Intervention de Philippe Bas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 24 mars 2021 à 10h15
Projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la constitution et relatif à la préservation de l'environnement — Audition de M. Dominique Rousseau professeur émérite de droit public à l'université paris 1 panthéon-sorbonne

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

J'ai beaucoup apprécié cette intervention, votre propos est toujours stimulant, mais je crois que le débat doit se poursuivre sur la question de la portée juridique de cette révision constitutionnelle. Car si elle devait aboutir, le Conseil constitutionnel en chercherait l'effet utile, en postulant que le peuple français ne se s'est pas dérangé pour rien.

Or, s'il est vrai qu'aucun droit n'est absolu, mais qu'il y a des droits à concilier - c'est ce que fait le législateur, sous le contrôle du Conseil constitutionnel - il me semble que, dans sa rédaction actuelle, le texte du projet de loi constitutionnelle est composé de deux parties qui peuvent avoir des effets bien différents sur notre droit.

Une partie me semble ne poser aucun problème pour la conciliation des droits : lorsqu'on écrit que la France « lutte contre le dérèglement climatique », on n'oblige à aucun résultat - et si nous luttons comme le faisait la chèvre de M. Seguin, qui s'en trouve dévorée à la fin par le loup, nous aurons fait notre devoir contre le dérèglement climatique tout en échouant et sans que le Conseil constitutionnel puisse y trouver rien à redire. Reste que nous inscririons utilement dans la Constitution un objectif de valeur constitutionnelle qui ne figure pas expressément dans la Charte de l'environnement - cela peut avoir son importance si un dirigeant climatosceptique à la manière de Jair Bolsonaro venait à diriger notre pays.

En revanche, lorsqu'on écrit que la France « garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique », la conciliation des droits est placée dans un cadre bien différent. Je ne suis pas convaincu par votre recours à l'exemple de l'égalité des droits entre les hommes et les femmes, car s'il a fallu alors inscrire dans la Constitution ce principe d'égal accès aux mandats et aux responsabilités, c'est pour donner une base constitutionnelle qui justifie des mesures favorables aux femmes, lesquelles viennent corriger une situation de fait, elle-même due à l'état de la société - car le principe d'égalité inscrit dans le préambule de la Constitution interdisait jusque-là de telles mesures. Je crois qu'il y a une différence entre « favoriser » et « garantir ».

Quand, à son article 2, la Charte de l'environnement dispose que « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement » - ce qui inclut le législateur, comme le Conseil constitutionnel l'a jugé - elle n'oblige pas à grand-chose, car on peut prendre part sans obligation de réussir. Lorsqu'à l'article 6, il est écrit que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable » et qu'« à cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social », le texte s'inscrit dans la même logique intellectuelle que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui ne proclame aucun droit sans poser aussitôt les limites de ce droit, à savoir d'autres droit ou l'ordre public. Cet article 6 reste donc dans un monde connu. En revanche, si la France s'engageait à « garantir » la préservation de l'environnement et de la biodiversité, on ne pourrait plus guère en tolérer la moindre atteinte à ces derniers, on en ferait un impératif absolu, qui primerait nécessairement les autres droits. J'aimerais être démenti, mais c'est bien ce que cette partie de la révision constitutionnelle me paraît sous-tendre.

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