Notre commission a déjà abordé plusieurs fois le sujet du suivi des terroristes à l'issue de leur détention. Je vous présenterai le contexte législatif de ce texte, avant d'en justifier la nécessité et de détailler la procédure que nous avons retenue.
Notre parcours commence avec la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT). Comme celle-ci contenait des mesures attentatoires aux libertés, il avait été prévu que certaines feraient l'objet d'un suivi parlementaire particulier et qu'elles expireraient au 31 décembre 2020. Marc-Philippe Daubresse, chargé de ce suivi, a émis des recommandations en février 2020, à l'occasion de son rapport sur le bilan du suivi de cette loi, parmi lesquelles la création d'un dispositif postérieur à la sentence permettant le suivi des terroristes sortant de prison. Philippe Bas et lui-même ont donc déposé une proposition de loi en ce sens, de même que, quelques jours plus tard, Yaël Braun-Pivet à l'Assemblée nationale. C'est cette dernière proposition de loi, dont Jacqueline Eustache-Brinio a été la rapporteure au Sénat, qui a été adoptée le 27 juillet dernier à la suite d'une commission mixte paritaire conclusive.
La loi votée par le Parlement instaurait notamment une mesure judiciaire de sûreté à destination des personnes condamnées pour des actes de terrorisme, fondée sur la dangerosité de la personne sortant de prison et caractérisée par une série d'obligations et d'interdictions ayant une visée de surveillance, ainsi que par des dispositifs ayant plutôt une visée de réinsertion. La mesure a toutefois été invalidée par le Conseil constitutionnel ; c'est à la suite de cette décision que François-Noël Buffet a déposé le texte que nous examinons aujourd'hui, qui vise à réintroduire cette mesure de sûreté tout en veillant à respecter la décision du Conseil constitutionnel.
Plusieurs mesures existantes permettent le suivi des terroristes sortant de prison, mais elles restent insuffisantes. L'on dispose en premier lieu des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas). La décision de mettre en oeuvre une Micas est prise par le ministre de l'intérieur ; elle vise à prévenir le trouble à l'ordre public. La personne visée est soumise à une liste d'obligations et d'interdictions contraignantes. Le Conseil constitutionnel a validé ce dispositif administratif dès lors que sa durée, continue ou discontinue, est limitée à douze mois, durée qui s'avère cependant trop brève pour assurer un réel suivi. Par ailleurs, les Micas ne prévoient aucun dispositif d'accompagnement à la réinsertion.
Une autre mesure existante est le suivi socio-judiciaire ; il ne s'agit pas d'une mesure de sûreté, mais d'une peine prononcée par la juridiction qui condamne la personne. Outre des obligations et interdictions poursuivant un objectif de surveillance de la personne, le suivi socio-judiciaire comporte des mesures de réinsertion : travail, soins, déradicalisation. Le dispositif est intéressant, mais il n'est possible que pour les faits de terrorisme commis postérieurement à l'été 2016. Depuis cette date cependant, les magistrats y ont peu recours : ils sont réticents à prononcer une peine qui serait effective quelques années plus tard seulement. Ce constat a conduit le législateur a rendre obligatoire le prononcé de ce suivi depuis août dernier, sauf décision spécialement motivée de la juridiction de jugement.
Il existe ensuite des mesures qui se rattachent à l'aménagement de la peine, qui varient selon la durée de condamnation. Au-dessus de sept ans, il s'agit de mesures de surveillance judiciaire ; en dessous, il s'agit d'un suivi post-libération. La durée de ces mesures est plafonnée à celle des réductions de peine, qu'elles soient automatiques ou supplémentaires. Or, depuis 2016, il n'y a plus de réductions de peine automatiques pour les terroristes, ce qui réduit singulièrement le champ de ces dispositifs.
Enfin, il existe des mesures de sûreté - rétention de sûreté ou surveillance de sûreté - créées pour des longues peines et en particulier pour des délinquants sexuels : la dangerosité est appréciée au regard d'une expertise psychiatrique, ce qui est inadapté pour apprécier la dangerosité d'un terroriste. Ces mesures ne sont donc pas tout à fait applicables.
La seule mesure de sûreté spécifique qui a été prise pour les terroristes est l'inscription au fichier des auteurs d'infractions terroristes (Fijait). Cette inscription n'a toutefois pour conséquence que des obligations déclaratives peu contraignantes.
Les mesures existantes, tant administratives que judiciaires, ne sont donc pas totalement adaptées à la situation. Nos auditions nous ont révélé que le suivi des condamnés terroristes sortant de détention était particulièrement problématique pour les actes commis entre la fin des réductions automatiques de peines à l'été 2016 et l'instauration en août 2020 de l'obligation pour les juridictions de prononcer la peine de suivi socio-judiciaire. C'est ce qui justifie les mesures contenues dans cette proposition de loi, que je vais vous détailler.
La procédure retenue dans la loi votée l'été dernier n'a pas été critiquée par le Conseil constitutionnel. La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui la reprend donc. Il s'agit en premier lieu d'évaluer la dangerosité de l'individu. Trois mois au moins avant la sortie de détention, le Parquet requiert la saisine d'une commission pluridisciplinaire de sûreté ; celle-ci procède à cette évaluation après le placement de l'individu dans un service spécialisé pour une durée d'au moins six semaines. Sur la base de cette évaluation, la juridiction régionale de la rétention de sûreté est saisie, dans le cadre d'une procédure contradictoire ; le ministère d'avocat est obligatoire. Cette juridiction rend une décision motivée.
Je vous soumettrai un amendement tendant à apporter des modifications à cette procédure. Il me semble d'abord nécessaire que le juge de l'application des peines (JAP) chargé de suivre les personnes détenues pour terrorisme rende systématiquement un avis auprès de la juridiction régionale de la rétention de sûreté sur les mesures envisagées et toutes leurs évolutions ultérieures.
Ensuite, le texte prévoit que l'audience devant cette juridiction puisse, sur demande du détenu, faire l'objet d'une publicité. Cela ne me semble pas judicieux ; il ne serait notamment pas raisonnable que les notes blanches des services de renseignement soient portées à la connaissance du public. Par ailleurs, ces audiences peuvent avoir lieu en milieu carcéral ; introduire dans la prison un public lié au terroriste ne me paraît pas pertinent. Je vous proposerai donc de limiter cette publicité, tout en respectant le principe du contradictoire et les droits de la défense.
Enfin, aux termes de la proposition de loi, si la personne faisant l'objet de cette mesure était de nouveau incarcérée, les obligations en découlant seraient suspendues ; je vous proposerai de plutôt suspendre la mesure tout entière, pour que sa durée cesse de courir pendant la période de détention.
Nous en venons au coeur du débat : c'est sur la mesure elle-même que le Conseil constitutionnel a fait porter ses critiques. Il a considéré que la conciliation opérée par le législateur entre la prévention des atteintes à l'ordre public et l'exercice des droits et libertés constitutionnellement garantis n'était pas satisfaisante. Il a notamment précisé que la mesure de sûreté ne peut être mise en oeuvre que si aucune mesure moins attentatoire aux droits et libertés n'est suffisante et que les conditions et la durée de mise en oeuvre de la mesure sont adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi.
On peut tirer deux leçons positives de cette décision. D'abord, le Conseil constitutionnel a admis la légitimité de la mesure au regard de l'objectif à valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. Il a également admis que la mesure que nous souhaitons prendre est une mesure de sûreté et non une peine. Une peine ne pourrait être prononcée à l'issue de la détention, parce qu'on ne peut pas être condamné deux fois. Une mesure de sûreté, fondée sur la dangerosité, a aussi l'avantage de ne pas être limitée aux faits commis après l'entrée en vigueur de la loi qui l'instaure.
