Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Commission des affaires économiques — Réunion du 23 novembre 2022 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Mission « cohésion des territoires » - crédits « logement » - examen du rapport pour avis

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone, « Aide à l'accès au logement » et « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » :

rapporteur pour avis des programmes « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », « Aide à l'accès au logement » et « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat ». - Si vous écoutez le bruit ambiant, vous aurez l'impression qu'il n'est question que de rénovation énergétique des logements et plus de constructions neuves. Il ne s'agit pas de nier - bien au contraire - l'importance de la transition énergétique. Cependant, nous observons ici le signe d'un certain pessimisme et de l'adoption progressive d'une vision décroissante voire décliniste qui, sous prétexte de protéger les générations futures, ne leur laisse que bien peu de place pour construire leur vie.

Beaucoup de projets font même face à une obstruction qui décourage les maires comme les promoteurs. Le logement ne fait pas encore l'objet d'actions violentes mais on observe un mécontentement s'exprimer dans certains territoires, par rapport à des sujets tels que les locations touristiques ou les meublés de tourisme. Ainsi, au mois de novembre 2021, des milliers d'actifs ne parvenant plus à se loger ont manifesté à Bayonne.

Si l'on ne peut que s'inquiéter pour les années à venir, il nous faut pourtant tenir ces deux objectifs : rendre plus sobres les logements pour atteindre la neutralité carbone et continuer de construire pour soulager les zones tendues, afin d'offrir à nos concitoyens un toit ainsi qu'un parcours résidentiel, sources d'épanouissement familial et personnel.

C'est en gardant en tête cette double perspective que je vous propose d'aborder l'examen des crédits « Logement », avant de m'intéresser plus spécifiquement au financement du logement et à l'avenir d'Action Logement, aux enjeux de la rénovation thermique et aux pistes de soutien à la construction.

Je vous propose donc de commencer par l'examen du budget proposé pour 2023 pour les trois programmes de la mission cohésion des territoires dédiés à cette question, les 109, 135 et 177.

Dans un contexte où l'inflation anticipée est de 4,2 %, les crédits de la mission « Cohésion des territoires » et ceux des trois programmes dédiés au logement progressent de 3,9 %, pour atteindre 16,9 milliards d'euros.

De plus, les dépenses fiscales représentent un montant équivalent au budget lui-même, les taux de TVA réduits pour les travaux - 10 % pour l'entretien et 5,5 % pour les économies d'énergie - pesant le plus lourd dans ce total, pour un montant de 6,5 milliards d'euros.

Le projet de loi de finances (PLF) pour 2023 est un budget de transition qui ne marque pas d'inflexion importante, sauf en ce qui concerne les crédits dévolus à l'Agence nationale de l'habitat (Anah).

Le premier poste reste le programme 109 « Aide à l'accès au logement » dédié au financement des aides personnelles au logement (APL), qui pèse à lui seul 13,3 milliards d'euros et connaît cette année une augmentation de 292 millions d'euros. Cette hausse ne s'explique ni par un coup de pouce spécifique ni par un regret quant aux mesures passées, mais traduit les décisions votées cet été dans le cadre de la loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat : la revalorisation de 3,5 % des APL en raison de l'inflation et le plafonnement à 3,5 % de la hausse de l'indice de référence des loyers (IRL).

Le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » représente le deuxième poste puisqu'il pèse 2,8 milliards d'euros. Il est consacré à l'hébergement et à l'insertion des personnes vulnérables dans le logement. La dynamique budgétaire est davantage portée par des sous-jacents comme la revalorisation des métiers du secteur « accueil, hébergement, insertion » (AHI) - avec 148 millions d'euros supplémentaires en 2023 -, que par de nouveaux développements en matière de Logement d'abord - dont les crédits augmentent de 44 millions d'euros.

Depuis plusieurs années, les crédits inscrits dans les PLF successifs sont toujours inférieurs à ceux qui sont exécutés, notre pays restant fidèle au principe de l'accueil inconditionnel. Ainsi, le Gouvernement a accepté d'abonder le budget initial de 40 millions d'euros à la suite d'un amendement adopté à l'Assemblée nationale pour maintenir environ 195 000 places d'hébergement et a renoncé à en baisser le nombre. Cependant, compte tenu d'une pression migratoire qui se maintient à un niveau élevé, la politique du Logement d'abord, qui consiste à permettre aux personnes précaires d'accéder directement à une solution durable, notamment accompagnée socialement, ne parvient pas à faire reculer le recours à l'hébergement d'urgence ou aux nuitées hôtelières.

