Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, examiner ce texte à ce moment précis est une faute, madame la ministre.
En accélérant la procédure parlementaire au lieu d’attendre la fin de négociations conventionnelles pour saisir notre assemblée, votre gouvernement a fait le choix d’ignorer le respect dû aux acteurs intermédiaires.
Le président du Sénat avait d’ailleurs souhaité que cette proposition de loi ne nous soit soumise qu’à l’issue des négociations conventionnelles. Votre gouvernement a refusé ces deux mois de report.
C’est une habitude depuis qu’Emmanuel Macron est chef de l’État. Aujourd’hui, le monde de la santé, qui a besoin d’écoute, de sens de la négociation et du compromis, est un peu plus en rupture avec votre gouvernement en raison de votre inaptitude à respecter la démocratie sociale.
Voilà deux semaines, dans ce même hémicycle, madame la ministre, vous avez repoussé, sans discuter et sans montrer la moindre volonté de dialoguer, la proposition de loi relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé, soutenue par toutes les catégories de soignants hospitaliers et largement approuvée par le Sénat.
Aujourd’hui, vous cristallisez des oppositions entre professions de santé, alors qu’il faudrait davantage de coopération pour permettre à notre système de soins de répondre aux besoins de santé de notre population, qui est en grande difficulté à cet égard.
Madame la ministre, après avoir jeté tant d’huile sur le feu et en avoir mis si peu dans les rouages, comment espérez-vous parvenir à un accord sur de nouvelles répartitions de missions entre professionnels de santé ?
La difficulté est engagée quand vous commencez par poser un cadre par trop restrictif. Un objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) hospitalier fixé à 4 % est un signal négatif quand l’inflation s’élève à 6 %. Nous l’avons clamé haut et fort lors de l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Nous avions alors également souligné que l’évolution de l’Ondam de ville, à 2, 9 %, était inférieure de moitié à la hausse de l’inflation.
Dans de telles conditions, comment voulez-vous apporter du grain à moudre au moulin des discussions ?
Vous accordez des revalorisations de quelques centimes aux kinésithérapeutes, qui ont dénoncé l’avenant n° 7 de leur convention, ainsi qu’aux médecins, alors que le tarif de l’acte n’a pas été revu à la hausse depuis 2017 et que la convention sera valable pour une durée de quatre à cinq ans ; la revalorisation portera donc sur plus de dix ans.
En conséquence, tous les syndicats, y compris les plus modérés, ont unanimement claqué la porte des négociations.
Force est de constater que la recherche d’un accord avec les syndicats réformistes n’est pas toujours, et c’est un euphémisme, la ligne du Gouvernement.
Votre projet consiste-t-il à demander aux soignants de maintenir leurs revenus en multipliant les actes ? C’est ce que le directeur de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) a indiqué ce matin encore, en demandant aux médecins, déjà surchargés, de voir plus de patients. Il faudrait donc travailler plus pour gagner pas plus ! Les infirmières de ville devront-elles maintenir demain leurs revenus en réduisant le temps des toilettes, les kinésithérapeutes passer moins de temps avec leurs patients, les médecins se résoudre à des consultations toujours plus courtes, dans lesquelles le temps accordé à la prévention s’amenuise ?
Nous ne pouvons pas répondre à la pénurie par la désorganisation des parcours de soins et la multiplication des actes !
Dans ce contexte dégradé, l’utilisation de la voie parlementaire pour imposer de nouveaux partages de tâches est vouée à l’échec, non pas sur le plan législatif – un texte peut évidemment être adopté –, mais sur le terrain, dans l’application de ces mesures par des professionnels que l’on aura opposés au lieu de les rassembler.
Oui, sur le fond, de nouveaux partages de tâches sont nécessaires, et nous le soutenons, non pas uniquement d’ailleurs pour répondre à la pénurie de médecins, mais parce que notre système de santé reconnaît et valorise insuffisamment les compétences des différentes professions qui le composent.
Je veux rappeler à cette tribune que, depuis cinq ans, texte après texte, mon groupe dépose des amendements pour mieux valoriser la profession d’infirmière. Si cet hémicycle a souvent adopté nos propositions, vos deux prédécesseurs s’y sont systématiquement opposés, madame la ministre.
C’est au Gouvernement et au législateur qu’appartient la responsabilité de fixer les principes : pour nous, ces partages de tâches doivent respecter la nécessité d’un haut niveau de compétences du professionnel à qui la mission est confiée et l’inscription dans un parcours de soins. Charge ensuite aux organisations professionnelles, aidées par un cadre tarifaire soutenant, d’avancer par la négociation.
Réformer l’organisation des soins de ville implique l’adhésion des professionnels concernés. Je sais, pour l’avoir constaté, que, dans chaque profession – médecins, kinésithérapeutes, infirmières, sages-femmes –, beaucoup y sont prêts. Laissez-leur un peu de temps !
En effet, indépendamment des améliorations, réelles et significatives, que la commission des affaires sociales a apportées au texte sur proposition de sa rapporteure, dont je salue la qualité du travail, mieux légiférer, c’est aussi savoir quand ne pas légiférer. Nous nous abstiendrons.