Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 29 octobre 2009 à 15h00
Recherches sur la personne — Discussion d'une proposition de loi, amendements 16 40

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Si elles sont vraiment sans risque, pourquoi alors saisir des comités dont l’essence est la protection des personnes ?

Quant aux termes choisis, eux aussi, ils nous laissent perplexes.

En ce qui concerne, par exemple, la première catégorie de recherches, pourquoi retenir le terme de « recherches interventionnelles » alors que la réglementation européenne utilise le terme clinical trial et que le protocole additionnel à la convention d’Oviedo vise expressément les recherches biomédicales ?

Pour ce qui est de la deuxième catégorie de recherches – les recherches interventionnelles à risques et contraintes négligeables –, on peut s’étonner de la création d’une catégorie intermédiaire alors même que la législation européenne n’envisage pas de « sous-catégorie » d’essais cliniques. On peut surtout se demander ce qu’est réellement un risque négligeable et comment on peut objectivement l’apprécier.

Selon nous, toute recherche dans le domaine de la biomédecine impliquant une intervention sur l’être humain doit offrir la même garantie de respect des droits et libertés fondamentales aux personnes qui s’y prêtent. À l’inverse, la création de cette catégorie intermédiaire de recherche aurait pour conséquence, au même titre que les recherches visant à évaluer les soins courants, de complexifier la qualification des protocoles de recherche, de retarder la mise en place des recherches, d’isoler la France sur le plan international et de reporter la responsabilité de la qualification des protocoles de recherche du promoteur au CPP et ainsi de dénaturer leurs missions au détriment de la protection des personnes.

Enfin, s’agissant des recherches observationnelles, elles sont définies dans le rapport comme celles dans lesquelles tous les actes sont pratiqués et les produits utilisés de manière habituelle, sans aucune procédure supplémentaire ou inhabituelle de diagnostic ou de surveillance. Il s’agit en fait d’observer afin de collecter des informations et des données personnelles de santé.

Dès lors qu’il n’y a aucune intervention sur la personne, est-il nécessaire de confier leur examen aux CPP ? D’autant plus que, contrairement à ce que voudrait faire croire l’auteur du texte, ces études existent bel et bien aujourd’hui, et ne sont pas conduites dans un vide juridique, mais dans le respect de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Il revient ainsi à la CNIL de s’assurer que la recherche médicale ne porte atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques et d’autoriser ces traitements qui font au préalable l’objet d’un avis du Comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé. A contrario, les CPP n’ont pas de compétences particulières pour garantir la vie privée et les libertés individuelles des personnes dont les données font l’objet de traitements.

En fait, nous craignons que la création de trois types de recherches définies selon le niveau de risque encouru par les personnes qui s’y prêtent ne soit plus une source de confusion que de simplification, voire, ce qui serait pire, qu’elle ne favorise des glissements des recherches de type 1 vers celles de type 2, ce qui reviendrait à appliquer des procédures allégées aux recherches interventionnelles.

Mme le rapporteur a bien perçu tous ces problèmes, puisqu’elle propose de ne retenir que deux catégories de recherche : les recherches interventionnelles et les recherches observationnelles. C’est un progrès notable, puisque, ce faisant, il n’y a plus de procédure allégée concernant les recherches interventionnelles. Néanmoins, il nous semble que cette distinction pose encore un certain nombre de problèmes s’agissant notamment des recherches observationnelles et de la compétence des CPP. Nous y reviendrons plus en détail lors de l’examen des articles.

Les CPP justement, ils sont placés depuis 1988 au cœur du dispositif législatif destiné à garantir la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales. Ils sont au service de l’intérêt général en assurant la défense des droits et libertés fondamentales des personnes se prêtant à des recherches biomédicales et ils ne peuvent pas se mettre au service particulier des chercheurs. À l’origine, leur mission était claire : vérifier que les dispositions législatives et réglementaires qui s’appliquent aux expérimentations humaines sont respectées.

Aujourd’hui, il existe au sein de la communauté scientifique une volonté grandissante de transformer les CPP en comités scientifiques ou en comités d’éthique bis. D’ailleurs, dans la pratique, de nombreux CPP ont déjà entamé leur mutation. Devons-nous pour autant l’accepter ?

Pour ma part, je crois plutôt qu’il faudrait recentrer l’action des CPP sur leur mission initiale, à savoir la protection des personnes, et favoriser en parallèle la création de comités d’éthique de la recherche, CER, au sein des CHU. La mission de ces CER serait de répondre à l’ensemble des besoins exprimés par les chercheurs et les professionnels de santé, notamment en termes de formation et d’information sur la législation et l’éthique de la recherche, de les aider et de les orienter lors de la qualification de programmes de recherche et de délivrer un avis sur les projets d’études non interventionnelles et d’évaluation de soins courants ou de pratiques professionnelles. D’ailleurs, la mise en place des CER ne nécessiterait ni une modification de la loi Huriet-Sérusclat ni l’introduction de nouvelles dispositions législatives, leur existence étant déjà prévue par l’article L. 1412-1 du code de la santé publique, mais simplement la publication d’un arrêté du ministre chargé de la santé après avis du CCNE.

