D'abord, souvenez-vous des difficultés que nous avions à vendre nos Rafale lors du quinquennat de M. Hollande. Nous étions les seuls à les utiliser et n'étions pas capables d'assurer le maintien de la chaîne sans exporter. Aujourd'hui, nous exportons. De plus en plus de pays se sont intéressés à nos avions et, quand les Grecs et les Croates ont voulu s'en procurer, ils ont demandé si nous avions la possibilité de les vendre moins cher. Ainsi est née l'idée de vendre des avions d'occasion, ce qui devait aussi permettre de produire des avions neufs, pour remplacer les appareils vendus.
Cette manoeuvre pose toutefois une difficulté puisqu'elle empêche d'atteindre les objectifs de la LPM. Le stock de Rafale prévu à horizon de 2025 ne sera donc prêt qu'en 2027, et il faut faire avec ce « trou » capacitaire en attendant. Lors des auditions, nos interlocuteurs ont indiqué que le nombre de nos avions Rafale n'était plus suffisant pour mener à bien à la fois les missions et réaliser nos objectifs d'entraînement des pilotes en termes d'heures de vol. Je ne remets pas forcément en cause cette décision, mais ses effets ont sans doute été sous-évalués et leur impact se fera sentir pendant un certain temps encore.
Pour conclure sur ce sujet, nous allons recevoir environ 1 milliard d'euros de recettes de la vente, dont la moitié serait réinvestie dans la commande de recomplètement par des appareils neufs mais ce dernier représentera un surcoût net de près de 2,5 milliards d'euros, financés sous enveloppe LPM.
J'en viens au Scaf. Il y a deux ans, le président de la République expliquait que l'Otan était en état de « mort cérébrale ». Aujourd'hui, la présence et la réalité de l'Otan est indéniable dans le conflit russo-ukrainien et, après avoir rencontré un certain nombre d'homologues, je me rends compte que plus on avance vers la frontière Est de l'Europe, plus on se sent otanien. Personne n'attend grand-chose des Français et tous pensent que ce sont plutôt les Américains qui les protègeront. L'enjeu est donc de savoir si nous devons garder une industrie de défense qui nous soit propre, mais qui intéresse aussi les Européens ou si, comme le dit le président Raynal, nous décidons d'acheter des F 15 sur étagère. L'enjeu est industriel et économique, mais il s'agit aussi d'autonomie stratégique.
La vision qu'ont les Allemands de la question de la défense est très différente de la nôtre. Alors que nous Français avons une armée de projection, la vision allemande est celle d'une armée de protection, destinée à protéger leur sol et non à se projeter sur des opérations extérieures. D'après ce que je comprends de la situation, les états-majors des deux pays sont à peu près d'accord sur ce qu'il convient de faire. Le blocage se situe au niveau politique : comment exporterons-nous, demain, ce nouvel avion ? Quelle sera sa place dans un système de défense européen ? C'est à cause de ce blocage que je dépose cet amendement, tout en sachant qu'il y a neuf chances sur dix pour que je finisse par le retirer. Je voudrais néanmoins que nous ayons ce débat, qui est essentiel pour notre industrie de défense, pour nos relations avec nos partenaires européens et pour l'avenir même de notre défense.
Je suis toujours très étonné par le discours autour de la « défense européenne ». La défense européenne n'existe tout simplement pas, et n'existera jamais. Nos conditions d'engagement des forces ne sont pas les mêmes. En France, le Président de la République peut décider tout seul d'engager nos forces et peut attendre quatre mois avant de se présenter devant le Parlement pour être autorisé à continuer. En Allemagne, le chancelier doit passer devant le Parlement avant de tirer une cartouche ! En termes de surprise et d'efficacité, ce n'est pas tout à fait la même chose...
Le débat doit avoir lieu et je cherche à le provoquer. Je ne souhaite pas que l'amendement aille au bout et je souhaite que le « plan A » aboutisse. Mais il y a urgence parce que nous devons mener en parallèle le projet de porte-avions de nouvelle génération qui a vocation à remplacer le Charles-de-Gaulle. Les deux projets sont liés puisque le futur avion de combat devra, comme je l'ai expliqué, être en mesure d'apponter sur le nouveau porte-avions. Si la décision politique n'est pas prise maintenant, ce sont l'ensemble de ces projets d'importance majeure pour notre outil de défense qui seront retardés.
Rémi Féraud a posé une question sur l'impact de l'inflation. La marche prévue dans la LPM a été respectée. Nous avions indiqué, lors de l'examen du texte, qu'il ne nous semblait pas raisonnable de prévoir une marche si importante pour les deux dernières années, 2023 et 2024 ; nous aurions préféré lisser davantage la trajectoire. Je dois néanmoins reconnaître que l'augmentation prévue de 3 milliards d'euros est respectée en 2023. Cependant, sur cette progression de 3 milliards d'euros, près de 1 milliard d'euros serait absorbé par l'inflation. Pour y remédier, celle-ci serait financée par un report de charges sur 2024. Cette méthode me gêne puisque, comme je l'ai expliqué, on ne peut pas, d'un côté, demander aux industriels de produire plus vite des canons Caesar et des avions Rafale afin que nous puissions faire remonter nos capacités opérationnelles, tout en leur expliquant que même s'ils produisent plus vite, ils seront payés plus tard.
Par ailleurs, sur le sujet du soutien à l'Ukraine, les 18 canons Caesar coûtent 80 millions d'euros, le fonds de soutien pour l'achat de matériels militaires représente un effort budgétaire de 100 millions et le surcoût 2022 lié aux opérations menées sur le flanc Est sont évaluées à 700 millions d'euros. Ces dépenses devraient être financées par un abondement de crédits sur la mission dans le PLFR de fin de gestion. Hors « Ukraine » le coût global des opérations extérieures, incluant notamment l'opération Barkhane, et des missions intérieures en 2022 est estimé à 1,6 milliard d'euros, soit 400 millions de plus que la provision prévue en loi de finances initiale. Comme les années précédentes, ce surcoût Opex devrait être financé par redéploiements internes au budget des armées.
Quant aux dépenses de recherche financées par la défense, elles s'élèvent à environ 210 millions d'euros, dont une partie est consacrée au CEA pour ses recherches en matière de dissuasion.
J'ai été interrogé sur l'impact de l'opération Sentinelle sur le budget. Le surcoût annuel lié à cette mission est d'environ 100 millions d'euros.
Enfin, sur le SNU et la JDC, nous nous sommes toujours battus pour considérer le SNU comme un service national et non pas un service uniquement militaire, afin que le budget de la défense ne soit pas le seul à le financer. Les militaires confient ne pas avoir de problème, leur contribution passant dans l'épaisseur du trait. En effet, ce ne sont, pour l'essentiel, pas eux qui financent le SNU. Par ailleurs, en ce qui concerne les objectifs, on n'en parle plus beaucoup depuis le covid et je n'ai pas l'impression qu'il s'agisse d'une promesse de campagne que l'on cherche à honorer à tout prix.