Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la tâche de votre rapporteur a été facilitée par la qualité du travail accompli par les deux auteurs de cette proposition de loi, MM. Daubresse et de Belenet, lesquels se sont directement inspirés du rapport d’information qu’ils avaient présenté avec notre collègue Jérôme Durain à la commission des lois voilà un an, et que celle-ci avait adopté à l’unanimité.
Je souligne ce consensus parce que l’extrême sensibilité de la question traitée ne garantissait pas à l’avance un tel résultat. Si les recommandations de nos collègues se sont ainsi imposées à nous, c’est grâce au discernement, à la prudence, aux interrogations, aux scrupules et même aux doutes qui les ont inspirés.
Avec eux, notre ambition est simple : protéger efficacement la vie privée des Français et garantir leurs libertés, sans pour autant renoncer totalement aux possibilités ouvertes par l’intelligence artificielle dans le traitement de données biométriques pour sauver des vies menacées par le terrorisme ou la grande criminalité.
À l’évidence, la voie était étroite, mais nos collègues ont su l’explorer avec sagesse ; dès lors, votre commission des lois n’avait plus qu’à l’emprunter et à la prolonger pour renforcer encore les garanties imaginées dans leur proposition de loi, en précisant les interdits posés, puis en resserrant le cadre juridique imaginé pour la mise en œuvre d’exceptions fortement restreintes et drastiquement contrôlées.
De quoi s’agit-il ? De l’utilisation d’une technologie permettant de reconnaître une personne photographiée ou filmée dans l’espace public au travers de la mise en équations numériques de son visage et le rapprochement des données ainsi obtenues avec les données déjà détenues sur la même personne. Il est ainsi possible de savoir si une personne se prévaut d’une fausse identité ou si une personne est présente parmi d’autres individus dans un lieu public donné. Et l’on peut procéder soit dans l’instant pour une action de prévention ou de poursuite immédiate, soit a posteriori dans le cadre d’une enquête judiciaire ou d’une opération de renseignement.
Le parti susceptible d’être tiré de cette technologie est immense, comme sont immenses les risques qu’elle comporte du fait de son caractère extraordinairement intrusif.
Tombée entre les mains de la police d’un régime dictatorial, elle peut devenir l’instrument d’un contrôle social généralisé. Utilisée à titre exceptionnel et de manière restrictive dans un régime démocratique respectueux de l’État de droit, elle peut ponctuellement présenter un intérêt réel pour la protection des citoyens, à condition que les principes et les règles encadrant son utilisation soient à la hauteur des libertés que nous, législateurs, en particulier le Sénat de la République, devons absolument faire prévaloir.
J’ai abordé ces questions avec à l’esprit quelques références communément partagées : nous savons bien que la marche de la science conduit depuis toujours à des découvertes ambivalentes, le meilleur côtoyant le pire. De la maîtrise du feu jusqu’à celle de l’atome, nous avons constamment été confrontés à ces interrogations auxquelles nul n’a jamais mieux répondu que Rabelais, avec qui nous disons désormais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
Mes chers collègues, c’est à nous d’apporter la conscience nécessaire à la maîtrise et au contrôle des usages de l’intelligence artificielle, aujourd’hui pour la reconnaissance faciale biométrique.
L’Union européenne travaille sur le même sujet. Un règlement européen est en gestation. Il s’inspire de principes largement communs aux nôtres, ce qui n’est pas surprenant, car la France conserve une place déterminante dans le processus législatif européen. Il pourrait aboutir en 2025. Nous vous proposons de ne pas attendre cette échéance pour agir.
La France, comme elle l’a fait avec Bernard Kouchner et Simone Veil voilà trente ans dans un autre domaine où science et éthique se confrontaient – la bioéthique –, peut et donc doit être précurseur. C’est en effet pour nous une vocation sans cesse renouvelée que d’affirmer des principes fondamentaux en matière de libertés, dont d’autres pourront ensuite s’inspirer. Et cela nous mettra en position de force dans la négociation européenne en cours.
Nous avons bien évidemment tenu compte du travail accompli à Bruxelles et à Strasbourg et des réflexions engagées par la Cnil dès 2019, ainsi que des conclusions de nombreux rapports, le plus récent, très riche, étant celui de nos collègues députés Philippe Gosselin – de la Manche !