Un autre problème important soulevé par ce texte est celui de la participation à des recherches de personnes non affiliées à un régime de sécurité sociale.

Les personnes qui ne sont pas affiliées à un régime de sécurité sociale sont essentiellement les populations migrantes ou les personnes en situation irrégulière sur notre territoire. Si, comme le précise le rapport, elles sont parfois « porteuses de maladies graves et contagieuses », ce sont surtout des personnes en situation de grande vulnérabilité sociale qu’il convient de protéger. C’est pour cette raison que, depuis 1988, le choix a toujours été fait d’exclure ces personnes d’un protocole de recherche.

Quelles que soient les précautions prises par le texte, autoriser sous certaines conditions la possibilité pour des personnes non affiliées à un régime de sécurité sociale de participer à des recherches sur la personne revient à diminuer la protection de ces personnes vulnérables en autorisant leur participation à des recherches dans un intérêt collectif de santé publique.

Faut-il préciser que le fait de bénéficier d’un régime d’assurance maladie permet en outre de s’assurer que la personne dispose d’un accès aux soins ? Son consentement à participer à une recherche n’est donc pas induit par la possibilité qui lui est ainsi offerte de bénéficier de soins auxquels elle n’aurait pas accès autrement. Je le rappelle, participer ou non à une recherche ne doit jamais être un devoir ni une perte de chance. Dans un contexte où l’accès à l’aide médicale d’État est chaque jour plus difficile et restreint, on voit bien à quel point le risque serait grand d’introduire en France cette problématique bien identifiée dans les pays pauvres.

Un autre sujet qui me tient à cœur, sur lequel ma collègue Patricia Schillinger reviendra plus longuement, est celui de la recherche sur les enfants et l’exercice de l’autorité parentale. Non seulement le texte initial est en recul par rapport aux nouvelles dispositions figurant dans le code civil en matière d’autorité parentale, mais, en outre, il risque d’introduire un nouveau motif potentiel de désaccord entre les parents et l’enfant se retrouvera alors au centre de ce conflit familial. C’est pour le moins dangereux. C’est pourquoi je crois vraiment que l’avis des deux détenteurs de l’autorité parentale doit être impératif dans tous les cas de recherche sur les mineurs.

Comme j’y ai déjà fait allusion, la commission des affaires sociales a profondément modifié le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale. Nous y avons d’ailleurs contribué. Je veux donc saluer ici le travail de Mme le rapporteur et sa capacité d’écoute. Elle a su tenir compte des remarques qui lui ont été faites et des d’amendements qui ont été déposés, et ce quels que soient les groupes dont cela émanait.

Grâce à ce travail collectif, nous avons rectifié les aspects les plus négatifs du texte initial et recentré le débat sur la protection des personnes. Cependant, tous les problèmes ne sont pas réglés. Des sujets font encore débat et des dispositions peuvent être améliorées. C’est pourquoi le groupe socialiste a déposé treize amendements.

À ce propos, je regrette vivement que notre amendement n° 16 ait été déclaré irrecevable par la commission des finances. Je reviendrai lors de l’examen de l’article en question sur le fonctionnement plus que contestable de l’article 40 et son application. Pour nous, c’était un point important. S’agissant d’un texte ayant trait aux droits de la personne, nous étions dans l’esprit de la loi Huriet-Sérusclat à la recherche d’un accord unanime. Cela devient plus difficile.

Comme les membres de la commission des affaires sociales n’ont pas eu connaissance de cet amendement, et pour cause, je vais en dire quelques mots.

Il nous semblait important de donner plus de poids et d’indépendance à la commission créée par Mme le rapporteur dans le seul but d’améliorer le fonctionnement des CPP et de garantir une meilleure protection des personnes. C’est pourquoi nous souhaitions transformer cette commission, actuellement placée près de la Haute Autorité de santé, en autorité indépendante avec des missions élargies. Malheureusement, la jurisprudence applicable en matière d’article 40 nous en empêche. Une fois de plus, je constate que cela restreint fortement l’initiative parlementaire. Je voulais suggérer au Gouvernement de reprendre notre amendement à son compte afin de permettre le débat sur un sujet important. Il s’avère que le Gouvernement a déposé un amendement qui va exactement dans le sens inverse et qui aboutira à mettre cette commission sous son autorité.

Pour finir, j’ajouterai seulement que nous pourrions nous interroger sur le fait que, dès le départ, cette proposition de loi n’ait pas subi les foudres de l’article 40 alors qu’elle crée incontestablement des charges supplémentaires, notamment en confiant aux CPP le contrôle des recherches observationnelles.

Vous comprendrez donc que nous attendions de connaître le sort qui sera réservé à nos amendements avant de vous indiquer le sens de notre vote.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion