Intervention de Olivier Paccaud

Réunion du 27 janvier 2022 à 10h30
Combat contre le harcèlement scolaire — Discussion générale

Photo de Olivier PaccaudOlivier Paccaud :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « ce n’est pas parce que l’on est petit que l’on a de petits problèmes » rappelait la dernière campagne annuelle de lutte contre le harcèlement scolaire. Chaque année, entre 800 000 et 1 million d’élèves en sont victimes.

Derrière ces chiffres, ce sont autant de parcours scolaires fragilisés, d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes en souffrance, parfois encore de longues années après la fin de leur scolarité. Le harcèlement peut aller jusqu’à tuer : en 2021, une vingtaine de préadolescents et d’adolescents sont morts, victimes de harcèlement scolaire. Parce que le harcèlement scolaire n’est ni une version moderne de La Guerre des boutons, ni un bizutage « bon enfant », parce que ses conséquences peuvent être tragiques, parce que des solutions existent, il est impératif d’agir pour briser la loi du silence, qui nourrit et fortifie ce fléau mortifère.

Permettez-moi d’avoir une pensée, au nom de la Haute Assemblée, pour toutes ces victimes et pour leurs familles, meurtries par ce mal, dont on doit mesurer toute l’étendue et toutes les menaces. Certaines sont dans les tribunes. J’ai une pensée particulière pour Pierre.

Le Sénat s’est penché, voilà peu, sur ce fléau : en 2019, à l’occasion de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance et, très récemment, en septembre dernier, par le biais de la mission d’information sur la lutte contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement. Je tiens à saluer les travaux de cette mission sénatoriale, présidée par Sabine Van Heghe et dont Colette Mélot était la rapporteure. Le constat dressé est précis et les recommandations pragmatiques, ce qui nous a permis d’enrichir ce texte sur plusieurs points.

Voilà une dizaine d’années, Luc Chatel, alors ministre de l’éducation nationale, s’est saisi le premier de cette question et a cherché à mettre en place une réponse institutionnelle pour mettre fin au harcèlement scolaire. À sa suite, tous les ministres de l’éducation nationale ont apporté leur pierre au rempart à construire face au harcèlement scolaire.

Dix ans se sont désormais écoulés. Quel bilan tirer de ces mesures ? Il y a des actions positives qu’il convient de saluer : je pense à la prise de conscience de l’institution scolaire, laquelle assimilait auparavant le harcèlement à des « chamailleries d’enfants », mais aussi à la mise en place de numéros d’appel, qu’il s’agisse du 3018 ou le 3020.

Je rends hommage à l’engagement des deux associations chargées de la gestion de ces deux bouées pour les élèves et leurs familles, souvent désemparés et désespérés, qui sont en quête d’un interlocuteur et d’une solution. Je salue également l’action de toutes les associations engagées dans la prévention du harcèlement scolaire et la prise en charge des victimes et des harceleurs.

Mais de nombreux points sont perfectibles. Je pense notamment à la formation des enseignants. Seulement 20 % d’entre eux indiquent avoir reçu une formation contre le harcèlement scolaire. À peine un enseignant sur trois se sent suffisamment armé pour repérer des cas de harcèlement et accompagner victimes et harceleurs. Or le harcèlement scolaire touche tous les milieux et tous les établissements scolaires. Tout est prétexte à harcèlement : handicap, taille, vêtement, physique, parcours scolaires, voire couleur du masque ou année de naissance, comme l’a montré la campagne #Anti2010, qui a touché les élèves entrant en sixième à la rentrée 2021.

Par ailleurs, les numéros d’appel restent souvent mal connus par les enfants et leurs familles. La mission d’information sénatoriale regrettait d’ailleurs des horaires d’ouverture trop réduits, notamment le soir et le week-end. Or c’est justement à ces moments de la journée et de la semaine, lorsque l’adolescent est chez lui, seul face à son téléphone, que sévit le plus le cyberharcèlement.

Tel est également le cas des centres médico-psychologiques, dont les délais de prise en charge des victimes de harcèlement s’avèrent encore trop longs et les heures d’ouverture, incompatibles avec une vie scolaire. M. le ministre Jean-Michel Blanquer a été interpellé sur cette question, mais en vain.

En outre, le programme pHARe, expérimenté en 2019 dans six académies et en cours de généralisation depuis la rentrée 2021, illustre l’ambivalence entre l’existence d’outils et leur méconnaissance par la communauté éducative. Selon les chiffres qui m’ont été transmis lors des auditions menées sur ce texte, 27 % des écoles élémentaires et 43 % des collèges publics étaient engagés dans ce programme à la mi-novembre 2021.

