Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le contexte global de l’agriculture française pour ce budget 2010 est celui d’une crise quasi générale de l’ensemble des filières, venant s’ajouter à la crise mondiale économique et financière qui poursuit ses effets destructeurs.
C’est aussi avec la perspective de la loi de modernisation agricole et les multiples attentes qu’elle suscite, qu’il faut aborder ce débat budgétaire.
« Que peut faire le budget du ministère de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche, alors que la crise s’étend à tout le secteur agricole et que le revenu des exploitants devrait diminuer de 10 % en 2009, après une baisse similaire en 2008 ? », s’interroge le député Antoine Herth, dans son rapport à l’Assemblée nationale. Ce serait d’ailleurs plus juste de parler de baisse de 20 % du revenu.
Il poursuit : « La crise révèle en premier lieu un défaut de régulation européenne et mondiale auquel il est urgent de répondre. Elle révèle en second lieu des défaillances nationales réelles dans la répartition de la valeur au sein de nos filières agricoles. »
Tout est dit, même si les mots sont feutrés : le « défaut de régulation européenne et mondiale » correspond exactement à la volonté farouche de la Commission de Bruxelles et de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, de déréguler l’ensemble des échanges agricoles, de les livrer aux lois du marché et de la concurrence libre et non faussée.
Tout cela est particulièrement scandaleux au regard de l’immoralité de la crise, qui prend ses racines dans les modes de spéculation les plus crapuleux et même les plus meurtriers quand il s’agit de nourrir le monde et quand plus d’un milliard d’humains souffrent de la faim.
Quant aux « défaillances nationales réelles dans la répartition de la valeur au sein de nos filières agricoles », il serait temps de s’en rendre compte et d’agir efficacement face aux prédateurs « margivores » que sont la grande distribution et certains segments de la transformation.
La loi de modernisation de l’économie, dite LME, a d’ailleurs contribué à aggraver les relations entre les producteurs et les distributeurs au profit de ces derniers. Les premières constatations établies par l’Observatoire des marges sont éloquentes.
Depuis 2000, les industriels restaurent dès que possible leurs marges aux dépens des éleveurs. Et la grande distribution leur fait souvent supporter les hausses de prix du lait pour préserver ses marges.
Depuis janvier 2008, le prix du litre de lait payé aux éleveurs a baissé de 15 centimes, mais seulement de 1 centime en rayon.
Le prix du lait ne représente que 15 % du prix des yaourts, 34, 1 % de celui de l’emmental, 48, 7 % de celui du beurre. La revue Que choisir ? évoquait ce matin, via les grands médias, une baisse de 25 centimes depuis 1992 du kilogramme de porc payé aux producteurs et une hausse de 26 centimes dans les rayons. Tous ces ratios confirment qu’il existe des marges pour augmenter le prix du lait et de l’ensemble des matières premières payé aux producteurs sans générer une inflation des prix à la consommation.
Il est également inquiétant qu’au niveau national les éléments de régulation, les filets de protection, soient tous en régression, dans le droit-fil du modèle européen de dérégulation. Ainsi, les crédits d’intervention de France AgriMer sont en baisse de plus de 13 % dans ce budget, le dispositif Agridiff voit sa dotation passer sous la barre des 4 millions d’euros, et les dispositifs d’aide à la cessation d’activité ont quasiment tous été supprimés.
Inquiétantes également, pour ne pas dire mortifères, sont les orientations communautaires en faveur de réductions drastiques des crédits de la PAC, en faveur d’une nouvelle réduction de ce qui reste des mécanismes de régulation et de la suppression des quotas laitiers.
Mais rassurons-nous, car Zorro est venu à Poligny. À quelques encablures des élections régionales, il fallait bien tenter de rassurer l’électorat paysan. Le 1, 65 milliard d’euros d’aides qu’il faut rapprocher des 2, 5 milliards d’euros perdus par la ferme France en 2009 sont essentiellement des mesures remboursables. Les déclinaisons régionales qui se mettent en place actuellement à partir du plan de soutien exceptionnel à l’agriculture, PSEA, consistent notamment en prêts de reconstitution de fonds de roulement et en prêts de consolidation qu’il faudra obtenir et rembourser auprès des banques.
À ce sujet, il est légitime de s’interroger sur la propension qu’auront ou non les banques à prêter à des exploitants en grande difficulté. Il y a fort à craindre qu’à nouveau la crise ne pousse des milliers de producteurs vers la porte de sortie et n’accroisse les phénomènes d’intégration et de concentration de l’agriculture au détriment d’un aménagement harmonieux et durable de nos territoires. Certes, ce plan était indispensable au regard de l’ampleur de la crise, mais il ajoute de l’endettement à l’endettement existant.
Pour Jean-Michel Lemétayer, « ce plan va dans le bon sens, mais jamais un plan d’aides, si important soit-il, ne remplacera une politique de prix ». Il est certain qu’une politique de prix digne de ce nom aurait permis d’éviter l’essentiel de la crise, qui, au-delà du pouvoir d’achat en baisse des consommateurs, trouve ses principales causes dans un système économique déséquilibré où le pillage des producteurs est organisé et toléré, où les profits indécents sont encouragés.
La crise laitière illustre à merveille mes propos, mais c’est la même chose pour les éleveurs de porcs, de bovins, de lapins, de moutons, pour les fruits et légumes, la viticulture ou la pêche.
