Certes, des mesures d’accompagnement à l’intention de la population sans emploi ou en contrat précaire existent. Elles sont nécessaires. Nous avions d’ailleurs proposé à plusieurs reprises, au Sénat ou à l’Assemblée nationale, de les étendre, avec le revenu minimum jeunesse. Nous nous sommes malheureusement heurtés au mur de la majorité sénatoriale, mais aussi à l’opposition du Gouvernement. Pour rejeter notre proposition, vous n’aviez qu’une chose à nous opposer : l’insertion par l’emploi ; en d’autres termes, « changer de trottoir ». Comme si l’un excluait l’autre ! Ce n’est pas le cas. Nous le prouvons aujourd’hui avec cette proposition de loi, audacieuse, qui suscitera un débat, mais qui mérite d’être étudiée avec attention.
Nous nous attaquons ici au chômage de longue durée, synonyme d’exclusion sociale pour les personnes qui y sont confrontées et de perte de richesse pour la société. Est considérée comme chômeur de longue durée toute personne n’ayant pas exercé d’activité durant un an. En 2020, les chômeurs de longue durée représentaient près de 40 % des demandeurs d’emploi en France. Le phénomène n’est donc pas marginal, et il n’est plus acceptable.
Redonner aux chômeurs de longue durée la possibilité d’avoir accès à un emploi est une priorité, afin de leur éviter d’atteindre un point de non-retour qui les condamne souvent à un déclassement social irrémédiable. Avec cette proposition de loi, nous voulons rendre effectif le droit d’obtenir un emploi, qui est inscrit dans notre Constitution. Nous proposons que l’État puisse le garantir pour les chômeurs de longue durée qui le souhaitent.
Avec les deux laboratoires d’idées que sont Hémisphère Gauche et l’Institut Rousseau, que je salue ici, nous sommes partis d’un constat : la pénurie d’emplois résulte non pas d’un manque de travail, mais de l’organisation du marché du travail. Parmi les victimes de cette pénurie, certains se retrouvent durablement éloignés de l’emploi, avec la précarité sociale, psychologique et sanitaire que cela comporte. Le phénomène se reproduit de génération en génération.
Nous pensons que le rôle de l’État, en concertation avec les territoires et les élus locaux, est de corriger une telle injustice et de tout mettre en œuvre pour que la relégation d’une partie de la population ne soit jamais une fatalité, un invariant, un problème insoluble.
Nous proposons donc à chaque personne au chômage depuis plus d’un an et qui en fait la demande, une offre d’emploi à temps choisi, payée au SMIC horaire. Ces emplois donneront les mêmes droits et les mêmes devoirs qu’un CDI classique. L’objectif est de fournir un emploi à toutes les personnes durablement exclues du marché du travail. Si le dispositif se fonde sur l’émancipation par le travail, il n’impose rien. Cela permettra d’éviter à une partie de la population de s’enliser dans la trappe à pauvreté qu’est le chômage de longue durée, et augmentera les possibilités pour les personnes concernées de rebondir ensuite vers un emploi mieux rémunéré.
Monsieur le secrétaire d’État, si vous étiez cohérent avec vos propositions vous devriez soutenir ce dispositif d’insertion par l’emploi.
Oui, pour répondre à la potentielle demande, il nous faudrait créer un million d’emplois ! Je vois déjà venir le procès en utopie. Mais, je le souligne, créer ce million d’emplois aurait un coût inférieur à celui des politiques qui sont actuellement menées pour lutter contre le chômage.
Je souhaite saluer le travail du rapporteur, Jean-Luc Fichet. Mon groupe reprendra les amendements qu’il avait déposés. Ceux-ci, s’ils n’ont malheureusement pas été adoptés en commission, améliorent sensiblement le texte sur plusieurs points.
Pour atteindre notre objectif, nous rendons possible une montée en charge des dispositifs existants de contrats aidés, dans les secteurs marchand et non marchand, et nous développons l’insertion par l’activité économique.