Pour ma part, je me suis rendu dans les deux collèges de mon canton au début de l’année scolaire : l’un commençait à mettre en place le programme pHARe, l’autre n’en avait pas entendu parler.

J’en viens maintenant au texte déposé sur l’initiative de notre collègue député Erwan Balanant, dont nous connaissons l’engagement de longue date pour le droit à une scolarité sans harcèlement.

Une question se pose : de nouvelles dispositions législatives sont-elles nécessaires pour mieux prévenir le harcèlement scolaire et y faire face, alors même que le Parlement a légiféré sur le sujet voilà moins de deux ans ?

Certes, par de nombreux aspects, la portée de ce texte est principalement symbolique.

Le droit à une scolarité sans harcèlement est déjà inscrit dans le code de l’éducation. Il s’agit également d’une liberté fondamentale, qui peut faire l’objet d’un référé-liberté. Ce droit s’applique à tous les élèves, qu’ils soient scolarisés dans des établissements relevant du public comme du privé.

Les élèves peuvent déjà être sanctionnés pour des faits commis en dehors de l’établissement, s’ils ne sont pas dissociables de la qualité d’élèves. Il en est de même pour un harcèlement sur internet entre élèves. La circulaire du 17 août 2014 le mentionne explicitement. Par ailleurs, plusieurs circulaires demandent déjà aux établissements de prendre des mesures face au harcèlement scolaire.

Néanmoins, ce texte possède une portée pédagogique forte. Il inscrit par exemple noir sur blanc le fait que des actes commis en dehors du temps et du lieu scolaire peuvent relever du harcèlement scolaire.

Ces clarifications sont importantes pour des situations qui concernent majoritairement des mineurs, qu’ils soient victimes, harceleurs ou témoins.

Les apports de la commission de la culture, pour le titre Ier, portent sur quatre points.

Premièrement, il s’agit de conserver la définition d’un harcèlement scolaire limité au harcèlement entre pairs. À cet égard, j’ai bien entendu votre discours, madame la ministre. La commission souhaite éviter que ce texte ne jette une suspicion sur l’institution scolaire en légiférant sur un phénomène dont on ne mesure encore ni l’ampleur ni la gravité. Nous aurons à en débattre lors de la discussion des articles, mais je tiens à le préciser : les sanctions pénales et administratives existent. Un adulte, qu’il soit enseignant, personnel administratif ou technique de l’éducation nationale ou encore assistant d’éducation peut déjà être poursuivi pour des faits de harcèlement commis sur un élève. Notre droit prévoit d’ailleurs des circonstances aggravantes lorsque le harcèlement est commis sur un mineur de 15 ans.

Deuxièmement, il nous a semblé essentiel de protéger le rôle et la capacité d’action du réseau des œuvres universitaires. En séance, l’Assemblée nationale a créé une nouvelle mission de prévention contre le harcèlement en milieu universitaire, confiée au Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous) et aux centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous).

Nos collègues députés proposaient de s’appuyer sur les 1 600 référents étudiants mis en place dans le contexte de pandémie, afin d’accompagner leurs pairs isolés ou en difficulté. Or leur financement n’est pas pérenne, et nul ne sait s’ils seront maintenus à la fin de l’année universitaire ! C’est la raison pour laquelle la commission a supprimé ces dispositions.

Cela me permet de poser la question des moyens humains dans l’éducation nationale et l’enseignement supérieur. Agir, notamment en matière de prévention du harcèlement, nécessite une présence physique de personnes ressources formées à la prise en charge de ce phénomène. À l’image de ce qu’ont entrepris les états scandinaves, qui se montrent exemplaires et précurseurs en la matière, c’est tout le « climat scolaire » qui doit être engagé, et ce au-delà des divers dispositifs et programmes « clés en main » mis en place par le Gouvernement.

Comme l’a rappelé Benjamin Moignard, sociologue spécialiste de l’école, « la stabilité des équipes éducatives et leurs modalités de travail sont primordiales pour identifier les problèmes et y apporter des réponses immédiates ».

À cet égard, on ne peut négliger les difficultés rencontrées par de trop nombreux établissements qui ne disposent pas des moyens humains ni des ressources financières nécessaires à un accompagnement efficient des victimes. Je pense notamment à la médecine scolaire, secteur en grande souffrance…

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