Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 27 janvier 2021 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 24 janvier 2020, la France enregistrait son tout premier cas de covid-19. Un an après, les Français subissent encore les conséquences de l’impréparation manifeste des pouvoirs publics, des tergiversations et des multiples contradictions dans la stratégie d’action et de communication du Gouvernement, au sujet des masques, des tests et des vaccins. N’oublions pas non plus le déplorable manque de moyens dont souffrent l’hôpital public et, plus largement, le service public de la santé.

Parmi les erreurs dans la gestion de la covid-19 figure l’opportunité ratée, à l’été 2020, d’impulser une augmentation structurelle de nouveaux lits de réanimation plutôt que de se contenter de créations temporaires et trop peu nombreuses, comme cela a été le cas.

Les Français se sont alors trouvés à nouveau confinés à la sortie de l’été, face à une deuxième vague à laquelle ils n’étaient pas préparés, alors même que l’on savait qu’elle s’annonçait. Qui, enfin, peut oublier l’imbroglio à répétition des approvisionnements tardifs et insuffisants en masques, en tests PCR, et désormais en vaccins ?

De même, le Gouvernement nous incitait à voter au premier tour des municipales le 15 mars 2020, puis décrétait un confinement national le lendemain. Il autorisait un déconfinement à l’été 2020, pour remettre en place un confinement à l’automne ; reconfinement qui a pris fin au début de l’hiver, pour être remplacé par un couvre-feu. Vous reconnaîtrez que la stratégie est illisible. L’évolution de la maladie y est, certes, aussi pour beaucoup.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, vous demandez à cette assemblée de proroger de nouveau l’état d’urgence sanitaire. Il s’agit du quatrième texte en ce sens. Si nous ne pouvons ignorer la persistance de cette épidémie, nous ne pouvons pas non plus nous empêcher de poser la question suivante : combien de temps encore durera cette urgence ? Combien de temps avant que le Gouvernement se procure un nombre suffisant de vaccins, pendant que plus de 300 personnes décèdent par jour de cette maladie ? Si urgence il y a, elle impose de toute évidence d’agir vite, avec efficacité et bon sens. Est-ce bien le cas ?

Nous contestons l’utilité d’un état d’urgence pour lutter efficacement contre la covid-19. Devons-nous rappeler au Gouvernement que nous n’étions pas sous le régime de l’état d’urgence sanitaire lorsque le premier confinement a été décidé, à la mi-mars 2020 ?

Laisser la gestion de la pandémie entre les mains du seul exécutif pendant un temps aussi long n’est, de toute évidence, une disposition ni nécessaire ni proportionnée. Il est, de surcroît, indispensable d’œuvrer avec les élus locaux d’une manière coordonnée.

Si les conditions sanitaires impliquent des mesures fortes, il n’est pas souhaitable, dans un état démocratique comme le nôtre, de priver, en quelque sorte, le Parlement de sa capacité à légiférer et de réduire à peau de chagrin ses possibilités de contrôle.

Nos institutions sont durement et profondément éprouvées par cette succession d’états d’urgence qui menacent désormais les fondements mêmes de notre démocratie. Le risque d’accoutumance aux régimes d’exception est bel et bien réel et a été dénoncé tant par la Défenseur des droits que par le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH.

Un régime d’exception qui finit par s’ancrer par la pratique dans le droit commun n’est plus un régime d’exception. Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne pourra que voter contre cette énième prorogation de l’État d’urgence sanitaire. On ne saurait indéfiniment mettre tout un pays sous cloche ni accepter que tout un peuple, déjà en proie aux affres d’une pandémie redoutable, voie ses libertés rognées un peu plus chaque jour.

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