Mardi, je me trouvais à nouveau dans une exploitation laitière en Côtes-d’Armor, où le prix de revient de la tonne se situe autour de 310 euros, 330 euros étant une moyenne départementale du prix de revient. Les prix proposés oscillent entre 260 et 290 euros. Comment voulez-vous que les exploitants puissent vivre ? Ces chiffres intègrent des salaires inférieurs à 1500 euros pour 60 à 70 heures de travail hebdomadaire. Comble du cynisme, les producteurs laitiers bretons risquent d’être amenés à payer les noces entre Entremont et Sodiaal en 2010.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous en dire davantage sur ce dossier, qui désormais semble gêner le Gouvernement ?
Qu’en est-il également du projet de contractualisation entre producteurs et transformateurs, qui semblerait être la panacée pour l’avenir ? Ces contrats seront-ils dépendants du devenir des produits transformés ou du prix de revient réel et rémunérateur des producteurs ? Quels volumes seront garantis et dans quelle proportion, au regard de la taille des exploitations ?
Cette série de questionnements m’amène tout droit au futur projet de loi de modernisation de l’agriculture, qui reste bien secret pour les parlementaires, alors que certains interlocuteurs privilégiés sont déjà en mesure de faire des propositions sur les 23 articles d’un texte non communiqué. Reconnaissez, monsieur le ministre, que la méthode n’est pas très élégante vis-à-vis du Parlement, même si ce texte n’a pas encore l’aval du Conseil constitutionnel.
La loi de modernisation de l’agriculture ne doit pas décevoir, et tout particulièrement en matière de prix rémunérateurs, faute de quoi se profileront la disparition de pans entiers de l’agriculture française, des régions sinistrées, une dépendance alimentaire accrue et des garanties sanitaires affaiblies.
Quand une activité vitale pour un pays est menacée, comme c’est le cas aujourd’hui, tous les mécanismes de sauvegarde et de subsidiarité doivent être actionnés, que cela plaise ou non à l’Europe, téléguidée par les lobbies américains. La première des agricultures durables est celle qui nourrit ses paysans et ses habitants. Les volets environnementaux doivent dépasser l’habillage du politiquement correct. Les objectifs fixés peinent en effet à décoller, dans les domaines tant des énergies que de l’agriculture biologique.
À ce titre, la région Bretagne paie au prix fort, en terme d’images et en terme financier, la prolifération des algues vertes, pour avoir répondu présente aux critères de production et d’économie agricoles. Concernant les algues vertes, le sujet est d’ailleurs récurrent depuis plus de trente ans. Pourtant, depuis, les plans de maîtrise des pollutions d’origine agricole sont passés par là.
La cour administrative d’appel de Nantes vient de condamner l’État à indemniser les associations parties prenantes pour quelques milliers d’euros seulement. C’est une décision forte au plan symbolique, mais dérisoire au plan financier.
Il vous appartient désormais de faire toute la lumière sur la part respective de chaque activité, sur le rôle du réchauffement climatique et sur les adaptations agricoles nécessaires dans les bassins versants concernés. Ce que demande la profession, c’est de conserver une activité agricole et d’en vivre. Pour l’adaptation, ils ont malheureusement l’habitude.
À propos de l’économie de terres agricoles, qui est une vraie question, prenons garde de geler le développement du milieu rural et celui des dizaines de milliers de communes qui la composent.
La loi sur les territoires s’apprête à conforter des métropoles et des pôles métropolitains, grands consommateurs de surfaces routières et industrielles. Le déséquilibre en cours ne ferait qu’accentuer une situation déjà inéquitable, au détriment de la ruralité.
Quant aux retraites, le plan global de revalorisation des petites retraites s’élève à 155 millions d’euros pour 232 000 personnes et cela pour le quinquennat, soit 5 euros par mois en moyenne ou, selon la Mutualité sociale agricole, la MSA, de 0, 1 à 15 euros pour 75 % des personnes dont les retraites moyennes agricoles sont de 370 euros. Je voudrais rappeler, monsieur le ministre, que le seuil de pauvreté est de 817 euros par mois et que la moyenne du montant des retraites agricoles est de 400 euros selon la MSA.
Les revendications des associations de retraités mériteraient d’être globalement chiffrées et leur satisfaction programmée, qu’il s’agisse des 85 % du SMIC pour les carrières complètes, de la parité hommes-femmes, de l’extension de la retraite complémentaire obligatoire, RCO, aux conjoints et aides familiaux, du droit à la réversion des points de la RCO auxquels aurait eu droit le chef d’exploitation décédé.
Monsieur le ministre, le relèvement à 800 euros mensuels du plafond de ressources pour l’accès aux revalorisations et l’amélioration des années de conjoints collaborateurs entreront-ils en vigueur au 1er janvier 2010 comme prévu par décret ?
D’autres sujets liés aux revenus inquiètent particulièrement les retraités de l’agriculture : il s’agit du forfait hospitalier, des franchises médicales, des dépassements d’honoraires, de la diminution du nombre de médecins généralistes et de l’accessibilité financière aux maisons de vie pour personnes âgées, qui pénalisent lourdement le revenu des enfants du monde agricole.
En conclusion, monsieur le ministre, il apparaît qu’au regard du contexte européen et mondial la France doit regagner des marges de manœuvre pour équilibrer son marché et faire vivre son agriculture. Une adéquation doit exister entre les prix producteurs, les prix consommateurs et le niveau de vie moyen de chaque pays. Tout le reste n’est que matière à spéculation, à destruction d’emplois, à parasitisme économique et social.
Persister dans les voies du passé et du libéralisme serait suicidaire pour notre agriculture. La France, premier pays agricole d’Europe, doit montrer l’exemple.