Intervention de Denis Bouad

Réunion du 14 juin 2023 à 21h30
Protéger les logements contre l'occupation illicite — Discussion générale

Photo de Denis BouadDenis Bouad :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, on dénombre en France 4, 15 millions de personnes mal logées. Ce chiffre est tiré du dernier rapport annuel de la Fondation Abbé-Pierre, publié le lendemain de l’examen de ce texte en première lecture par notre assemblée.

Alors que cette proposition de loi dite « anti-squat » revient devant nous en deuxième lecture, on pourrait être tenté de mettre ce chiffre en regard des quarante situations de squat recensées chaque année dans le pays, mais cela ne me semble pas pertinent. En effet, ce texte mal renommé ne se concentre pas sur la seule question du squat. Il vise également les locataires en difficulté, qui se trouvent en situation d’impayé.

Dans le contexte actuel, les choix opérés par cette proposition de loi nous semblent symboliques d’une forme d’aveuglement face à la crise du logement et à ses conséquences dans notre pays.

Construction de logements sociaux, lutte contre la vacance, revalorisation des aides au logement, plan massif de rénovation thermique : aux yeux des sénateurs socialistes, il existe une foule de chantiers prioritaires. Or, dans ces différents domaines, les réponses gouvernementales ne sont pas à la hauteur.

Monsieur le ministre, c’est au nom de cette ambition que, dès septembre 2022, nous vous avons appelé à faire du logement la grande cause nationale de ce quinquennat. Malheureusement, le texte qui nous revient de l’Assemblée nationale traduit une ambition toute différente.

Si nous sommes convaincus de la nécessité de protéger les propriétaires contre les occupations abusives, il nous semble essentiel de préserver, comme vous l’avez dit vous-même, un équilibre entre le droit à la propriété et le droit au logement. Or le présent texte vient rompre cet équilibre construit au fil des décennies sans pour autant apporter de nouvelles garanties concrètes aux propriétaires.

En tant que législateurs, nous devons être attentifs à l’efficacité des dispositifs que nous votons. Dans cet esprit, on peut s’interroger sur l’intérêt de la création d’un délit, passible d’une amende de 7 500 euros, pour le locataire en défaut de paiement qui se maintient dans un logement.

Cette mesure n’apporte strictement aucune plus-value aux propriétaires. Ce ne sont pas eux qui percevront ces 7 500 euros. On sait d’ailleurs que, dans la très grande majorité des cas, les dettes locatives ne sont pas recouvrées par les propriétaires. Il en sera évidemment de même du montant de cette amende. En effet, rares sont les locataires qui choisissent de ne pas payer leur loyer et de se retrouver en situation d’expulsion. Au total, cet article aura pour seule conséquence l’engorgement de notre appareil judiciaire.

En première lecture, nous avions également dénoncé la réduction des délais entre le commandement de payer et l’assignation en justice.

De l’avis des professionnels comme des associatifs, cette période est essentielle pour mener tout le travail d’accompagnement social que suppose une procédure d’expulsion. C’est d’ailleurs ce travail qui, dans certains cas, permettra de trouver des solutions de paiement profitables aux deux parties.

On peut bien sûr débattre de la durée des procédures d’expulsion. Entre leur lancement et l’expulsion effective, il s’écoule, en général, dix-huit à vingt-quatre mois. Dès lors, on comprend que l’enjeu n’est pas de réduire de quinze jours le délai entre le commandement de payer et l’assignation.

Dans un grand nombre de cas, la principale cause d’allongement de la procédure est l’absence de solution de relogement, qui empêche le concours de la force publique.

Déjà difficile, le relogement des locataires menacés d’expulsion est encore compliqué par la pénurie de logements sociaux. Une nouvelle fois, nous en revenons à la crise du logement – c’est bien le problème central – et à la nécessité d’une réponse politique à la hauteur des enjeux.

Les décisions prises depuis 2017, notamment la mise en œuvre de la réduction du loyer de solidarité (RLS), ont considérablement fragilisé le secteur du logement social. Les bailleurs sociaux n’ont plus la capacité de produire des logements en nombre suffisant, si bien que la construction de logements sociaux a chuté de 40 %.

Entre 2017 et 2022, ce sont 15 milliards d’euros d’économies qui ont été réalisés sur le logement des Français les plus modestes ; et, malgré de nombreux signaux d’alerte, le ministre chargé des comptes publics annonçait le mois dernier que le ministère du logement serait particulièrement concerné par la baisse des dépenses publiques envisagées pour 2024.

Après la baisse des aides personnalisées au logement, après les milliards d’euros d’économies imposés au titre de la RLS, quelles seront les nouvelles baisses de crédits des politiques du logement ? Surtout, quelles en seront les conséquences pour les Français, qui ont de plus en plus de mal à se loger ?

Cette proposition de loi ne résout pas les problèmes des propriétaires. En revanche, elle pourrait accélérer la précarisation extrême de certains locataires.

Les acteurs associatifs, tout comme la Défenseure des droits, et même les rapporteurs spéciaux de l’Organisation des Nations unies chargés du logement et de l’extrême pauvreté, se sont inquiétés des conséquences de cette proposition de loi. Dans un courrier adressé à notre gouvernement, ces derniers ont relevé « l’absence d’étude d’impact sur les conséquences qui pourraient résulter des changements introduits par ce texte ».

Monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, ces mises en garde devraient vous interpeller.

Une nouvelle fois, les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’opposeront à cette proposition de loi.

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