Intervention de Jacques Muller

Réunion du 12 juin 2008 à 9h30
Chiens dangereux — Adoption définitive d'un projet de loi en troisième lecture

Photo de Jacques MullerJacques Muller :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici invités à conclure les débats sur le projet de loi relatif aux chiens dits dangereux par un examen en troisième lecture devant la Haute Assemblée.

Au cours de la deuxième lecture devant l’Assemblée nationale, les députés ont apporté deux modifications substantielles au texte issu de nos travaux.

Premièrement, les articles 4 bis et 13 bis, portant sur la question centrale de l’évaluation comportementale des chiens pressentis dangereux, ont été supprimés. Je regrette profondément que les dispositions votées ici en deuxième lecture aient été balayées par l’Assemblée nationale.

Je rejoignais totalement les propositions de notre collègue Dominique Braye visant à appréhender la dangerosité potentielle des chiens autrement que par leur seul classement dans les première et deuxième catégories : en effet, en toute rigueur scientifique, ce sont le poids et la puissance de la mâchoire de l’animal qui sont les facteurs déterminants de la gravité de la morsure.

Les arguments de second ordre invoqués par nos collègues députés pour supprimer les articles que nous avions adoptés ne pèsent rien par rapport à ces considérations scientifiques. Souhaite-t-on vraiment réaliser des évaluations comportementales permettant de prévenir effectivement les risques de morsures graves ou se contente-t-on de faire de l’affichage ? Quoi qu’il en soit, nous déplorons fortement ce recul.

Deuxièmement, un article 5 ter relatif aux conditions d’utilisation d’un chien dans le cadre des activités privées de sécurité a été introduit. Cet article valide le dispositif adopté en deuxième lecture au Sénat, en le précisant judicieusement. Notre groupe y est donc favorable.

Au final, on nous demande un vote conforme sur un texte qui reste entaché de sa « tare originelle » : chercher à répondre au diktat de l’urgence médiatique et du compassionnel. Non qu’il ne faille pas penser aux victimes de ces accidents dramatiques, bien au contraire ; cependant, si nous avions véritablement voulu prendre en compte la souffrance de ces victimes, pour la plupart des enfants, nous aurions légiféré sur le sujet dans toute sa complexité, en évitant les raccourcis.

Nous avons bien travaillé et su faire émerger des propositions constructives, au-delà des clivages politiques, ce qui me réjouit profondément. Mais le texte qu’on nous demande d’adopter pose à notre groupe trois problèmes de fond.

Tout d’abord, il reste marqué par la notion de caractérisation génétique. Celle-ci est parfaitement inopérante si l’on souhaite relever le défi des morsures graves : plus de 80 % des morsures mortelles sont le fait de chiens n’appartenant pas aux fameuses première et deuxième catégories. Il en est ainsi des labradors et bergers allemands, qui sont les premiers chiens tueurs dans notre pays, mais ne sont pas visés par les dispositions d’évaluation prévues dans le texte.

Cette caractérisation génétique exclusive est stigmatisante pour les chiens, bien sûr, mais aussi et surtout pour leurs propriétaires. Or chacun sait que le problème de comportement d’un chien n’est pas principalement d’ordre génétique, mais provient de l’éducation qu’il a reçue en termes de socialisation, surtout en bas âge : tel maître, tel chien.

Ensuite, le texte privilégie outrageusement la répression.

Je me dois de le rappeler, la plupart des accidents graves se déroulent dans la sphère privée et, dans ce contexte, la solution au problème que nous avons à traiter – la diminution des accidents par morsures graves – relève d’abord de la prévention et de la sensibilisation des familles et des victimes prioritaires que sont les enfants.

C’est pourquoi notre groupe dénonce l’approche déséquilibrée du texte, qui fait prévaloir la répression des propriétaires des chiens mordeurs.

Ainsi, l’article 8 bis, qui résulte de l’adoption d’un amendement du Gouvernement faisant suite à une initiative médiatique du Président de la République, introduit une disposition aggravant encore le caractère répressif du texte, et dont la pertinence s’effondre dès lors que l’on tente de prendre vraiment en compte la réalité du terrain. En effet, madame la ministre, mes chers collègues, je rappelle que les accidents se déroulent essentiellement dans les familles

Enfin, le texte introduit une injustice notoire à l’égard des familles modestes. En supprimant l’excellent article 12 proposé par le Gouvernement, concernant les dispensaires de protection animale, le texte met en péril ces structures associatives qui jouent un rôle pourtant essentiel dans la prise en charge sanitaire d’animaux appartenant à des familles n’ayant pas les moyens de payer les services des vétérinaires libéraux. C’est une question de santé publique, mais aussi de solidarité avec les familles moins aisées, pour lesquelles l’animal de compagnie joue un rôle important. Cette question est d’autant plus sensible que la période actuelle est marquée par la problématique lancinante du pouvoir d’achat.

Pour ces trois raisons de fond, notre groupe pourrait voter contre le texte proposé. Néanmoins, nous souhaitons prendre acte d’une inflexion significative apportée au cours de la discussion en première et deuxième lectures au Sénat : la création d’un Observatoire national du comportement canin, pierre angulaire de la politique de prévention, si nécessaire, que nous appelons de nos vœux.

Nous nous réjouissons en effet de l’adoption définitive de notre proposition tendant à l’instauration d’un tel observatoire. Je rappelle que sa vocation est de centraliser les statistiques liées aux morsures canines et d’élaborer, de façon interdisciplinaire, des outils scientifiques d’évaluation du comportement canin, en vue de coordonner de grandes campagnes de sensibilisation et de formation aux relations entre l’homme et le chien.

Dans une perspective de diminution des accidents par morsures de chiens, de telles campagnes sont absolument prioritaires. C’est pourquoi je salue la constance avec laquelle la Haute Assemblée a défendu cette position, notamment face à la chambre basse.

Ainsi, cet observatoire représente pour notre groupe une avancée notoire, un outil central dans la prévention des morsures : sa création introduit une inflexion sensible du texte dans le sens de la prévention.

À cet égard, veillons à ce que cette structure ne soit pas une coquille vide : en développant effectivement les actions de prévention et de sensibilisation – à l’instar de celles qui sont menées par la Prévention routière –, nous en ferons un outil efficace pour modifier non seulement les comportements des maîtres, mais aussi celui des premières victimes exposées aux morsures de chiens, à savoir les enfants.

je souhaite que, dans la mise en œuvre de cette dynamique, on donne toute leur place aux praticiens exerçant dans le domaine cynophile, comme les vétérinaires comportementalistes, dont je me suis largement inspiré pour mon travail de recherche et de proposition. À cet égard, je tiens à mentionner l’association de vétérinaires comportementalistes présidée par le docteur Beata, Zoopsy, qui conduit de nombreuses recherches et qui est pour nous une véritable mine de propositions.

Madame la ministre, mes chers collègues, sous le bénéfice de l’ensemble de ces considérations, notre groupe a décidé de s’abstenir sur ce texte, qui reste trop marqué, à nos yeux, par une approche excessivement répressive.

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