, ce n’est pas ce que vous nous demandez ; mon propos ne se veut pas excessif !

Nous souhaitons simplement nous assurer que le Gouvernement ne reste pas plus de deux mois et demi sans revenir devant le Parlement pour demander l’autorisation de restreindre les libertés.

Vous qui êtes ministre de la santé, vous devez avoir conscience que le ministre de l’intérieur, tous gouvernements confondus, n’a jamais exigé des Français autant de restrictions aux libertés que celles imposées pour lutter contre le covid. Or, dans un État de droit, dans une vieille République que nous chérissons tous, on ne saurait s’habituer à de telles restrictions, du moins sans un contrôle parlementaire effectif. Je le répète, vous n’avez rien à craindre d’un tel contrôle, puisqu’il est responsable.

Aussi, nous ferons ce que nous avons fait pour tous les textes que vous nous avez soumis. Nous disons oui à l’état d’urgence sanitaire, mais pour deux mois et demi, c’est-à-dire jusqu’au début mai. Passons le week-end du 1er mai, avec ses probables transhumances, et allons au 3 mai : tel est notre souhait.

Si vous avez besoin, parce que la France l’exige, de prolonger les restrictions aux libertés pour lutter efficacement contre l’épidémie, ne doutez pas que le Sénat sera au rendez-vous.

Enfin, j’insiste sur un second point à nos yeux très important. Si, dans les jours qui viennent, en dehors de l’enceinte de l’Assemblée nationale ou du Sénat, l’exécutif décidait d’un reconfinement, nous vous demandons de revenir devant nous si la durée de ce reconfinement devait dépasser un mois.

On peut résumer cette mécanique, qui vous paraît peut-être un peu complexe, de la façon suivante. Le régime d’état d’urgence sanitaire est de nature temporaire. Tant qu’il existe, il peut être activé ou non. Quand nous l’activons, nous demandons que la période durant laquelle le Gouvernement ne revient pas devant le Parlement soit au maximum de deux mois et demi. Et si, après que nous l’avons activé, les pouvoirs exceptionnels exercés par le Gouvernement conduisent à un reconfinement, nous voulons que ce dernier soit réduit à un mois.

Cette demande vous paraît-elle exorbitante ? Je vous réitère, de bonne foi, l’assurance de notre responsabilité face à la gestion de la crise : elle est étayée par le fait que notre vote ne vous a jamais fait défaut pour exercer les pouvoirs de santé publique nécessaires afin de juguler l’épidémie.

Monsieur le ministre, vous avez montré votre ouverture d’esprit et, pour ce qui me concerne, je souhaite vivement que nous aboutissions à un accord. Cette discipline est très difficile à supporter pour les Français et elle le sera de plus en plus. Or, si le Sénat, tête de pont des collectivités territoriales de la République, accompagne votre politique, celle-ci sera sans doute plus efficace, car mieux comprise par les Français !

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