Amendez-le vous-mêmes, puisque vous voulez son adoption !
À supposer même que vous l'ayez réécrit en langue française, ce qui est bien sûr à votre portée, il me semble que ce texte n'est pas approprié, pour une raison très simple : il porte sur une mesure organisationnelle, l'effectivité, et sur les modalités d'accès à ce droit, l'égalité ; or ce sujet-là n'est pas exactement celui que vous voulez traiter.
Vous voulez inscrire dans la Constitution le droit à l'interruption volontaire de grossesse ; mais justement, la disposition dont nous avons à débattre ne définit pas ce qu'est ce droit. Or le Conseil constitutionnel ne parle pas d'un droit, mais d'une liberté, que la décision de 2001 a élevée au rang des libertés constitutionnelles. Bien entendu, le Conseil constitutionnel pourrait un jour faire évoluer sa jurisprudence, mais, en l'état actuel du droit, il s'agit d'une liberté de nature constitutionnelle. Mais toute liberté a des limites ; en l'espèce, ces limites sont définies de manière tout à fait équilibrée par la loi Veil, qui dispose qu'il faut concilier la liberté de la femme enceinte d'interrompre sa grossesse avec les droits de l'enfant à naître, les seconds prévalant sur la première à partir de la quatorzième semaine, sauf motif thérapeutique - jusqu'à la quatorzième semaine, c'est la liberté de la femme qui prévaut sur les droits de l'enfant à naître.
Si vous inscrivez dans la Constitution la liberté de la femme enceinte de mettre un terme à sa grossesse, vous devez aussi assigner au législateur le devoir d'en déterminer les conditions et les limites. Si l'on avait constitutionnalisé la loi Veil, on n'aurait pas pu allonger le délai de dix à douze puis à quatorze semaines sans révision de la Constitution ; on n'aurait pas pu supprimer la condition de détresse sans révision de la Constitution ; on n'aurait pas pu faciliter l'accès des femmes mineures à l'interruption volontaire de grossesse sans révision de la Constitution.
Vous voyez qu'il y a là un débat substantiel, complètement escamoté : dès lors que l'on ne préserve pas les pouvoirs du législateur en matière d'avortement, alors cela se retourne contre toute revendication féministe, et non pas seulement contre ceux qui voudraient mettre en cause la loi Veil.
Par conséquent, j'incite à la plus grande prudence dans l'examen de cette question, qu'il faut traiter sans instrumentalisation politicienne et sans renvoyer ceux qui sont contre à une supposée hostilité à l'avortement tel qu'il est permis par la loi Veil - cela est faux et même offensant. Je considère, comme Mme de La Gontrie, que le Gouvernement et le Président de la République n'assument pas leurs responsabilités dans ce processus de révision constitutionnelle.
Voilà un texte mal fagoté, qui n'a pas même été soumis au Conseil d'État - je ne parle pas de le soumettre à l'Académie française : on peut s'en dispenser... -, dont la qualité juridique est très contestable : tel est le premier défaut d'une révision constitutionnelle dont le Président de la République ne prend pas l'initiative sur proposition du Gouvernement. Son deuxième défaut est le suivant : le champ du possible se referme, puisqu'on n'a plus le choix entre le Congrès et le référendum - si un texte de révision d'initiative parlementaire est adopté en lieu et place d'un projet de loi constitutionnelle, c'est obligatoirement la voie du référendum qui prévaut.
En ce qui me concerne, je ne suis pas fermé à l'idée d'inscrire une telle liberté dans la Constitution, puisqu'elle est déjà reconnue comme étant de rang constitutionnel compte tenu de la décision de 2001. Encore faut-il une rédaction simple, sobre, cohérente. Pareille rédaction est possible : il suffit d'écrire que la loi détermine les conditions et les limites dans lesquelles s'exerce la liberté de la femme enceinte de mettre fin à sa grossesse. Je vous propose, mes chers collègues, que nous y réfléchissions ensemble.