Dans ce contexte compliqué, le programme 177 joue le rôle de dernier filet de sécurité pour des populations en grande difficulté. À ce titre, je souhaite que tous les personnels des services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO), qui assurent la prise en charge, soient traités de la même manière. Ainsi, les écoutants du 115 ne doivent pas rester les seuls à ne pas bénéficier de la revalorisation des rémunérations du secteur AHI et je vous proposerai un amendement en ce sens.

Le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » constitue le troisième volet du budget et atteindra 780 millions d'euros, ce qui représente une progression de 47,4 %. Cette évolution s'explique par l'accroissement significatif des moyens de l'Anah. Le programme 135 pourvoit aux moyens de fonctionnement et d'investissement de l'Agence tandis que les aides sont financées par le programme 174, qui vient d'être présenté par Daniel Gremillet. La contribution du programme 135 à l'Anah passera de 170 à 404 millions d'euros. Cette hausse recouvre la création de 25 postes supplémentaires, le déploiement du réseau France Rénov' et la préparation de Ma Prime Adapt', qui sera dédiée à l'adaptation des logements au vieillissement de la population.

Ce budget prolonge plus qu'il n'initie ou ne fait des choix. Cet entre-deux est particulièrement sensible pour trois dossiers clés : le financement du logement et du logement social en particulier, la rénovation et la construction neuve.

Je voudrais d'abord aborder le financement du logement en général, à travers la situation d'Action Logement, ainsi que le financement du logement social, à travers le Fonds national des aides à la pierre (Fnap) et l'avenir de la réduction de loyer de solidarité (RLS). L'ensemble est intimement lié.

En 2023, le Gouvernement contraindra une nouvelle fois Action Logement à verser 300 millions d'euros, dans le cadre de l'article 16 du PLF. Mais, cette année, la contribution se fera au profit du Fnap et elle est présentée comme s'inscrivant dans la continuité de l'accord trouvé autour de la RLS. Cela concrétise les craintes que j'avais exprimées l'an passé, même si une telle issue n'était pas inévitable. Ainsi, le Gouvernement aurait pu consentir à reprendre la part qui devrait lui revenir dans ce fonds de financement du logement social et qui, de manière paradoxale, est depuis plusieurs années financée par les bailleurs sociaux eux-mêmes et dont la trésorerie est versée automatiquement à l'État...

Malgré mon opposition de principe à ce procédé, nous sommes démunis en tant que parlementaires. La suppression de l'article 16 ferait porter le poids, en l'état des textes, sur les bailleurs sociaux. Par ailleurs l'article 40 nous empêche de transférer la charge à l'État comme il serait légitime de le faire. Enfin, la réduction de la contribution d'Action Logement réduirait les moyens du Fnap et empêcherait de mobiliser les reliquats pour la rénovation ou l'augmentation de l'aide unitaire au logement dans un contexte de hausse des coûts.

Cette nouvelle captation des ressources d'Action Logement, qui s'est opérée sans concertation, s'inscrit dans un contexte préoccupant pour le groupe paritaire. En effet, le 31 août dernier, le directeur général de l'Insee a pris la décision - apparemment technique - de classer sa filiale Action Logement Services (ALS), responsable de la collecte et de la distribution de la participation des employeurs à l'effort de construction (Peec), comme une administration publique, faisant entrer le solde de ses comptes et sa dette dans ceux de l'État, au sens des critères du traité de Maastricht. L'impact de cette opération n'est d'ailleurs pas négligeable puisqu'elle entraine un endettement supplémentaire de 0,3 point de PIB.

De plus, cette décision pourrait conduire le ministre des comptes publics à classer ALS parmi les Organismes divers d'administration centrale (Odac), où sont notamment regroupés les grandes agences ou instituts de l'État. L'une des principales conséquences serait l'interdiction pour ALS de s'endetter à plus de 12 mois, sauf exception prévue par la loi, ce qui transformerait profondément son modèle de financement et de fonctionnement, et menacerait sa capacité à remplir ses engagements financiers vis-à-vis de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) ou du programme Action Coeur de ville (ACV).

Action Logement a déposé des recours gracieux auprès de l'Insee et de Bercy, qui sont en cours d'instruction.

Si ce processus allait à son terme, il conduirait à une scission de fait au sein du groupe Action Logement, l'État contrôlant étroitement la collecte et l'emploi de la Peec. L'un de ses objectifs pourrait être de s'assurer de l'équilibre des ressources et des dépenses en arbitrant directement entre le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), le Fnap, ACV ou la garantie Visale. Les partenaires sociaux ne conserveraient sans doute qu'une très faible marge de manoeuvre en dehors de la gestion des filiales immobilières. Ainsi, cela préempterait largement la négociation de la convention quinquennale qui a pour but d'établir un accord entre Action Logement et l'État sur l'emploi de la Peec.

