Intervention de Françoise Dumont

Réunion du 27 janvier 2021 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo de Françoise DumontFrançoise Dumont :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et reportant la date de caducité des régimes institués pour faire face à la crise sanitaire.

Son article 1er reporte au 31 décembre prochain la caducité du régime d’état d’urgence sanitaire, initialement fixée au 1er avril.

L’article 2, qui prorogeait jusqu’au 1er juin de cette année l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national, a été modifié par la commission des lois pour ramener cette limite au 3 mai, sur l’initiative du rapporteur, dont je salue les travaux sur ce texte.

Notre collègue a fait adopter un autre amendement, aux termes duquel aucune mesure de confinement ne pourra être prolongée au-delà d’un mois pendant l’état d’urgence sanitaire sans l’autorisation préalable du Parlement. Je soutiens cette mesure également.

De même, à l’article 4, qui reportait au 31 décembre prochain la caducité des systèmes d’information institués pour suivre l’évolution de l’épidémie, la commission des lois, toujours sur l’initiative du rapporteur, a avancé l’échéance au 1er août, soit trois mois après la date du 3 mai, par souci de cohérence.

L’article 5 du projet de loi étend à l’outre-mer les dispositions qui le nécessitent.

Enfin, l’article 3, prorogeant jusqu’au 30 septembre prochain le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire, a été supprimé par nos collègues de l’Assemblée nationale. Je m’en félicite, car il paraît essentiel aux sénateurs Les Républicains que le Gouvernement justifie régulièrement sa politique en la matière devant le Parlement.

Notre groupe a voté les précédentes prorogations par souci de responsabilité devant les Français, et non par confiance en la politique sanitaire du Gouvernement.

Mes chers collègues, nous le savons bien : de telles mesures ne sont pas neutres. De fait, nous parlons de réduire, même temporairement, les libertés individuelles de nos concitoyens. Nous devons donc peser chacune des dispositions qui nous sont soumises avec prudence et justesse, d’autant qu’il s’agit du quatrième – tout de même – projet de loi sur l’état d’urgence sanitaire et, nous l’espérons, du dernier.

En creux, la question de la stratégie vaccinale se pose.

Voilà deux semaines, monsieur le ministre, lors des questions d’actualité au Gouvernement, j’avais appelé votre attention sur l’importance d’un travail en cohérence avec les élus locaux pour assurer au mieux et le plus rapidement possible le déploiement de la vaccination.

La semaine dernière, vous laissiez entendre que quelques élus locaux ne seraient pas responsables, du fait qu’ils ouvraient des créneaux de rendez-vous surnuméraires pour avoir plus de doses ; en outre, vous assuriez que les maires auraient une visibilité à quatre semaines sur la distribution des doses. L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) a dû publier un communiqué de presse pour démentir ces deux affirmations.

Un creux se fera sentir dans la vaccination des primo-vaccinés aux environs du mois de février, au moment même où, selon les projections, une nouvelle vague devrait submerger notre pays, ce qui est source d’une grande crainte. Des restrictions de liberté encore plus fortes seront alors très probablement envisagées.

Quand des pays comme l’Angleterre entrevoient 15 millions de vaccinés à la mi-février et que d’autres, comme Israël, qui compte déjà 7 millions de vaccinés, tablent sur 70 % de leur population vaccinée en mars, comment pouvons-nous nous contenter de l’espoir de 1, 3 ou 1, 4 million de vaccinés à la fin du mois ?

Vous nous demandez encore une fois de vous accorder un pouvoir exceptionnel – en somme, de vous faire confiance.

