Intervention de Muriel Jourda

Réunion du 26 janvier 2022 à 21h30
Réforme de l'adoption — Adoption en nouvelle lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Muriel JourdaMuriel Jourda :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce soir en nouvelle lecture est, je le rappelle, issue du rapport parlementaire remis par notre collègue Corinne Imbert et par la députée Monique Limon, rapport dont nous pouvions partager les ambitions et les constats.

La première ambition était de donner une famille à un enfant, et non l’inverse ; nous étions évidemment tous d’accord.

La seconde ambition était de faire face à la situation actuelle de l’adoption. Si l’on compte actuellement environ 10 000 agréments en cours de validité, il n’y a pas autant d’adoptions, notamment plénières : d’après les derniers chiffres en notre possession, celles-ci seraient de l’ordre de 3 000 par an.

Il reste encore des enfants qui ne trouvent pas de famille pour les adopter, alors qu’ils sont adoptables. Cela tient sans doute au fait que, nous le savons, environ un tiers des enfants sont à besoins spécifiques, parce qu’ils sont trop grands, ont des problèmes physiques ou psychologiques, sont en fratrie, voire cumulent ces différentes caractéristiques. Cela les rend vraisemblablement plus difficilement adoptables.

Le rapport parlementaire proposait des solutions. Certaines reprenaient les pratiques qui existent déjà dans les conseils départementaux. Je pense à la formation des membres du conseil de famille, qui prennent des décisions pour les enfants. Je pense également à l’information précise des parents potentiels qui vont solliciter un agrément sur les difficultés qu’ils pourront rencontrer, notamment avec les enfants à besoins spécifiques.

La volonté de faciliter l’adoption simple par rapport à l’adoption plénière, alors que les parents potentiels recherchent plutôt cette dernière, avait également été exprimée.

Cette proposition de loi découle de ce rapport. Si elle en reprend un certain nombre de propositions, elle prévoit également d’autres mesures qui n’étaient pas envisagées par Mmes Imbert et Limon, voire qui nous semblent aller à l’encontre de leur objectif : donner une famille à un enfant, et non l’inverse. De surcroît, aucun élément ne vient documenter le bien-fondé de telles dispositions.

C’est pourquoi la commission et le Sénat ont décidé en première lecture de ne valider que les propositions découlant logiquement du rapport et de rejeter ce qui n’était pas documenté et ne semblait pas aller dans le sens des travaux de Mmes Imbert et Limon.

A ainsi été retenue l’inscription dans la loi des bonnes pratiques, c’est-à-dire la formation et l’information des parties prenantes. A également été approuvée la possibilité d’élargir la base potentielle des adoptants en intégrant, outre les couples mariés, les personnes liées par un pacte civil de solidarité (PACS) ou vivant en concubinage. A été encore soutenue la possibilité offerte au juge de suppléer l’absence de consentement pour un mineur de plus de 13 ans, qui n’est pas en capacité d’exprimer le sien, ou un majeur protégé ; à l’époque, il n’existait aucune solution. Enfin ont été maintenus le bilan d’adaptabilité pour les pupilles et le suivi renforcé des jeunes enfants qui sont à l’aide sociale à l’enfance (ASE).

Vous l’aurez compris, la commission mixte paritaire n’a pas pu aboutir sur le texte. J’y reviendrai dans quelques instants.

L’Assemblée nationale a donc examiné la proposition de loi en nouvelle lecture et elle a repris plusieurs dispositions introduites par le Sénat. Je n’en citerai que quelques-unes.

Certaines mesures relevaient tout simplement du bon sens. Vous vous en souvenez peut-être, les députés avaient proposé de pouvoir placer les enfants, comme cela se pratique pour l’adoption plénière, avant de procéder à une adoption simple. Or il se trouve que l’adoption simple concerne très majoritairement – à 90 % – l’enfant du conjoint et qu’il s’agit dans 80 % des cas de majeurs. Placer des enfants majeurs, et qui le sont parfois depuis longtemps, auprès d’un parent qui est l’époux de parent biologique n’avait donc aucun sens. L’Assemblée nationale a repris la modification apportée par le Sénat sur ce point.

Un autre renoncement peut, me semble-t-il, être salué. Dans un premier temps, l’Assemblée nationale avait totalement réécrit des pans entiers du code de l’action sociale et des familles, alors même que les changements introduits étaient minimes. Cela nous avait semblé contraire à l’objectif de lisibilité de la loi. Les textes sur lesquels les professionnels avaient l’habitude de travailler n’étaient pas tellement modifiés sur le fond, mais ils l’étaient totalement dans leur codification, rendant les choses beaucoup plus complexes. L’Assemblée nationale est revenue sur cette volonté de recodification intégrale des textes et s’est contentée d’introduire les modifications nécessaires.

Nous avons également décidé en commission de trouver des accords avec nos collègues députés. Nous avons ainsi renoncé à modifier un certain nombre de points que nous avions pourtant modifiés en première lecture.

Néanmoins, il nous a semblé nécessaire de revenir sur cinq sujets au cœur des positions que la commission et le Sénat avaient défendues en première lecture.

Premièrement, nous avons maintenu les conditions d’âge, 28 ans, et de durée de communauté de vie, deux ans, nécessaires pour adopter, alors que l’Assemblée nationale prévoyait de les réduire.

Deuxièmement, nous avons souhaité conserver la possibilité pour les familles de choisir si elles préfèrent remettre leur enfant aux services de l’ASE ou à un OAA. En l’état, aucun élément ne permet d’affirmer que la seconde option serait forcément mauvaise et que l’ASE serait la seule à pouvoir recueillir ces enfants. Dans la mesure où il n’y a pas de difficulté, nous n’avons pas compris pourquoi nous devrions priver les parents d’une telle possibilité. Au demeurant, il est ressorti des auditions que les parents optant pour l’OAA étaient souvent eux-mêmes passés par l’ASE et ne souhaitaient pas la même chose pour leurs enfants. C’est un choix qui me paraît extrêmement personnel.

Troisièmement, et c’est sur ce point que la commission mixte paritaire a achoppé, nous n’approuvons pas la possibilité de forcer – je le dis assez clairement – à l’adoption d’un enfant. Si deux femmes sont parties à l’étranger pour faire un enfant dans le cadre d’une procréation médicalement assistée (PMA) avant l’ouverture de cette possibilité en France, celle qui n’est pas la mère biologique a le choix entre l’adoption, depuis 2013, ou la reconnaissance de l’enfant, depuis la loi relative à la bioéthique.

Si aucune solution n’a été trouvée, cela signifie qu’un litige existe entre les deux femmes. Les députés ont choisi de le régler en forçant, en quelque sorte, la seconde femme à adopter. Je ne vois pas quel est l’intérêt de l’enfant de se retrouver au cœur d’un litige et de vivre une filiation forcée. Cette disposition a donc été supprimée.

Quatrièmement, et nous aurons l’occasion de nous exprimer sur ce point, le Gouvernement ayant déposé un amendement, les parents qui remettent leur enfant à un service social doivent être invités à s’exprimer sur leur consentement à l’adoption – c’est le cas jusqu’à présent. Nous avons considéré que cette nécessité n’apparaissait pas assez clairement dans le texte de l’Assemblée nationale. Nous avons donc opté pour une rédaction plus explicite, tout en précisant bien que c’est le conseil de famille, et non les parents, qui décide en dernier ressort de l’adoption.

Cinquièmement, et je pense que tout le monde ici comprendra bien nos motifs de désaccord, le Gouvernement sollicite un recours à la législation par ordonnances qui nous semble excessif.

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