Néanmoins, l'avenir n'est pas écrit et il ne va pas de soi qu'un organisme paritaire collectant une contribution des entreprises pour partie volontaire soit classé comme Odac. L'acceptation des entreprises n'est d'ailleurs pas acquise. J'ajoute que le secteur du logement a un intérêt stratégique à ce qu'Action Logement reste un acteur autonome, à la fois philosophiquement, comme héritier et incarnation du pacte social d'après-guerre entre patrons et salariés, mais aussi financièrement, la Peec étant, avec le Livret A, l'une des « deux mamelles » du logement pour reprendre la formule de Sully. Si la contribution d'Action Logement au Fnap en 2023 protège momentanément les ressources des bailleurs sociaux, elle pourrait être une sécurité très provisoire face aux besoins comptables du ministère du budget.

Concernant le Fnap lui-même, l'État a fait le choix en 2023 de mobiliser les reliquats, soit environ 200 millions d'euros, en raison d'opérations abandonnées, au service de la rénovation thermique dans le secteur HLM. Derrière l'effet d'annonce, ce montant ne représente pas une enveloppe nouvelle de l'État mais provient des fonds des bailleurs sociaux eux-mêmes. Ainsi, elle aurait pu être affectée à la construction neuve de logements sociaux, dont nous avons tant besoin. Enfin, elle est inférieure à l'aide apportée par le plan de relance. En l'état, cette enveloppe ne pourra d'ailleurs pas être renouvelée en 2024 avec les mêmes sources de financement ; l'État sera-t-il au rendez-vous ?

Enfin, la question du financement du logement social au cours du quinquennat et de la prolongation de la RLS se pose. Nous devrions d'ailleurs plutôt évoquer les conditions de sa prolongation, tant les intentions du Gouvernement semblent limpides en la matière. Outre le prolongement des dispositifs propres au Fnap que je viens d'évoquer, l'article 41 ter du PLF, rattaché à la mission, aura pour but de maintenir son rendement à hauteur de 1,3 milliard d'euros en 2023. L'avenir est normalement soumis à la conclusion d'un « Pacte de confiance » entre l'État et l'Union sociale pour l'habitat (USH), sans doute au printemps prochain. La RLS a essentiellement été absorbée par les bailleurs grâce à un accroissement de l'endettement. Or la hausse des taux d'intérêt remet en cause ce modèle d'autant que les coûts de production sont en forte augmentation et que le parc social est confronté à l'impératif de rénovation des logements pour continuer à pouvoir les louer. Je vous présenterai donc un amendement sur ce point, pour que la pérennisation de facto de la RLS soit enfin discutée.

La rénovation des logements constitue le deuxième grand sujet de ce budget et des prochaines années dans ce domaine. La loi « Climat et résilience » a imposé un calendrier des rénovations, selon lequel les logements classés G, F et E ne pourront plus être loués à partir de 2025, 2028 et 2034. Cette interdiction s'appliquera dès le 1er janvier 2023 aux logements dits « G + », qui sont les plus énergivores. Ce calendrier très resserré est susceptible d'avoir des conséquences majeures.

L'Institut Paris Région a établi qu'en Île-de-France, il concernait 2,3 millions de logements, soit 45 % du parc de résidences principales selon l'ancien diagnostic de performance énergétique (DPE), le nouveau étant plus sévère. À Paris même, deux tiers du parc locatif est directement visé. Paris n'est pas la France mais cette étude montre le caractère crucial du sujet. Une enquête récente de la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim) montre que, devant ce défi, beaucoup de bailleurs privés pourraient baisser les bras. Un quart pourrait vendre à des occupants qui ne feront pas nécessairement les travaux. De plus, entre 5 % et 10 % pourraient opter pour les meublés de tourisme qui ne sont pas soumis à cette réglementation. Les y soumettre, comme le ministre du logement a indiqué vouloir le faire, ne règlera pas le problème qui est autant un sujet de financement que de séquencement face aux capacités limitées des professionnels à mener à bien les travaux. Enfin, la fiabilité du lien entre la réalisation de travaux et le saut en termes d'étiquette énergétique reste un sujet non réglé.

Dans ce ciel chargé, le projet de loi de finances rectificative (PLFR) et le PLF apportent quelques éclaircies.