Pourtant, voilà moins d’une semaine, auditionné par la commission des lois, vous avez donné pour meilleure ligne d’horizon à l’été 15 millions de personnes vaccinées, parmi les plus fragiles, en précisant : « Avec toutes les personnes qui sont en maladie chronique et les personnes âgées de 60 ans et plus, on est plus proche des 25 à 30 millions de personnes, ce qui veut dire que, même avec la meilleure organisation et tous les approvisionnements qui arriveraient en temps et en heure, nous ne pourrions avoir vacciné tous les publics fragiles d’ici à l’été. »

Le soir même, miracle ! Vous annoncez à la télévision pouvoir vacciner d’ici à la fin d’août 70 millions de Français – soit plus que les 67 millions que nous sommes…

Monsieur le ministre, comment expliquez-vous cette différence faramineuse entre deux annonces faites le même jour ? Le chiffre donné le soir est-il tenable, réaliste, ou ne répond-il pas plutôt à l’assaut de critiques faisant suite au retard à l’allumage dans la livraison des vaccins et à votre manque d’ambition initial dans la stratégie vaccinale ?

Pour atteindre cet objectif, il faudrait, mes chers collègues, que la France soit en mesure de vacciner environ 327 000 personnes par jour, sept jours sur sept, entre le 1er février et la fin d’août, sans aucune rupture dans les livraisons de vaccins et de matériels – et encore, en supposant que les prochains vaccins soient rapidement autorisés sur le marché…

Or, justement, nous avons appris le week-end dernier que, après Pfizer et BioNTech, le laboratoire AstraZeneca annonçait des difficultés de production qui devraient conduire à un manque de l’ordre de 50 % dans les livraisons de vaccins prévues pour la France au premier trimestre de cette année. Le ministère de la santé a confirmé cette information hier. Ainsi, au lieu des 17, 5 millions de doses de décembre à mars prévues par le contrat initial, Paris n’en attendrait plus que 9 millions en février et mars.

Dimanche soir, le professeur Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique, a remis en question votre annonce de jeudi dernier, en expliquant : « Le problème de la pénurie relative des vaccins existe dans l’ensemble de l’Europe, mais aussi aux États-Unis ; on va vacciner un maximum de gens, probablement 6 à 8 millions de personnes d’ici à la mi-avril, mais il va nous falloir du temps, beaucoup de temps ; d’ici à la fin de l’été, on aura vacciné 40 % de la population française, pas plus. »

Lequel de ces scénarii est-il le plus probable ? Les prochains mois nous le diront sûrement. En tout cas, ces annonces ne doivent pas cacher la réalité de la situation actuelle : pendant ce temps, au-delà de la situation sanitaire terrible pour les Français, c’est une économie qui se meurt.

Je pense aux restaurants, aux bars et aux cafés, fermés depuis des mois et auxquels on fait miroiter désormais une possible ouverture en avril, après le fiasco de la date du 20 janvier. Je pense aux professionnels de la montagne, qui vont connaître une saison blanche, et aux professionnels du tourisme, qui misent tout sur la prochaine saison estivale. Aux professionnels de la culture, aussi, qui n’attendent que de voir rouvrir cinémas, théâtres et espaces de spectacle et de concert. Je pense encore aux professionnels de l’aviation. Et à tant et tant d’autres secteurs que je ne puis pas mentionner : les « non-essentiels », en réalité si vitaux pour notre économie et pour nos vies, bien malmenés ces derniers mois.

Monsieur le ministre, vous le comprenez, nous avons des réticences à vous donner encore ce pouvoir immense, en particulier après votre double message du 21 janvier dernier. Pourtant, comme les fois précédentes et comme il le fera toujours, le groupe Les Républicains du Sénat prendra ses responsabilités vis-à-vis des Français. C’est pourquoi, au regard de la situation sanitaire dégradée, nous voterons votre projet de loi, en respectant les équilibres résultant des propositions du rapporteur et des travaux de la commission des lois.

Nous le ferons pour garantir le dialogue démocratique et les libertés des Français, mais nous attendons du Gouvernement qu’il prenne la mesure de la situation dans ce contexte tout à fait inédit et qu’il ne cherche pas à pérenniser – pour ne pas dire banaliser – cette exception qu’est et doit rester un état d’urgence. Mes chers collègues, gardons en mémoire cette phrase de Victor Hugo, notre devancier dans cette chambre haute : « Sauvons la liberté, la liberté, sauve le reste ! »

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