Intervention de Jacques Muller

Réunion du 3 décembre 2009 à 14h30
Loi de finances pour 2010 — Compte d'affectation spéciale : développement agricole et rural

Photo de Jacques MullerJacques Muller :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales » du projet de loi de finances pour 2010 appelle, de ma part, deux observations majeures.

Tout d’abord, une analyse attentive des propositions faites par le Gouvernement laisse à penser que la page du Grenelle de l’environnement est bel et bien tournée !

En témoigne l’absence d’efforts significatifs en direction de la recherche-action en matière d’agriculture intégrée, c’est-à-dire de systèmes de production agricole réduisant à la source leurs besoins en intrants, et dont l’optimum économique est recherché non plus en poussant les rendements, mais en réduisant les charges : rotations des cultures, variétés résistantes, pratiques culturales innovantes, etc. Il est vrai que ce concept, considéré par l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, comme fondateur de l’agriculture durable sur le plan environnemental, fait toujours figure d’épouvantail dans certains milieux professionnels agricoles, et que la majorité en a fait un véritable tabou lors des débats sur les lois Grenelle.

En témoigne également la faiblesse des crédits dédiés à la conversion des exploitations à l’agriculture biologique et au développement de celle-ci. Le déficit structurel de notre balance agroalimentaire en produits biologiques démontre pourtant, s’il en était encore besoin, que c’est au niveau de l’offre que les pouvoirs publics doivent agir en priorité.

Ensuite, dans un autre registre, je constate qu’une fois de plus les crédits européens mobilisés par le Gouvernement au profit du secteur agricole échappent au contrôle parlementaire, alors qu’ils pèsent trois fois plus lourd que ceux de la mission que nous examinons aujourd’hui.

Certes, Michel Barnier, alors ministre de l’agriculture, avait annoncé le 23 février dernier une réorientation de 18 % des aides perçues par les agriculteurs au titre de l’article 63, en prélevant indirectement sur la manne touchée par les céréaliers pour revaloriser les droits à paiement unique, les DPU, des exploitations herbagères. Je m’en félicite : sur le plan environnemental, c’est un premier pas dans la bonne direction, c’est-à-dire vers le soutien à des systèmes de production globalement moins intensifs.

Les modalités d’application retenues par le Gouvernement, dans la plus grande opacité, posent cependant un vrai problème. En effet, cette redistribution au sein du premier pilier s’est accompagnée d’une disparition implicite de la prime herbagère agro-environnementale, la PHAE : s’il existe une enveloppe de 60 millions d’euros pour les contrats en cours, il n’y a aucune trace de dotation en autorisations d’engagement pour les quelque 10 000 contrats arrivant à échéance en 2010.

Ainsi, sous le prétexte que le soutien légitime aux exploitations herbagères reposerait désormais sur les nouveaux DPU revalorisés, au lieu des PHAE, le Gouvernement prend une disposition qui constitue un recul sur le plan de l’agriculture durable – l’éco-conditionnalité liée aux DPU n’étant pas à la hauteur des décisions contractualisées dans le cadre des mesures agri-environnementales, les MAE ! – et qui pénalise objectivement les exploitations herbagères extensives au détriment des autres.

Il en résulte, au final, que les zones défavorisées, notamment de montagne, seront pénalisées : c’est le monde à l’envers, notamment sur le plan de l’aménagement durable du territoire ! Le Grenelle de l’environnement est décidément bien loin...

À cet égard, je voudrais tout particulièrement attirer votre attention, monsieur le ministre, sur le devenir de la politique agricole conduite au niveau de la montagne vosgienne, sous l’impulsion de la direction départementale de l’agriculture et de la forêt, la DDAF, du Haut-Rhin.

Bien avant la concertation du Grenelle de l’environnement, cette politique exemplaire avait su associer tous les acteurs du monde rural montagnard vosgien : élus, profession agricole, autres usagers de l’espace, associations de protection de l’environnement...

Cette démarche de concertation exemplaire avait permis d’élaborer une véritable politique de revitalisation de l’espace rural, en proie à la déprise agricole. Réouverture de paysages, installation des jeunes agriculteurs, développement de filières courtes de produits de qualité, généralisation de pratiques agricoles exemplaires du point de vue de l’environnement : le « plan de gestion des espaces ouverts » a tenu toutes ses promesses. La cohérence de cette démarche prenant en compte l’ensemble de l’exploitation agricole, que les terrains soient situés en zone Natura 2000 ou non, a permis la contractualisation de 90 % de la zone Natura 2000, c’est-à-dire quelque 4 300 hectares, avec un taux de renouvellement des contrats de 100 % !

Tout ce travail concerté engagé depuis une quinzaine d’années, tous ces résultats remarquables en termes de développement agricole et de préservation-valorisation de l’environnement sont aujourd’hui menacés : les estimations réalisées font apparaître que, sans les crédits équivalant à la PHAE, la moitié de la surface contractualisée dans le périmètre Natura 2000 de la montagne vosgienne haut-rhinoise, qui est la première de la région Alsace, va disparaître. Je me dois de souligner que ce véritable gâchis prendrait une dimension d’autant plus emblématique que nous sommes au seuil de l’année 2010, décrétée par l’Union européenne « année de la biodiversité »…

Monsieur le ministre, au nom des élus du massif vosgien, de l’ensemble de la profession agricole et des associations de protection de l’environnement, je me tourne vers vous : vous ne pouvez pas sacrifier l’une des plus belles opérations de développement durable concerté, située de surcroît en zone de montagne fragile, sur l’autel de quelques astuces budgétaires qui vous permettent, aujourd’hui, de baisser de 50 % les crédits de paiement consacrés par la France aux PHAE !

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