Tout d'abord, dans le cadre du PLFR, un amendement a été adopté à l'Assemblée nationale visant à doubler le déficit foncier, qui correspond à la part des charges supérieure aux revenus fonciers et peut être déduit du revenu global, salaire ou pension de retraites, pour faire diminuer l'impôt sur le revenu. Cette mesure était très attendue par les propriétaires effectuant des travaux dans des logements énergivores et nous l'avions votée dans la loi « Climat et résilience », mais elle n'était pas restée dans le texte. Nous saluons donc ce doublement du déficit foncier jusqu'en 2025, même s'il arrive un peu tardivement.

En outre, les moyens de l'Anah vont fortement augmenter dans le PLF puisque son budget s'accroît de 900 millions d'euros à travers le programme 174 et de 219 millions d'euros grâce à l'affectation de recettes de quotas carbone. L'Anah a été fortement critiquée par la Cour des comptes l'an passé et cette année par le Défenseur des droits. En effet, il semble de bon ton de lui faire porter la responsabilité du retard français en matière de rénovation énergétique des logements. Cependant, cela me parait assez injuste. L'Anah est au contraire le symbole et le symptôme du réveil de notre pays sur cette question, mais aussi de nos difficultés et de nos insuffisances. Je voudrais rappeler qu'entre 2019 et 2023, le plafond d'emplois de l'Anah aura été multiplié par deux, passant de 115 à 232 emplois équivalents temps plein (ETP). Entre 2019 et 2021, toutes aides confondues, les décaissements ont été multipliés par trois, le nombre de logements aidés par cinq.

Ainsi, Ma Prime Rénov' a été attribuée à 644 000 logements en 2021, pour un total de 2 milliards d'euros et un montant moyen de 3 200 euros. Dans 80 % des cas, il s'agit comme prévu de mono-gestes, concernant des systèmes de chauffage dans 70 % des cas. De plus, 85 % des aides sont attribués en moins de quinze jours. Seuls 500 à 600 dossiers sont bloqués et font l'objet d'un traitement individuel, qui devrait permettre de résoudre 90 % des cas d'ici la fin de l'année.

Je serai donc moins sévère que Daniel Gremillet quant à l'Anah, d'autant qu'elle est aussi confrontée à une importante transformation interne. Certes, des insuffisances demeurent, mais il ne faut pas décourager ses équipes.

Cependant, l'Anah doit encore réussir à massifier l'accompagnement pour entraîner la massification des rénovations globales. En effet, les rénovations relèvent encore trop largement du mono-geste, ce qui doit changer dans la perspective de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Sans minimiser le problème, les chiffres sont tout de même encourageants. Ainsi, Ma Prime Rénov' Sérénité, consacrée à la rénovation globale, a permis de rénover plus de 41 000 logements en 2021, dont plus de 23 000 ont bénéficié d'une bonification pour sortie de passoire thermique.

Par ailleurs, Ma Prime Rénov' Copropriétés commence à monter en puissance, bien que lentement en raison de la difficulté de faire voter des travaux en assemblée générale. En 2021, elle a concerné 12 000 logements. Les solutions passent certainement par une plus grande aide accordée aux propriétaires modestes, pour lesquels la prime pourrait être doublée, ce que j'ai demandé au ministre. Des solutions juridiques peuvent aussi être envisagées pour rendre solidaires les propriétaires. En effet, dans un même immeuble, les logements n'ont pas forcément la même étiquette et les propriétaires ne sont pas tous pressés de la même manière par le calendrier. Il faut donc réfléchir à des solutions telles que l'opposabilité du DPE collectif pour un immeuble ou du vote du programme pluriannuel de travaux.

Dans le parc social, les enjeux de rénovation thermique sont relativement moins importants en proportion - environ 1,2 millions de logements à traiter avant 2034 - mais posent aussi des questions différentes. Les bailleurs sociaux sont des acteurs institutionnels, qui peuvent entreprendre des rénovations de masse rentabilisées sur de longues durées. Ils se projettent par ailleurs au-delà de 2034 et envisagent dès aujourd'hui l'avenir de leur patrimoine à l'horizon 2050, date à laquelle un maximum de logements devra avoir atteint les classes A ou B selon la SNBC.

La question se pose donc pour eux en termes de stratégie de patrimoine, de savoir s'ils ne doivent pas dès aujourd'hui organiser des rénovations dans cette perspective, afin de ne pas faire plusieurs des travaux et de les rentabiliser au plus tôt. Pour donner un ordre de grandeur, le coût moyen d'une réhabilitation thermique serait de l'ordre de 38 000 euros, celui d'une rénovation donnant une seconde vie au bâtiment allant au-delà de 2050 serait d'environ 100 000 euros, à comparer avec un coût de 158 000 euros pour une construction neuve. Les bailleurs sociaux envisagent de réaliser environ 10 000 rénovations « seconde vie » par an dans un premier temps.

