Intervention de Laurent Béteille

Réunion du 17 février 2011 à 9h00
Présomption d'intérêt à agir des parlementaires en matière de recours pour excès de pouvoir — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Laurent BéteilleLaurent Béteille :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le recours pour excès de pouvoir est un recours contentieux tendant à l’annulation d’une décision administrative et fondé sur la violation par cette décision d’une règle de droit. Cela résulte de la jurisprudence du Conseil d’État. Ainsi est assuré, conformément aux principes généraux du droit, le respect de la légalité : si l’autorité administrative ne respecte pas les limites qui lui ont été assignées par la Constitution ou par la loi, elle commet un excès de pouvoir.

Vous nous proposez, cher collègue Yvon Collin, de trancher aujourd’hui une question importante à laquelle le Conseil d’État s’est toujours soustrait volontairement : un parlementaire peut-il jouir, ès qualité, d’un intérêt pour agir ou d’une possibilité d’agir en matière de recours pour excès de pouvoir lorsque la défense des prérogatives du Parlement est en jeu ?

Notre rapporteur, Jean-René Lecerf, qui a réalisé un travail dont je tiens à saluer la qualité, nous a rappelé que cette proposition soulevait des questions essentielles en ce qui concerne tant les moyens d’action des parlementaires pour la défense des prérogatives du Parlement que le rôle et la place de la haute juridiction.

D’abord, la proposition de loi s’inscrit-elle dans le droit fil de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, dont l’ambition – et le résultat – est de rééquilibrer les institutions en faveur du Parlement ?

Ensuite, le parlementaire a-t-il vocation à agir sur le terrain judiciaire pour défendre les droits du Parlement ?

Enfin, le Conseil d’État peut-il ou doit-il devenir l’arbitre de conflits entre les assemblées et le Gouvernement ?

Le texte qui nous est soumis tend à apporter une réponse aux incertitudes jurisprudentielles et à trancher ainsi une question importante à laquelle, on l’a dit, le Conseil d’État s’est toujours soustrait, invoquant, à juste titre selon moi, une atteinte aux prérogatives du Parlement.

Lorsque cette proposition de loi a été déposée, j’ai regretté que le Conseil d’État n’ait pas lui-même tranché cette question, ce qui nous aurait épargné ce débat !

Toutefois, le Conseil d’État n’a fait que démontrer sa finesse d’analyse juridique en décidant de ne pas trancher ce débat parce que celui-ci est, en réalité, de niveau constitutionnel. Il porte, en effet, sur l’équilibre des pouvoirs puisqu’il s’agit de doter les parlementaires de prérogatives qui ne sont prévues nulle part.

Nous savons que le recours pour excès de pouvoir suppose, pour être recevable, un intérêt personnel à agir, défini dans la jurisprudence, comme le rappelait le président Hyest lors de nos débats en commission des lois.

Le parlementaire n’a pas un intérêt particulier à faire valoir en tant qu’individu pour introduire un recours pour excès de pouvoir. Par conséquent, si l’on va dans le sens de la proposition de loi, on crée un nouveau cas de recevabilité du recours pour excès de pouvoir, distinct de celui qui existe actuellement et qui est fondé sur l’intérêt personnel à agir. Ce faisant, on donne un pouvoir nouveau aux parlementaires et on touche donc à l’équilibre des pouvoirs, qui est un principe purement constitutionnel.

Dès lors, il n’est pas concevable de toucher à cet équilibre par une voie ordinaire. C’est une des raisons pour lesquelles on ne peut pas suivre la direction proposée.

Il s’agit d’autant plus d’un changement d’équilibre entre les pouvoirs au sein de la République que l’on confère finalement au juge un rôle nouveau : en cas de désaccord entre le Gouvernement et le Parlement, il reviendra au juge de trancher. On crée ainsi un véritable gouvernement des juges, ce qui n’est pas imaginable dans le cadre d’une simple proposition de loi ordinaire. Il faut peut-être y regarder à deux fois avant de se lancer dans une telle entreprise !

Par conséquent, même si j’admire le travail effectué par notre rapporteur, je considère que nous ne pouvons pas aller dans ce sens ; je n’y vois pas de progrès pour la démocratie.

Il nous appartient, au titre des pouvoirs qui nous sont donnés par la Constitution, de nous engager dans un contrôle exigeant de l’application des lois. La disposition introduite par la révision constitutionnelle de 2008 concernant le contrôle exercé par le Parlement est récente et n’a pas encore produit tous ses effets. Il nous appartient de prendre des initiatives et d’appréhender la totalité des possibilités que nous offre la Constitution.

Le dispositif qui nous est proposé aujourd'hui allant bien au-delà des dispositifs constitutionnels actuels, le groupe UMP ne le votera pas.

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