Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Réunion du 8 mars 2021 à 16h00
Droit au respect de la dignité en détention — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est un constat que nous avons tous fait cet après-midi : la France fait partie des États européens dont les prisons sont les plus encombrées et dont la population pénale augmente. Au 1er janvier 2020, elle comptait 70 651 détenus pour 61 080 places opérationnelles, portant ainsi la densité carcérale globale à 115, 7 %.

Alors même que le principe d’encellulement individuel est inscrit dans notre droit depuis 1875, cette surpopulation chronique emporte de graves conséquences sur les droits et la dignité des détenus.

Entre 2015 et 2017, trente-deux requêtes ont été déposées par des personnes détenues en métropole et en outre-mer auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a, le 30 janvier 2020, condamné notre pays à résorber l’inflation carcérale et à instituer un recours préventif et effectif, permettant aux personnes détenues de faire cesser ces atteintes graves à leurs droits fondamentaux.

Dans un arrêt du 8 juillet 2020, la Cour de cassation, concernant un placement en détention provisoire, posait le principe selon lequel des conditions indignes de détention sont susceptibles de constituer un obstacle à la poursuite de cette détention.

Cette solution, entre maintien en détention et libération sèche, ne pouvait pas être considérée comme satisfaisante. Aussi, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a, le 2 octobre dernier, décidé l’abrogation à la date du 1er mars 2021 du second alinéa de l’article 144-1 du code de procédure pénale, qui prévoyait la remise en liberté d’une personne placée en détention provisoire, lorsque les conditions de ce placement cessaient d’être remplies. Il laissait par conséquent six mois au législateur pour faire respecter ce droit à être incarcéré dans des conditions qui ne violent pas la dignité humaine.

La présente proposition de loi, sur laquelle le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel, en créant un dispositif équilibré, à la fois protecteur des droits des détenus et garant de la sécurité des Français. S’inscrivant dans une démarche transpartisane initiée par le président Buffet, que je remercie, elle s’inspire de la proposition que vous aviez, monsieur le garde des sceaux, communiquée pour avis au Conseil d’État le 1er décembre dernier et dont la commission des lois avait été destinataire. Son adoption sous forme d’amendement à l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif au Parquet européen n’a pas été possible, car cet amendement a été déclaré irrecevable au regard de l’article 45 de notre Constitution.

Je ne pense pas qu’il soit utile de gloser sur le retard pris dans le vote de ces dispositions. Il me semble que la responsabilité est collective. Je crois utile de rappeler que l’initiative de la loi appartient également au Parlement.

Cette parenthèse refermée, le dispositif créé ne constitue pas à lui seul la solution pour améliorer les conditions de détention dans notre pays – nous en sommes tous d’accord. Ces dernières années, des mesures ont été prises pour incarcérer plus dignement.

S’il est vrai que l’incarcération est nécessaire dans certains cas, la peine est bien la privation de la liberté, et non la privation de la dignité, comme vous l’avez indiqué, monsieur le garde des sceaux.

Le Président de la République s’est engagé à créer 15 000 places de prison d’ici à 2027 ; 7 000 sont en cours de livraison. Je salue d’ailleurs la création de 981 places de prison supplémentaires en outre-mer ces dernières années, dont 182 dans mon département.

Un rapport de 2014, commandé par l’ancienne garde des sceaux, Mme Christiane Taubira, avait dressé un constat particulièrement alarmant sur le surpeuplement de certains établissements ultramarins. Ces constructions ont permis de réduire le taux moyen d’occupation carcérale dans ces territoires : il est passé de 130, 7 % en 2012 à 113 % en 2019. À l’horizon de 2026, nous attendons 1 156 places supplémentaires.

Néanmoins, la prison n’est pas la seule solution, et je me félicite que des alternatives à la détention soient aussi développées. C’est le sens d’une réponse pénale adaptée, proposée chaque fois qu’elle est possible et utile.

Le groupe RDPI votera donc en faveur de cette proposition de loi, qu’il a cosignée et qui permet un recours effectif devant le juge judiciaire pour faire constater des conditions de détention contraires à la dignité humaine et y mettre fin. Il est bien évident que les mesures mises en place pour désengorger les prisons doivent être poursuivies.

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