Intervention de Olivier Paccaud

Réunion du 17 février 2022 à 10h30
Combat contre le harcèlement scolaire — Discussion en nouvelle lecture d'une proposition de loi

Photo de Olivier PaccaudOlivier Paccaud :

Monsieur le président, monsieur le ministre – nous sommes très heureux de vous retrouver au banc : quoique très bien représenté, vous nous avez beaucoup manqué voilà quinze jours ! –, mes chers collègues, à l’occasion de cet examen en nouvelle lecture de la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire, permettez-moi de vous faire part, au nom de la commission, de satisfactions et de regrets.

Je commencerai par les points de satisfaction.

Le texte élaboré en première lecture par la Haute Assemblée est le fruit d’un travail consensuel. Il a rassemblé opposition et majorité sénatoriale autour d’un objectif commun : agir globalement pour lutter contre le harcèlement scolaire.

En septembre dernier, la mission d’information sénatoriale sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, présidée par notre collègue Sabine Van Heghe, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et dont la rapporteure était Colette Mélot, sénatrice du groupe Les Indépendants – République et Territoires, a adopté trente-cinq préconisations.

J’ai tenu, lors de l’élaboration du texte en première lecture, à m’appuyer le plus possible sur ces travaux et à reprendre les recommandations à portée législative du rapport. Ainsi de la prise en compte des témoins, du renforcement de la formation initiale et continue de l’ensemble des adultes d’un établissement, des actions résolues contre le cyberharcèlement ou encore de l’instauration d’une sensibilisation annuelle des élèves.

Ces travaux ont permis également d’éclairer nos débats sur l’opportunité de créer un délit spécifique de harcèlement scolaire.

Ce consensus transpartisan s’est également traduit dans les amendements que nous avons adoptés. Ils émanent de plusieurs groupes politiques, et notamment de l’opposition sénatoriale.

En voici quelques exemples : une vigilance particulière concernant la détection des cas de harcèlement lors des visites médicales scolaires – l’initiative en revient à Céline Brulin – ou une demande d’information quant à la prise en charge des frais de consultation et de soins pour les victimes et auteurs de harcèlement scolaire – le rapport ainsi demandé permettra notamment de dresser le bilan du « chèque psy » destiné aux mineurs et aux étudiants, annoncé par le Président de la République dans le cadre du confinement.

Autres exemples : une prise en compte de la lutte contre le harcèlement scolaire par le réseau des établissements français à l’étranger, l’obligation pour les réseaux sociaux de mieux sensibiliser leurs utilisateurs contre le cyberharcèlement.

Des amendements de la majorité sénatoriale ont été soutenus par l’opposition. Je pense à la possibilité de recruter les assistants d’éducation en contrat à durée indéterminée au bout de six ans ou encore à l’alerte que nous avons formulée concernant la nouvelle mission dévolue au réseau des œuvres universitaires – Toine Bourrat et Pierre Ouzoulias y étaient particulièrement sensibles.

Le Sénat avait proposé des assouplissements de la carte scolaire, ainsi que des modalités de recours à l’instruction en famille, pour les élèves victimes de harcèlement. Un élève harcelé qui quitte son établissement, c’est toujours une défaite de l’école, je l’ai dit et redit. Mais, dans certains cas, la poursuite de la scolarité dans l’établissement où il a été harcelé pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, n’est pas possible ou pas souhaitée par la victime.

Certes, la loi confortant le respect des principes de la République prévoit la possibilité de commencer rapidement l’instruction en famille d’un enfant victime de harcèlement scolaire, sans attendre l’autorisation de l’administration, qui peut prendre deux mois. Mais cette situation demeure transitoire. Le maintien dans l’instruction en famille nécessite que les parents présentent un projet pédagogique et justifient d’une capacité d’enseignement. L’enfant harcelé se retrouve, alors, dans une situation incertaine. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité aligner les conditions de recours à l’instruction en famille qui s’appliquent aux enfants harcelés sur celles qui s’appliquent aux enfants en situation de handicap, isolés ou en itinérance.