Pour cela, ils demandent que ces opérations soient aidées par des subventions du Fnap, des prêts à long terme de la Caisse des Dépôts, mais aussi en termes de fiscalité, par une TVA à taux réduit et une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), ainsi qu'un reconventionnement des loyers comme des logements neufs. La démarche est prometteuse et offre une vision stratégique qui manque dans le secteur du côté de l'exécutif. Elle permet aussi de s'organiser pour viser clairement l'horizon 2050, ce que j'avais plaidé dans le cadre de la loi « Climat et résilience », en proposant d'intégrer dès aujourd'hui les logements D à la réflexion.

Je terminerai en disant quelques mots de la construction neuve. Elle est en berne. Du côté des logements sociaux, Emmanuelle Wargon avait affiché l'objectif de 250 000 logements en deux ans et on ne franchira peut-être pas le seuil des 180 000 agréments. Du côté des autres constructions, les évolutions sont moins lisibles. En effet, on constate d'une part une forte augmentation conjoncturelle du nombre de permis de construire délivrés - 523 000 entre septembre 2021 et août 2022 - en raison du bouclage des projets antérieurs à la réglementation environnementale RE 2020. Cependant, les biens mis en vente baissent de 10 % et les réservations de 20 % au cours du dernier trimestre, ce qui est inquiétant. Parallèlement, l'indice du coût de la construction a augmenté de 8 % en un an selon l'Insee.

Notre analyse doit se porter au-delà de la conjoncture et le domaine du logement s'inscrit dans le temps long. Il est essentiel de donner de la visibilité aux outils fiscaux et au cadre juridique pour les investisseurs. En effet notre pays a préféré multiplier les niches plutôt que de réfléchir à un cadre global et stable, que je nomme « statut du bailleur privé ». Je me réjouis que le ministre et d'autres me rejoignent sur le principe, même si je ne suis pas sûre que nous en ayons la même vision.

En outre, il nous faut réhabiliter l'acte de construire et retrouver le mode d'emploi avec les maires. Depuis la suppression de la taxe d'habitation, nous sommes confrontés à un problème. La commission Rebsamen a obtenu l'an passé une compensation partielle et temporaire par l'État de l'exonération de TFPB des nouveaux logements sociaux, ce qui est bien mais très insuffisant. En effet, cette mesure ne concerne que les constructions à venir et ne vise que 10 ans d'exonération au lieu de 25. La Fédération des promoteurs immobiliers a proposé d'attribuer aux communes une fraction de la TVA sur la construction neuve, ce qui constitue une idée à creuser.

Par ailleurs, le « zéro artificialisation nette » (ZAN) fait figure d'épée de Damoclès au-dessus de tous les projets. La mission de contrôle que conduisent Valérie Létard et Jean-Baptiste Blanc fera bientôt des propositions à ce sujet, afin de sortir de ce paradoxe, relevé avec humour par notre collègue Jean-Marc Boyer : « construire moins pour loger plus ».

Enfin, je rappellerai qu'un parcours résidentiel fluide, notamment entre location et accession, représente l'une des clés pour sortir des difficultés actuelles. C'est la raison pour laquelle, comme chaque année depuis sa suppression, je proposerai un amendement pour rétablir l'APL accession. Si nous le votons systématiquement au Sénat depuis 2018, l'Assemblée nationale n'a cessé de le supprimer au prétexte de vouloir économiser, alors que cela ne coûterait que 50 millions d'euros, tout en permettant à de nombreux citoyens d'accéder à la propriété, plus particulièrement dans les territoires tendus.

En conclusion, nous sommes face à un budget de transition, empreint de plus de continuité que de nouveauté. Des intentions intéressantes sont énoncées, d'autres nous inquiètent. Le Gouvernement n'a pas vraiment abattu son jeu ni défini son cap. Plusieurs sujets cruciaux pour l'avenir du logement vont être discutés au cours des prochains mois ; il nous faudra être particulièrement vigilants.

Dans ce contexte, je ne souhaite pas afficher une opposition de principe, qui ne donnerait pas sa chance à la négociation ou à des compromis constructifs. Mais je ne souhaite pas non plus accorder un blanc-seing qui donnerait l'impression que nous soutiendrions des évolutions que nous désapprouvons et sur lesquelles nous avons mis en garde les Gouvernements successifs.

Je vous propose donc une abstention engagée, exigeante et même combative, dans l'attente des décisions que le Gouvernement prendra en matière de logement pour le reste du quinquennat.

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