... à la fois pour la crédibilité financière de notre pays et pour l’obligation impérative de restaurer l’équilibre de nos finances publiques.
Le projet de révision constitutionnelle, si l’on y ajoute l’adoption conforme par les deux assemblées des modalités d’examen par le Parlement du projet de programme de stabilité adressé aux instances européennes, aurait pu être adopté par le Sénat si ne persistait pas un désaccord de fond sur le régime des dispositions relatives aux prélèvements obligatoires.
Le rétablissement du monopole des lois de finances par l’Assemblée nationale ne peut être soutenu pour les motifs que la commission des lois et plusieurs autres commissions ont largement explicités en première lecture.
Je me permets de rappeler que la commission des lois de l’Assemblée nationale avait, dans un premier temps, supprimé ce dispositif, mais, en séance publique, pour des raisons qui n’apparaissent pas dans les travaux préparatoires, l’amendement a été remplacé par un mécanisme d’irrecevabilité/inconstitutionnalité assez problématique, pour ne pas dire baroque.
Dans le souci – hélas peu compris ! – de la volonté du Sénat de contribuer à une évolution de la réflexion sur ce sujet, nous avons voté un texte substituant au monopole des prélèvements obligatoires un monopole de l’entrée en vigueur des dispositions relatives aux recettes. Nous avions fait là un effort ! Il nous semblait que nous souscrivions ainsi parfaitement à l’objectif du monopole initialement proposé par le Gouvernement, mais hélas ! en vain.
Sans reprendre en détail les arguments développés en première lecture, nous ne pouvons que maintenir notre analyse des conséquences du monopole des lois financières, qui présente des inconvénients majeurs pour le droit d’initiative parlementaire et pour la cohérence du travail législatif.
Est-il souhaitable et pertinent, trois ans après la révision constitutionnelle de 2008, dont l’un des objectifs était de renforcer significativement le droit d’initiative du Parlement, d’adopter un dispositif qui réduit à néant le droit d’initiative du Parlement ? Nous répondons non, suivant en cela l’avis d’Eugène Pierre, un grand spécialiste du droit parlementaire et du droit électoral, qui indiquait dans le Traité de droit politique, électoral et parlementaire que « le droit d’initiative n’est pas moins important que le droit de vote ».
Est-il cohérent d’appliquer aux parlementaires de nouvelles irrecevabilités, alors qu’ils sont déjà soumis à l’irrecevabilité financière définie par l’article 40 de la Constitution, sans oublier l’irrecevabilité des cavaliers budgétaires ou sociaux, et alors que les mesures de dépenses fiscales les plus importantes ont, en général, été adoptées sur l’initiative du Gouvernement ou, hélas !, pire encore, ont été parfois inspirées par le Gouvernement ? Certainement pas !
Votre prédécesseur, madame la ministre, avait indiqué que cette mesure visait « d’abord à contraindre le Gouvernement lui-même à éviter d’additionner les textes, proposant ici des mesures dérogatoires sur le plan fiscal, là de nouvelles niches sociales. » On ne saurait mieux dire !
Alors qu’il y aurait sans doute lieu de veiller à un respect encore plus scrupuleux de l’article 40 de la Constitution, faut-il pour autant faire peser sur le Parlement le poids de la difficulté qu’éprouve le Gouvernement à se discipliner lui-même ?
Une telle mesure paraît disproportionnée, d’autant que nous devons veiller à assurer une articulation cohérente du monopole avec les règles de priorité définies à l’article 39 de la Constitution.
Comment en effet assurer à la fois la priorité qui revient au Sénat pour les textes dont l’objet principal est l’organisation des collectivités locales – je me permets de souligner que le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de rappeler ce point récemment – et la priorité accordée logiquement à l’Assemblée nationale pour les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale ?
Le monopole aurait pour effet de vider de tout contenu l’article 72-2 de la Constitution, notamment pour ce qui concerne la compensation des transferts de compétences entre l’État et les collectivités territoriales. Hélas, aucune réponse n’a jamais été apportée à cette contradiction constitutionnelle !
Pour toutes ces raisons, il apparaît que le cadre constitutionnel précis et contraignant des lois-cadres d’équilibre des finances publiques, ainsi que le contrôle systématique par le Conseil constitutionnel, se suffit à lui-même, d’autant que tout dérapage, que ce soit dans l’élaboration des lois de finances et de financement de la sécurité sociale ou dans leur exécution, sera sanctionné.
À cet égard, on ne peut que saluer la circulaire du 4 juin 2010 du Premier ministre, laquelle prescrit aux ministres de respecter cette « règle d’or », qui relève avant tout de la responsabilité gouvernementale.
Il n’est pas forcément cohérent d’ajouter à une règle constitutionnelle pertinente et nécessaire, et que le Parlement s’honorerait d’adopter, ce qui demeure une règle de procédure, très contestable dans sa forme initiale et dont les effets n’ont pas été parfaitement mesurés.
C’est pourquoi, après maintes réflexions et échanges avec toutes les parties prenantes, dans la mesure où même le monopole différé des lois de finances ou de financement de la sécurité sociale présente aussi des inconvénients, il est apparu à la commission des lois que le monopole n’était pas le corollaire obligé de la révision constitutionnelle qui nous est proposée, et que nous approuvons.