Ces assouplissements et dérogations, chers à Max Brisson, Bruno Retailleau, Pierre-Antoine Levi – j’aurais pu citer bien d’autres collègues –, sont pragmatiques et de bon sens.

Enfin, pour ce qui est du titre II, le Sénat a tiré les conséquences de deux récentes questions prioritaires de constitutionnalité relatives au cyberharcèlement – Jacqueline Eustache-Brinio les a brillamment présentées.

L’ensemble de ces éléments démontre une volonté commune des membres de la Haute Assemblée de voter un texte ambitieux, permettant une lutte globale contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement.

J’ai donc d’autant plus de regrets quant à l’échec de la commission mixte paritaire.

Deux points durs opposent le Sénat et l’Assemblée nationale : l’extension de la définition du harcèlement scolaire aux fins d’y inclure des faits commis par des adultes ; la création d’un délit spécifique de harcèlement scolaire.

Pourquoi ces deux dispositions nous posent-elles problème ? J’y reviendrai plus en détail à l’occasion de la présentation de la question préalable déposée par la commission. Voici néanmoins quelques éléments, afin de faire taire les rumeurs selon lesquelles le Sénat se serait opposé à un texte de lutte contre le harcèlement scolaire.

L’élargissement de la définition du harcèlement scolaire, monsieur le ministre, risque d’affaiblir l’institution scolaire, dans un contexte de défiance envers l’école. Le droit existant permet déjà de sanctionner pénalement et administrativement des actes de harcèlement commis par des adultes sur les élèves.

Quant au délit spécifique, son quantum de peine semble disproportionné et en définitive peu opérant. Quelle est la signification de peines si élevées, qui ne seront sans doute pas appliquées dans les faits ?

Nous étions prêts à un compromis sur l’un de ces points. Malheureusement, nos collègues députés n’étaient pas disposés à faire un pas vers nous pour que nous les retrouvions au milieu du gué.

Le texte a été examiné en nouvelle lecture le 10 février dernier à l’Assemblée nationale. Que reste-t-il de nos apports ? Trop peu de choses !

L’Assemblée nationale a bien entendu rétabli sa définition du harcèlement scolaire, ainsi que la création d’un délit pénal spécifique. Elle acte ses positions, qui divergent des nôtres, sur ces deux points essentiels pour le Sénat.

L’Assemblée nationale a également rejeté de très nombreuses dispositions que nous avions introduites.

Je pense au cyberharcèlement, dont vous venez de parler, monsieur le ministre, en évoquant l’application mobile nouvellement lancée : il me semble important qu’il soit mentionné explicitement, conjointement avec le harcèlement scolaire. Puisque ce texte se veut pédagogique, envoyons clairement un message de lutte contre ce fléau qui amplifie le harcèlement scolaire et ne laisse à la victime ni répit ni abri, pas même dans la sphère privée.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale a refusé toute possibilité d’assouplissement des modalités de dérogation à la carte scolaire ou de recours à l’instruction en famille pour l’élève harcelé.

Elle a supprimé de la liste des personnes bénéficiant d’une formation initiale et continue à la prévention et à la lutte contre le harcèlement scolaire les titulaires d’un contrat d’engagement éducatif. Une telle mention aurait pourtant encouragé à la création d’un module consacré à cette thématique dans la préparation au brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA).

Enfin, l’Assemblée nationale n’a pas entendu notre alerte quant à la création d’une nouvelle mission pour le réseau des œuvres universitaires. Faute de financement pérenne, cette nouvelle mission risque de se transformer très rapidement en nouvelle charge financière. Espérons que des crédits budgétaires soient prévus dans le prochain budget afin de reconduire les 1 600 référents sur lesquels l’Assemblée compte pour la mise en œuvre de cette nouvelle mesure.

Malheureusement, les conditions ne sont pas réunies pour faire évoluer ce texte. Le manque d’ouverture de la part de l’Assemblée nationale est tout à la fois frappant et navrant.

S’agissant d’un sujet sociétal aussi important et d’un fléau dont l’éradication nécessite une mobilisation générale de la société, un tel texte aurait mérité une volonté de compromis, bien au-delà des postures politiques.

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