Intervention de Marie Mercier

Réunion du 24 février 2022 à 14h30
Choix du nom issu de la filiation — Discussion en nouvelle lecture d'une proposition de loi

Photo de Marie MercierMarie Mercier :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire, nous sommes appelés à nous prononcer en nouvelle lecture sur la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation, adoptée lundi par l’Assemblée nationale.

Ce texte important, du point de vue tant des principes qu’il met en jeu que des conséquences qu’il peut avoir sur la vie de nombre de nos concitoyens et de leur famille, a été examiné en toute fin de session, avec une célérité qui ne me semble pas justifiée.

Nous avons toutefois réussi à mener nos travaux avec sérieux et en faisant appel à l’expertise de nombreux professionnels : magistrats, avocats, personnels de mairie, pédopsychiatres, professeurs de droit, instituteurs, assistantes maternelles, etc. C’est leur analyse qui a nourri la position de la commission, puis du Sénat, non des partis pris idéologiques, comme certains l’ont suggéré.

Le Sénat n’a manifesté aucune hostilité à cette proposition de loi. De plus, il est conscient de la nécessité de simplifier les démarches de changement de nom pour répondre à certaines situations particulièrement douloureuses. Nous avons ainsi réussi à converger sur certains points, ce que nos collègues députés ont semblé oublier.

Tout d’abord, nous avons accepté une souplesse accrue quant au nom d’usage, pour apporter une solution rapide aux personnes majeures qui souffrent dans leur vie quotidienne de devoir utiliser le nom d’un parent maltraitant ou délaissant.

Ensuite, nous avons accepté une procédure de changement de nom simplifiée, sans justification d’un intérêt légitime, dès lors que le changement consiste à choisir un nom issu de sa filiation.

Nous avons aussi accepté le principe suivant : donner aux adultes le même choix que celui des parents à la naissance de leur enfant, dans le cadre de l’article 311-21 du code civil, que ce soit pour leur nom d’usage ou pour leur nom de famille.

Le Sénat a également adopté conformes l’article 2 bis, qui donne compétence à la juridiction prononçant un retrait de l’autorité parentale pour se prononcer sur un changement de nom du mineur, et l’article 3, qui supprime l’intervention du tuteur pour un changement de prénom du majeur protégé.

Toutefois, deux points de divergence demeuraient, et ils ont été suffisamment importants pour empêcher un compromis en CMP. Monsieur le garde des sceaux, croyez bien que je le regrette infiniment. D’ailleurs, il y a vingt mois, nous étions, vous et moi, exactement dans la même position : vous veniez défendre ce texte – le premier depuis votre entrée en fonction –, et j’en étais le rapporteur.

Le premier point de divergence concerne la situation des mineurs, le second le rôle des communes.

Toute notre réflexion a été construite autour de l’idée qu’un enfant ne fait pas la différence entre un nom d’usage et un nom de famille : le faire connaître dans sa vie de tous les jours sous un autre nom – c’est là le propre du nom d’usage, qui n’est pas une simple mention administrative – équivaut donc, en pratique, à lui faire changer de nom.

De ce fait, l’article 1er de la proposition de loi présente à nos yeux un défaut de conception, puisqu’il repose sur l’idée qu’il serait légitime de changer le nom d’un enfant pour faciliter la vie quotidienne d’un parent – en l’occurrence la maman, qui n’aurait plus à montrer son livret de famille – ou pour « restaurer l’égalité parentale ».

Cela étant, nous comprenons ces préoccupations et nous avons proposé une autre solution.

Nous avons été soucieux de ne pas perturber l’enfant dans la construction de son identité et dans sa vie sociale, dans un contexte conflictuel ou hors intervention du juge aux affaires familiales (JAF).

Nous n’avons pas souhaité autoriser une substitution de nom pour les mineurs à titre d’usage. Nous n’avons pas accepté non plus la solution proposée par nos collègues députés pour répondre à la demande de simplification exprimée par le collectif Porte mon nom.

Le droit de décider seul, au cours de la minorité de son enfant, d’adjoindre à titre d’usage son nom de famille au nom de l’enfant, pourrait créer des situations instables : ainsi, l’enfant serait nommé différemment selon qu’il est chez son père ou chez sa mère et devrait revenir à son nom d’origine si le JAF considérait finalement qu’il n’est pas de son intérêt d’adjoindre l’autre nom.

À l’article 1er, le Sénat a donc préféré s’en tenir au droit existant pour les mineurs et maintenir la nécessité d’un accord des deux parents, s’ils exercent conjointement l’autorité parentale, ou d’une décision du JAF en cas de désaccord, ce qui est malheureusement fréquent.

Les effets de la procédure de changement de nom simplifiée prévue à l’article 2 sur les enfants mineurs ne semblent pas avoir été suffisamment expertisés. Si l’on peut concevoir qu’un majeur puisse, une fois dans sa vie, choisir son nom par simple déclaration, sans aucune justification, il semble inopportun que ce changement de nom ait un effet automatique, par ricochet, sur les enfants de moins de 13 ans, sans aucun contrôle ni aucune information de l’autre parent.

Notre second point de blocage concerne les communes. Nous n’avons pas souhaité que la simplification du fonctionnement du ministère de la justice se fasse au détriment des services de l’état civil des mairies.

La procédure choisie dans le cadre de l’article 2 de la proposition de loi semble avoir été conçue de manière opportuniste pour pallier l’abandon d’un projet de numérisation et de dématérialisation de la procédure de changement de nom par décret, ainsi que les retards accumulés pendant la crise sanitaire.

En première lecture, nous avons proposé comme autre solution une procédure simplifiée, qui resterait centralisée auprès du ministère de la justice comme c’est le cas aujourd’hui. Il s’agissait d’une procédure sur simple arrêté, et non plus sur décret du Premier ministre, que le ministère aurait engagée par téléprocédure sur la base d’un formulaire Cerfa. L’idée était de rendre cette démarche facile et accessible sur tout le territoire.

Nous y avions apporté des garanties au moyen de l’institution d’une période de réflexion de trois mois et d’une recevabilité soumise à l’absence d’enfants mineurs pour éviter tout effet de ricochet.

Cette solution n’a pas trouvé d’écho auprès des députés qui sont revenus à leur procédure initiale, sans autre changement que celui de prévoir un délai de réflexion d’un mois, ce qui semble insuffisant au regard de la portée de la démarche.

Les députés ont donc peu ou prou repris l’intégralité de leur texte de première lecture. Ce n’est pas une surprise. Après le passage du texte au Sénat, ils ont aussitôt dénoncé un « détricotage », sans même relever les avancées votées par notre assemblée et que j’ai rappelées.

Plutôt qu’un « détricotage », je parlerais d’un reprisage. Nous avons tenté, comme on le dit chez moi avec des mots un peu fleuris, de faire une robe de bal avec un sac à pommes de terre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion