Intervention de Christophe-André Frassa

Réunion du 18 février 2021 à 14h30
Élection du président de la république — Discussion générale

Photo de Christophe-André FrassaChristophe-André Frassa :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous entamons donc l’examen de ce projet de loi organique relatif à l’élection du Président de la République, texte indéniablement important pour le bon déroulement de l’élection la plus centrale des institutions de la Ve République, mais qui, pour autant, voilà encore quelques jours, n’en demeurait pas moins en grande partie technique.

C’est ainsi que le rapport présenté par Stéphane Le Rudulier, la semaine dernière, relevait que ce texte de « toilettage » comprenait « divers ajustements techniques dans la perspective de l’élection présidentielle du printemps 2022 ». C’était nécessaire au regard des évolutions du code électoral depuis le dernier scrutin.

C’est ainsi que ce texte organique détermine un certain nombre des paramètres nécessaires au déroulement de l’élection : modalités de convocation des électeurs, règles applicables aux parrainages, au vote des détenus, aux comptes de campagne, aux procurations ou encore aux Français de l’étranger.

Je ne reviendrai pas en détail sur ces points, qui n’ont, pour la plupart, pas fait l’objet de difficultés insurmontables.

Les travaux de notre commission des lois ont volontiers suivi cette logique de toilettage. Pour cela, elle a procédé à un certain nombre d’améliorations de nature à faciliter et à moderniser le déroulement de la campagne et du scrutin.

Il en est ainsi de la publication en open data des comptes de campagne, utile gage de transparence du processus électoral, ou encore de l’ouverture des parrainages aux vice-présidents des conseils consulaires.

Cette dernière mesure, à laquelle, vous l’imaginez, je suis assez sensible, est réclamée depuis 2015 par le Sénat. Bien qu’elle ne concerne que 152 vice-présidents et – bientôt – présidents de conseil consulaire, elle constitue la reconnaissance de leur engagement au service de la démocratie, y compris hors de nos frontières.

Enfin, à la suite du report des élections départementales et régionales, que nous avons voté en début de semaine, il a paru judicieux à la commission de prendre les mesures s’imposant afin d’éviter que ne se chevauchent les périodes des comptes de campagne de ces scrutins et de l’élection présidentielle.

Si mon intervention se limitait à ces considérations « techniques », elle passerait à côté de ce qui est devenu, par la force des choses et, surtout, des choix de l’exécutif, le point le plus saillant de l’examen du projet de loi organique : je parle bien évidemment, mes chers collègues, de la question du vote par anticipation au moyen de machines à voter.

Par un amendement présenté ce mardi, à la veille de la réunion de la commission des lois sur les amendements extérieurs, le Gouvernement a proposé d’intégrer dans la loi organique un dispositif complexe et inédit instaurant le vote par anticipation à la présidentielle de 2022. Ce dispositif, qui, forcément, ne figure ni dans l’étude d’impact ni dans l’avis du Conseil d’État, nous arrive en queue de processus législatif, pratiquement au stade de la commission mixte paritaire.

Même si nous sommes malheureusement accoutumés à ces coups de théâtre du troisième acte, cela interroge tout de même sur l’approche du débat parlementaire qu’a le Gouvernement.

Le fond de l’amendement n’en soulève pas moins des interrogations : il s’agirait de permettre aux électeurs de voter le mercredi précédant la date normale du scrutin dans une liste de communes – probablement les chefs-lieux de département – au moyen de machines à voter électroniques.

D’une part, avons-nous les moyens de déployer, sous un an, sans expérimentation préalable ni travaux en profondeur, des machines à voter qui garantissent toutes les conditions de sécurité technique et procédurale ? Peut-être au prix d’un effort logistique considérable avec un énorme risque potentiel…

D’autre part, et de manière plus grave encore, cet amendement pose des questions d’ordre démocratique. Privilégier certaines grandes communes découle peut-être de considérations logistiques, mais revient à engendrer une rupture d’égalité devant le vote, certaines personnes vivant loin de ces villes.

Ceux de nos collègues qui, dans le cadre des travaux de la mission d’information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane, se sont rendus à Maripasoula, dans la forêt amazonienne, témoigneront sans peine des difficultés existant pour se rendre au chef-lieu de certains territoires ultramarins.

Le même problème, à une échelle moindre, se retrouvera dans de nombreux territoires ruraux de l’Hexagone. Dans le contexte politique actuel, cela relèverait d’un bricolage susceptible d’engendrer des suspicions sur les objectifs du Gouvernement et d’endommager, ce faisant, la sincérité du scrutin.

En outre, le vote anticipé pose la question du changement de vote. Que se passerait-il si les événements faisaient que l’électeur décide de modifier son choix entre le mercredi et la fin de la semaine ? Pourrait-il voter de nouveau et remplacer son ancien vote ? Ou serait-il contraint de s’en tenir à un choix qui n’est déjà plus le sien ?

Je n’entrerai même pas dans le détail de la critique qui peut être faite du principe du recours aux machines. Cette pratique existe effectivement dans certaines communes, mais n’oublions pas que ce principe fait l’objet, depuis la présidentielle de 2007, d’un moratoire en raison des risques de fraude identifiés par le Conseil constitutionnel lui-même.

Comme ont pu le relever les membres de la mission d’information sur le vote à distance mise en place par la commission des lois à la fin de l’année dernière, l’éventuel intérêt théorique et à moyen terme d’une évolution du droit électoral ne signifie pas qu’elle doive s’appliquer immédiatement et sans préparation, a fortiori quand l’enjeu est l’élection du Président de la République.

J’espère donc que le Gouvernement aura la sagesse de reconnaître l’inopportunité de cet amendement et le retirera.

En conclusion, le groupe Les Républicains votera donc le texte du projet de loi organique dans sa rédaction issue des travaux de la commission des lois.

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