Intervention de Dominique de Legge

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 8 novembre 2022 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Mission « défense » et article 42 - examen du rapport spécial

Photo de Dominique de LeggeDominique de Legge, rapporteur spécial de la mission « Défense » :

Les crédits de la mission « Défense » s'élèvent à 62 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 53,1 milliards d'euros en crédits de paiement (CP).

Sans compter les pensions et à périmètre courant, les CP progresseraient donc de 3 milliards d'euros, pour s'établir à 44 milliards, dans un strict respect de la marche prévue par la loi de programmation militaire (LPM) pour 2019-2025. En 2023, les crédits de la mission seraient donc supérieurs de 8 milliards d'euros à ceux de 2019.

Ainsi, d'un strict point de vue budgétaire, la LPM aura été respectée chaque année depuis 2019, ce dont nous nous félicitons. Cependant, si elle est respectée d'un point de vue budgétaire, elle ne l'est pas d'un point de vue capacitaire.

Le prélèvement de 24 avions Rafale d'occasion sur la dotation de l'armée de l'air et de l'espace, pour les besoins d'un export au profit de la Grèce et de la Croatie, constitue à ce titre une profonde remise en cause de l'objectif fixé par la LPM à l'horizon de 2025 pour la flotte de Rafale.

Par ailleurs, dans le cadre de l'actualisation stratégique présentée en 2021, plusieurs ajustements ont été effectués par rapport aux priorités de la programmation initiale, dans un contexte d'évolution des menaces. Le périmètre de cette actualisation représente au moins 3 milliards d'euros, ce qui entraîne des retards dans la mise en oeuvre de plusieurs programmes d'armement. Nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées l'évaluent même à au moins 8,6 milliards. Il ne s'agit donc pas tout à fait de l'épaisseur du trait...

Alors qu'une actualisation législative en bonne et due forme se justifiait pleinement, le Gouvernement s'est contenté d'une déclaration devant les assemblées au titre de l'article 50-1 de la Constitution, ce qui ne représente pas une modalité d'association suffisante du Parlement.

Les conséquences de la ponction des 24 Rafale - soit près de 20 % du parc - se font aujourd'hui gravement ressentir sur la capacité de l'armée de l'air et de l'espace à remplir son contrat opérationnel. De plus, elle affecte de façon grave et durable la formation des pilotes de chasse, dont le nombre annuel d'heures de vol passerait de 162 à 147 en 2023, loin de l'objectif fixé par la LPM.

En outre, notre potentiel opérationnel est affecté par la cession de 18 canons Caesar aux forces armées ukrainiennes - soit près du quart du parc de l'armée de terre.

Les commandes de recomplètement de notre flotte de Rafale - pour un montant de plus de 2,5 milliards d'euros - et du parc de canons Caesar - pour près de 80 millions d'euros - sont financées sous enveloppe LPM, dans l'attente de la prochaine programmation annoncée pour le premier trimestre de l'année prochaine.

Cette année, nos armées ont également été mobilisées sur le flanc Est de l'Europe, dans le cadre des missions de réassurance de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan). À ce titre, la France intervient notamment comme nation-cadre de la mission AIGLE en Roumanie. Le surcoût de cette projection de nos armées s'élève à près de 700 millions d'euros en 2022 et il est déjà estimé à environ 250 millions d'euros pour 2023. Il doit faire l'objet d'un financement grâce à l'ouverture de crédits dans le cadre du projet de loi de finances rectificative en cours d'examen.

Cependant, comme les années précédentes, les surcoûts liés aux opérations extérieures (Opex) - liés notamment à la ré-articulation en cours du dispositif Barkhane au Sahel - seraient financés par des redéploiements internes à la mission, sous enveloppe LPM, contrairement aux dispositions de son article 4. Ces surcoûts représentent près de 400 millions d'euros.

Par ailleurs, l'exercice 2023 sera marqué par l'impact de l'inflation sur le budget des armées, évalué à 1 milliard d'euros. Afin que cet impact ne conduise pas à absorber le tiers de l'augmentation des crédits, le Gouvernement a fait le choix de le financer par reports de charges sur l'année 2024, privilégiant ainsi l'affichage d'un respect strict de la marche prévue par la LPM plutôt que le reflet fidèle des besoins des armées. Cette méthode, qui revient à créer de la dette dans la dette, me paraît constitutive d'une forme d'insincérité. À l'heure où le Gouvernement parle d'« économie de guerre » et attend une réactivité accrue de la part des industriels, il paraît malvenu de laisser entrevoir un paiement différé, lui-même générateur d'agios.

En outre, le rapport fait le point sur la disponibilité technique opérationnelle des équipements des trois armées, qui reste globalement en deçà des objectifs, avec un point de vigilance qui perdure s'agissant des hélicoptères de l'armée de terre. Certes, des efforts importants ont été consentis ces dernières années en matière de maintien en condition opérationnelle, notamment grâce à la conclusion avec les industriels de larges contrats verticalisés, dont il conviendra d'évaluer l'efficacité.

Le rôle du budget des armées étant également de préparer l'avenir, je souhaiterais conclure mon propos en évoquant le projet du système de combat aérien du futur (Scaf), lancé en 2017 et mené en coopération avec les Allemands et les Espagnols.

Le projet consiste à rassembler et connecter des moyens de combat, autour d'un nouvel avion de chasse polyvalent et en ayant recours à l'intelligence artificielle. Ce futur avion devra aussi répondre aux exigences opérationnelles des armées françaises puisqu'il devra assurer la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire et être « navalisable », c'est-à-dire en mesure de pouvoir apponter sur le nouveau porte-avions.

Toutefois, les négociations ont pris un sérieux retard. Ainsi, l'accord devant fixer le cahier des charges du nouvel avion, en vue du lancement de la phase de démonstration prévue pour l'an prochain, n'a toujours pas été signé.

Chaque jour de retard supplémentaire dans les négociations est un jour perdu pour la préparation des armées françaises à la guerre aérienne du futur, alors même que les besoins opérationnels ont été exprimés avec la plus grande clarté par nos chefs d'états-majors.

Dans ce contexte, il me semble nécessaire d'envisager la possibilité d'une alternative nationale au Scaf. Si le « plan A » doit demeurer celui de la poursuite de la coopération engagée, je propose d'adopter un amendement destiné à financer des études supplémentaires pour permettre d'explorer la faisabilité d'un « plan B », qui soit national. Je précise cependant que cet amendement vise avant tout à engager un débat avec le Gouvernement, pour le forcer à se positionner sur le sujet et à s'engager sur un calendrier.

Sous réserve de l'adoption de cet amendement, et à un an d'une nouvelle LPM, je vous propose d'adopter les crédits de la mission.

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