Il faut donc adapter les mesures elles-mêmes aux critiques du Conseil constitutionnel. La difficulté est que, ne pouvant faire d'injonction au législateur, ce dernier ne nous a pas indiqué à quelles conditions nous respecterions l'équilibre entre libertés et protection de l'ordre public. Le présent texte est donc un parti pris dont nous pensons que le Conseil constitutionnel peut l'accepter, mais nous ne le saurons que quand il l'aura effectivement examiné.
Sur le fond, la durée de la mesure - cinq ou dix ans suivant la durée de la peine encourue - a paru trop importante au Conseil constitutionnel, qui a par ailleurs jugé qu'il fallait prendre en compte non la peine encourue, mais la peine prononcée. L'auteur du présent texte propose donc que la mesure soit déterminée au regard de la peine prononcée, pour une durée maximale de trois ans, portée à cinq ans si une peine de dix ans au moins a été prononcée. Je vous propose d'adopter cette disposition en l'état.
Ensuite, le cumul des diverses obligations et interdictions proposées a semblé excessif au Conseil constitutionnel. L'auteur de cette proposition de loi propose donc d'introduire une gradation et de distinguer deux paliers en fonction de la dangerosité de l'individu concerné. La première série de mesures vise surtout la réinsertion, avec quelques obligations ; la seconde rajoute d'autres obligations plus contraignantes.
Je vous proposerai de conserver cette gradation, avec quelques modifications. D'abord, il convient de clarifier la différence de dangerosité permettant de passer au second palier ; pour ce faire, je vous proposerai d'introduire un critère d'extrême dangerosité, supérieure à la particulière dangerosité nécessaire au prononcé de la mesure.
Je vous proposerai ensuite de permettre à la juridiction de soumettre le terroriste libéré, dès le premier niveau de la mesure, à des interdictions d'entrer en contact avec certaines personnes. Le parquet antiterroriste comme le juge de l'application des peines antiterroriste jugent en effet que c'est essentiel pour prévenir la reconstitution des réseaux.
Enfin, je vous proposerai de supprimer plusieurs mesures qui ont été jugées peu pertinentes par ceux qui les appliquent, à savoir les obligations de pointage ou de port d'un bracelet électronique. Ces obligations resteront des mesures administratives et non judiciaires. Nous pourrions néanmoins les remplacer par l'obligation d'établir sa résidence dans un lieu déterminé.
Le Conseil constitutionnel a en outre remis en cause la possibilité de cumuler cette mesure avec une peine d'emprisonnement assortie d'un sursis simple. Le présent texte propose donc d'exclure cette possibilité de cumul : il n'y aura pas de mesure de sûreté en cas de sursis simple, sauf si celui-ci est accompagné d'une peine d'emprisonnement supérieure à trois ans. Cependant, il ressort des auditions menées qu'aucune peine d'emprisonnement de plus de trois ans fermes assortie d'un sursis simple n'a été prononcée en matière de terrorisme ; la distinction envisagée est donc théorique. Je vous proposerai donc de simplifier la rédaction en empêchant le prononcé d'une mesure de sûreté non seulement en cas de sursis probatoire, mais également en cas de sursis simple, sans distinction de durée de la peine ferme prononcée.
Le Conseil constitutionnel a également jugé impossible d'imposer une mesure de sûreté si la personne condamnée n'a pas fait l'objet d'un suivi en détention. La proposition de loi indique donc que la personne devra avoir été mise en mesure de suivre un programme de réinsertion en détention.
Enfin, dernier élément pointé par le Conseil constitutionnel, il faudra pour prolonger cette mesure mettre en avant des éléments nouveaux et complémentaires : la proposition de loi prévoit donc que le renouvellement de la mesure devra se faire sur la base d'éléments actuels et circonstanciés.
Je vous présenterai enfin deux amendements à l'objet plus accessoire : l'inscription de certaines obligations au fichier des personnes recherchées et l'extension aux outre-mer du champ de ce texte.