Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons été très inquiets lorsque nous avons vu arriver cette proposition de loi sur le bureau du Sénat. Certes il s’agit d’un texte court – quatre articles initialement, cinq après le passage à l’Assemblée nationale –, mais dense, puisqu’il procède à une refonte complète de l’architecture du titre II du livre Ier de la première partie du code de la santé publique.
Ainsi, à y regarder de plus près, on s’aperçoit bien vite que, derrière ces quelques articles présentés par leur auteur comme « simplificateurs », se dissimule en fait une véritable réforme des recherches sur la personne en général et, par là même, de la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales.
Or, les conditions dans lesquelles ce texte est arrivé devant le Parlement sont sujettes à caution. Il est nécessaire de rappeler que cette proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par le député Olivier Jardé est en fait directement issue de l’avant-projet de loi HPST, « Hôpital, patients, santé et territoires ». Si l’on peut comprendre aisément la volonté d’alléger un projet de loi, par ailleurs déjà important, d’un chapitre consacré à « la modernisation de la recherche clinique », il me semble tout de même problématique d’utiliser la réforme du travail parlementaire pour faire inscrire à l’ordre du jour des propositions de loi qui sont en fait des textes d’initiative gouvernementale.
Ce qui nous a aussi beaucoup inquiétés, c’est la vitesse à laquelle l’Assemblée nationale a voté le texte : il s’est passé moins de trois semaines entre son dépôt et son vote en séance publique, et la commission a examiné cette proposition de loi en cinquante minutes : quelle efficacité ! Devant à une telle précipitation, ce qui prime, c’est non plus la perplexité, mais la suspicion.
Cette proposition de loi soulève beaucoup de questions, mais, pour laisser mes collègues s’exprimer, je vais m’en tenir en cet instant à la suivante : madame la ministre, compte tenu de la matière, pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas fait le choix d’insérer ces dispositions dans le futur projet de loi de révision des lois de bioéthique ?
La loi Huriet-Sérusclat, véritable socle fondateur de la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, fut la première loi de bioéthique au monde et sert encore largement de modèle au niveau international. S’il n’est pas illégitime d’envisager des évolutions, comme cela fut d’ailleurs le cas à plusieurs reprises depuis 1988, encore faut-il ne pas la dénaturer complètement.
Or, en réalité, cette proposition de loi poursuit la logique entreprise depuis la loi de 2004 relative à la politique de santé publique et confirme le glissement qui s’est alors opéré entre une loi fondatrice destinée à protéger les personnes participant à des recherches biomédicales et, désormais, l’intention de faire de la recherche sur la personne un moyen de développer les connaissances scientifiques. L’inscription dans le texte initial de la proposition de loi, dès le premier alinéa du nouvel article L. 1121-1, du principe selon lequel « le développement de la recherche sur la personne constitue une priorité nationale » était, à cet égard, évocatrice.
Fort heureusement, la commission des affaires sociales a bien vu que cette inscription dans le code de la santé publique était d’autant plus malvenue qu’elle tendait à opposer, au sein du livre Ier, deux principes qui suivent des logiques différentes.
En fait, lorsque nous avons pris connaissance du contenu de cette proposition de loi, nous nous sommes d’abord demandé si une nouvelle évolution législative était réellement nécessaire. À dire vrai, nous n’en sommes pas vraiment convaincus. Dans l’exposé des motifs de son texte, notre collègue Olivier Jardé évoque un dispositif à la fois complexe et incomplet – cela semble tout de même paradoxal – mais, surtout, les difficultés qu’ont les chercheurs à publier dans les grandes revues scientifiques internationales.
C’est un point important sur lequel il est nécessaire de s’arrêter un instant. Les chercheurs français publient-ils moins que leurs collègues étrangers ? M. Jardé le sous-entend, mais ne donne aucun élément pour apprécier une telle affirmation. Pour ma part, j’ai fait quelques recherches et j’ai notamment consulté le dernier rapport biennal de l’Observatoire des sciences et des techniques, l’OST, qui fournit des éléments chiffrés intéressants, mais contrastés.
Précisons d’abord qu’il est difficile de comparer les rendements de systèmes de pays différents en se fondant seulement sur des critères quantitatifs. Ainsi, les Britanniques, qui font la course en tête pour la part des publications médicales, occupent la dernière place dans le classement de l’OMS pour la qualité de leur système de santé.
Cela étant dit, il est exact que la part des publications françaises dans le monde a décru ces dernières années. Comme le précise le rapport de l’OST, en 2006, la France était à l’origine de 4, 4 % des publications mondiales en sciences de la matière et de la vie, contre 5, 4 % en 1996. Mais précisons d’emblée que la part de tous les pays hautement développés a diminué au cours de la même période de l’ordre de 8 %. Même des pays comme la Suède, la Finlande, Israël ou le Japon, qui font des efforts considérables en matière de recherche, ont du mal à conserver leur position mondiale.
Par ailleurs, il faut aussi tenir compte de l’indice d’impact de ces publications, c’est-à-dire le rapport de la part mondiale de citations sur la part mondiale de publications. Dans ce domaine, la France a nettement progressé, en passant de 0, 91 point en 1993 à 0, 97 point en 2006.