Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 1971, le Président de la République Georges Pompidou s’exprimait en ces termes au sujet du premier plan nucléaire civil : « Il nous appartient de concevoir une politique de l’énergie, politique d’autant plus importante pour la France que nos ressources propres sont modestes. […] Nous avons décidé d’accélérer notre programme d’utilisation de l’énergie nucléaire, considéré comme un facteur important d’indépendance énergétique. »
Cinquante ans plus tard, ce constat n’a rien perdu de son acuité. Oui, l’énergie nucléaire est centrale. Et oui, une politique énergétique est indispensable.
Or le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, s’il revalorise utilement l’énergie nucléaire, n’offre aucune réponse s’agissant de notre politique énergétique. Je veux le dire solennellement ici : la relance du nucléaire ne peut se résumer à un texte de simplification. Pour réussir, il faut une vision politique cohérente, au-delà de procédures techniques disparates.
De plus, le texte manque de perspective et de profondeur, alors qu’il nous est demandé de légiférer jusqu’en 2038, au moins.
Le nucléaire de demain ne sera pas celui d’hier. Au-delà de notre indépendance énergétique, il contribuera à notre transition énergétique, car l’enjeu sera d’électrifier pour décarboner, afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050.
Le nucléaire de demain sera confronté à de nouveaux risques, climatiques et numériques. Nos réacteurs devront donc être plus résilients.
Le nucléaire de demain sera plus divers. Outre les EPR 2, se développeront des réacteurs de taille ou de technologie différentes, pour réduire les risques et les déchets, ainsi qu’un couplage entre les productions d’électricité et d’hydrogène, utile à l’industrie et aux transports.
Enfin, le nucléaire de demain s’inscrira dans une nouvelle société : une société plus décentralisée, où la voix des collectivités et celle des citoyens porteront encore plus, aux côtés de celle de l’État ; une société plus exigeante aussi, où la sûreté des réacteurs et la gestion des déchets devront être assurées, au-delà de la phase de production.
C’est cette vision résolument moderne de l’énergie nucléaire, fondée sur la science et la raison, inscrite dans le monde actuel, ouverte aux technologies futures, que notre commission a souhaité porter, car seule cette vision est à la hauteur des grands défis économiques et énergétiques. Le nucléaire est notre héritage et notre horizon ; sachons le relancer, en tenant compte de ce changement d’époque.
Notre commission est très attachée à l’énergie nucléaire. Nous l’avons démontré dans nos travaux législatifs, avant et bien souvent contre le Gouvernement. Ce ne fut pas simple de décaler de dix ans le calendrier de fermeture des réacteurs dans le cadre de la loi Énergie-climat de 2019. Ce ne fut pas simple, non plus, de conditionner toute autre fermeture à la prise en compte de ses conséquences sur notre sûreté, notre approvisionnement et nos émissions lors de la loi Climat et résilience de 2021.
Notre commission a aussi démontré cet attachement à l’occasion de ses travaux de contrôle. La mission d’information transpartisane, conduite avec mes collègues Jean-Pierre Moga et Jean-Jacques Michau, a ainsi plaidé en faveur de la construction de quatorze EPR 2 et de quatre gigawatts de SMR, afin de maintenir un mix majoritairement nucléaire d’ici à 2050.
Lors de mes travaux préalables, j’ai entendu une centaine de personnalités au cours d’une cinquantaine d’auditions.
Je remercie vivement le rapporteur pour avis, Pascal Martin, des excellentes relations de travail que nous avons nouées ; elles nous ont permis d’organiser des auditions communes et de présenter des rédactions communes. Cela confère au Sénat une voix forte et unique sur ce sujet essentiel.
Je retiens de ces travaux préalables l’existence d’un large consensus autour de l’objectif du texte, mais aussi de lourdes critiques portant sur la méthode.
S’agissant de son objectif, le texte doit permettre d’accélérer la construction de nouveaux réacteurs : d’une part, certaines procédures sont simplifiées, notamment en matière d’urbanisme, de construction ou d’expropriation ; d’autre part, certains actes voient leur nombre réduit et sont élevés au rang du décret, afin de concentrer le contentieux devant le Conseil d’État. Dans l’ensemble, le gain de temps pourrait être de cinquante-six mois pour EDF.
Concernant la méthode, elle est perfectible, et cela à plus d’un titre.
Tout d’abord, le Gouvernement légifère dans le désordre, car il aurait fallu – je vous prie de m’excuser, madame la ministre – soumettre à l’examen parlementaire le projet de loi de programmation quinquennale sur l’énergie et le climat, puis celui sur le nucléaire et enfin celui sur les énergies renouvelables. Or nous faisons les choses complètement à l’envers.