Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « créer un cadre juridique expérimental permettant, par exception et de manière strictement subsidiaire, le recours ciblé et limité dans le temps à des systèmes de reconnaissance biométrique sur la voie publique, en temps réel, sur la base d’une menace préalablement identifiée et à des fins de sécurisation de grands événements ».
Ces mots sont ceux de l’auteur de la présente proposition de loi, M. Marc-Philippe Daubresse, qu’il a prononcés lors de l’examen de la loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions. Il définissait déjà les contours du texte actuel puisque, selon lui, ladite loi n’allait pas assez loin dans les innovations en matière de surveillance.
Notons les précautions, les circonlocutions et les périphrases : elles ne sont pas anodines et résument en réalité les faux-semblants qui sous-tendent le présent texte.
En vérité, le procédé est toujours le même lorsqu’il s’agit de technologies de fichage et de surveillance de masse : à la prudence initiale se substituent la généralisation et la fin des garde-fous.
Les prélèvements ADN, par exemple, ont été introduits dans notre droit en 1998 à la suite de l’affaire Guy Georges et concernaient à l’époque uniquement les condamnés définitifs pour agression sexuelle. Vingt-cinq ans plus tard, le fichier national automatisé des empreintes génétiques répertorie 3 millions d’individus, avec une écrasante majorité de personnes non condamnées. Nous ne comptons plus les prises d’empreintes génétiques pour des participations à des manifestations, par exemple ; refuser de s’y soumettre constitue désormais un délit, passible d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. Ficher l’ADN des militants politiques est devenu coutumier !
La vidéosurveillance a connu le même essor au travers d’un usage exponentiel, qui en a rendu la pratique massive. Depuis la loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions, il est possible de confier l’analyse des images à des algorithmes, encore une fois dans le cadre d’une expérimentation… Ne doutons pas qu’elle sera, elle aussi, généralisée !
En effet, à chaque fois, tout commence par des expérimentations, des dispositifs réduits, des initiatives que l’on nous jure strictement encadrées, pour aboutir invariablement à des généralisations. Nos libertés publiques deviennent secondaires pour les apprentis sorciers de la société de surveillance.
Nous sortons à peine de l’examen d’une loi d’exception qui a donné un cadre légal à la surveillance algorithmique durant les jeux Olympiques et Paralympiques que les fanatiques du flicage nous proposent déjà d’aller plus loin. Le risque antiterroriste sert, comme à chaque fois, de faux nez de la surveillance globale.
Qu’importe que la rapporteure spéciale de l’ONU sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste ait dénoncé l’utilisation du terrorisme comme justification politique pour adopter des technologies à haut risque.
Qu’importe que la Défenseure des droits souligne un « risque inhérent d’atteinte au droit au respect de la vie privée et à la protection des données ».
Qu’importe que le Massachusetts Institute of Technology (MIT) révèle que les technologies de surveillance automatisées présentent des préjugés liés au sexe et à la couleur de peau.
Il nous faudrait innover dans la société de contrôle, toujours plus loin, toujours plus fort, sans jamais réfléchir au modèle de société que cela induit.
Que contient ce texte ? Une forte dose d’hypocrisie. En effet, son article 1er tend à poser un cadre très strict d’interdictions pour empêcher la catégorisation, la notation ou la reconnaissance des personnes par les technologies de biométrie, le tout assorti d’un contrôle sérieux du Parlement, de la Cnil ou de la CNCTR. On aurait pu s’arrêter là, avec quelques sanctions pour des usages illégaux.
Pourtant, que contient le reste du texte ? Une liste d’exceptions à cette interdiction générale. La biométrie ? Jamais, sauf pour contrôler l’accès aux grands événements, pour permettre l’exploitation d’images a posteriori afin de retrouver des auteurs ou des victimes d’infractions, pour surveiller des foules en direct lors d’événements dits à risque ou encore pour aider aux investigations des services de renseignement dans la lutte contre le terrorisme.
La liste est déjà longue, mais elle sera trop courte pour un prochain gouvernement qui pourra introduire à souhait des exceptions supplémentaires. À partir du moment où vous acceptez, avec ce texte, la dissémination, la prolifération de ces technologies, vous devrez assumer un usage qui deviendra général, n’en doutez pas. Ce texte est un cadeau de bienvenue à un prochain gouvernement plus autoritaire qui n’aura qu’à pérenniser l’usage de la biométrie en rallongeant la liste des usages possibles.
Celles et ceux qui sont attachés à la devise républicaine, notamment au premier terme gravé au fronton de nos mairies, celui de « liberté », devraient être horrifiés par ce texte. Les garde-fous n’y changeront rien : l’autorisation, même partielle, de ces technologies ne fera qu’en multiplier le développement et l’usage. La société de surveillance mettra à mal notre démocratie.
L’usage politique de ces technologies ne sera pas entravé par les garde-fous. Les dérives politiques de la surveillance policière sont déjà très concrètes. La Lettre A se faisait encore l’écho la semaine dernière d’un bras de fer entre Matignon et Beauvau quant à la surveillance et la mise sur écoute de militants écologistes.
L’enjeu n’est pas seulement sécuritaire, il est aussi économique. Beaucoup appellent – de telles ambitions ont été énoncées très clairement durant les débats sur la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) – à promouvoir, soutenir et développer des champions français de la technosécurité.
Au nom de la défense des libertés publiques, nous refusons le projet de société que vous défendez avec ce texte : une société du fichage, du flicage, de l’abolition du privé et de l’intime ; un continuum de sécurité, qui considère tout comme une donnée à traiter, jusqu’au phénotype même des individus ; un carcan indépassable, qui n’a qu’une visée, le contrôle, partout et tout le temps.
C’est pourquoi nous vous proposerons la suppression de la plupart des articles de cette proposition de loi, à laquelle nous nous opposerons.