Nous avons également souhaité nous appuyer sur la fameuse expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD), un dispositif juste, porté notamment par l’ancien député Grandguillaume. Cette expérimentation a fait ses preuves et est reconnue par tous les acteurs sur le territoire. Plutôt que de la généraliser de manière anticipée à travers un dispositif pérenne, nous souhaitons supprimer le plafond d’extension à soixante territoires, afin de permettre à tous les projets partenariaux et territoriaux existants, s’ils respectent le cahier des charges de l’association, d’intégrer le dispositif. Nous proposons également de simplifier l’habilitation de nouveaux territoires, en la rendant possible par la prise d’un simple arrêté préfectoral : un amendement en ce sens sera présenté. La question de la formation sera aussi prise en compte dans l’expérimentation.
Parce que nous pensons que l’État et les collectivités doivent s’engager dans une démarche innovante, permettant d’adapter réellement l’emploi à la transition écologique, nous avons orienté notre texte vers un déploiement d’emplois dits verts. Pour embarquer tous les citoyens dans la dynamique de transition écologique et faciliter son acceptation sociale, l’État doit pouvoir offrir aux Français des perspectives nouvelles, notamment en faveur des personnes les plus éloignées de l’emploi.
Nous considérons que cette approche inclusive et solidaire est le préalable à toute transition écologique d’envergure. À l’heure actuelle, les éco-activités, qui produisent des biens ou services ayant pour finalité la protection de l’environnement ou la gestion des ressources, mobilisent à peine 1, 8 % de l’emploi en France. C’est bien trop peu. Elles concernent l’agriculture biologique, la protection de la nature, des paysages, de la biodiversité, le recyclage, la récupération des eaux, la recherche, le développement ou encore l’ingénierie des énergies renouvelables. Autant de nouvelles compétences, mes chers collègues, qui vont se déployer dans les prochaines années, et c’est tant mieux. À nous de les encourager ! Déjà, un certain nombre d’emplois peuvent être rapidement créés localement, en fonction de besoins identifiés dans chaque bassin de vie.
J’évoquais les procès en utopie qui, comme toujours, ne manqueront pas de fleurir. Quand on propose un dispositif novateur, on se heurte souvent au mur du conservatisme. J’affirme donc ici que le financement de cette garantie à l’emploi ne poserait aucun problème. À terme, ce dispositif permettra même d’économiser de l’argent public. L’organisation non gouvernementale (ONG) ATD Quart Monde a estimé en 2015 les coûts du chômage d’exclusion, c’est-à-dire le chômage de longue durée, à 36 milliards d’euros par an pour la puissance publique. Amorcer le financement de ce million d’emplois verts coûterait moins de la moitié de cette somme, à comparer également aux 137 milliards d’euros de profits enregistrés par les groupes du CAC 40 en 2021…
En supprimant la flat tax, que vous avez créée, en instaurant un impôt de solidarité sociale et climatique sur le capital, en annulant la baisse de 10 milliards d’euros des impôts de production prévue par le plan de relance, et qui représente 10 % de son coût, et en augmentant le taux de la taxe les transactions financières, nous nous donnons les moyens d’enclencher cette dynamique vertueuse. À terme, cette garantie à l’emploi sera financée par la puissance publique, notamment à travers l’activation des dépenses liées au chômage, c’est-à-dire par la transformation en salaires des allocations et des aides sociales que perçoivent les chômeurs.
C’est le meilleur moyen de lutter contre le prétendu « assistanat », concept qui revient si souvent dans la bouche de certains de nos collègues ici présents.
Le bilan des politiques de lutte contre le chômage menées depuis quarante ans est décevant. Celles-ci n’ont pas permis d’éradiquer le chômage de longue durée. Avec cette proposition audacieuse, sociétale, vertueuse, offrons la possibilité de sortir d’une telle ornière !
Mes chers collègues, je vous invite à ne pas laisser passer l’occasion.