Je veux tout d’abord dire à Mme Cukierman que je n’ai reçu aucune lettre en tant que président de la commission des finances. Il s’agit d’une lettre qui a été adressée au président du Sénat et dont j’ai reçu une copie, ce qui n’est pas exactement la même chose. Je n’avais donc aucune obligation de réponse.
Le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 4D, est un texte essentiel pour nos collectivités territoriales et donc pour le Sénat, qui assure leur représentation.
Il a fait l’objet du dépôt de 1 222 amendements au stade de la commission et de 1 690 amendements en vue de la séance publique.
Environ 16 % de ces amendements ont dû être déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution. C’est un taux supérieur à la moyenne, mais qui s’explique par la nature même de ce texte.
Je sais combien ces décisions d’irrecevabilité limitent le débat parlementaire, mais elles résultent directement de la décision du Conseil constitutionnel du 14 décembre 2006, qui impose « un contrôle de recevabilité effectif et systématique au moment du dépôt des amendements ».
Si ce contrôle n’était pas effectif, le Conseil constitutionnel soulèverait lui-même l’irrecevabilité financière, ce qu’il s’abstient de faire au nom de la règle dite du « préalable parlementaire », à laquelle nous tenons. S’il le faisait, comme il le fait d’ailleurs au titre des irrecevabilités de l’article 45 de la Constitution, il y aurait peu de chances que l’initiative parlementaire y gagne.
L’article 40 de la Constitution empêche, en effet, toute création d’une charge publique qui s’entend au niveau de chaque personne publique et ne permet pas, contrairement à ce qui est possible en recettes, de compenser la création d’une charge par la diminution d’une autre charge pour une autre personne publique.
Aussi n’est-il pas possible de procéder, par exemple, à des transferts de compétences entre catégories de collectivités locales, ce qui pourtant relève directement de l’objet de ce texte.
Si, par le passé, certains amendements ont pu être examinés, par exemple dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, et dans la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi Maptam, c’est, dans la plupart des cas, parce qu’ils visaient à rétablir le droit existant et que la recevabilité prend comme base de référence celle qui est la plus favorable au droit parlementaire, qu’il s’agisse du droit existant ou du droit proposé.
Aujourd’hui, il n’est ainsi plus possible de revenir sur la clause de compétence générale, sauf si le Gouvernement en prend l’initiative.
La jurisprudence sur l’article 40 est stabilisée depuis de nombreuses années – j’en suis le dépositaire après d’autres – et les quelques divergences qui ont pu exister avec l’Assemblée nationale ont été aplanies par mes prédécesseurs grâce à des assouplissements de jurisprudence.
Je rappelle, par ailleurs, que le taux d’irrecevabilité au Sénat est constamment inférieur à celui constaté à l’Assemblée nationale, et que, chaque fois que cela est possible, des rectifications sont proposées aux auteurs des amendements pour leur permettre de rendre leurs amendements examinables : j’y suis très attentif.
Par ailleurs, il arrive quelquefois que des amendements échappent à l’article 40, mais ce n’est pas parce que l’erreur a existé dans le passé qu’elle doit se reproduire aujourd’hui avec ce texte !
Le débat doit donc porter non pas sur l’application de l’article 40 par rapport à ce texte, mais, de manière générale, sur la rédaction même de l’article 40 de la Constitution, voire sur son existence, ce qui ne peut se faire qu’en révisant la Constitution.
Je vous engage donc, madame la sénatrice, à déposer une proposition de loi constitutionnelle sur le sujet !