Intervention de Laurent Béteille

Réunion du 4 novembre 2008 à 16h00
Lutte contre le terrorisme — Adoption des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Laurent BéteilleLaurent Béteille, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par M. Hubert Haenel est un écho attendu à la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, dont les articles 3, 6 et 9 avaient été adoptés à titre temporaire, jusqu’au 31 décembre 2008, pour permettre leur expérimentation et leur évaluation avant leur éventuelle prorogation ou pérennisation. L’article unique de la présente proposition de loi a pour objet de prolonger leur application pour quatre années supplémentaires, jusqu’au 31 décembre 2012.

Tout en approuvant le principe de cette méthode, notre excellent collègue Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la loi du 23 janvier 2006 au nom de la commission des lois, attirait notre attention sur la nécessité de respecter la clause de rendez-vous ainsi fixée et de mettre à profit ces trois années d’expérimentation pour évaluer de manière approfondie la pertinence des dispositions concernées.

À l’aune de ces critères, quel jugement porter sur l’application des articles 3, 6 et 9 ?

Premier point positif, la clause de rendez-vous, fixée au 31 décembre 2008, a été respectée, le Gouvernement n’ayant pas écourté l’expérimentation comme cela se produit parfois.

Autre point positif, et sans aborder le fond des dispositions, je dois relever que la quasi-totalité des textes d’application ont été pris dans des délais raisonnables, inférieurs à un an, seul l’article 6 restant partiellement inapplicable. Encore faut-il souligner en l’espèce que la publication du décret manquant est liée à celle des textes d’application de la loi de 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, qui n’est pas achevée. Si la durée de l’expérimentation est donc plus courte que les trois ans initialement envisagés, elle reste cependant relativement significative.

Pour autant, les rapports annuels d’évaluation n’ont pas été réalisés, à l’exception du rapport pour 2008, qui, selon les indications qui m’ont été fournies, ne concerne que les seules dispositions visées par la présente proposition de loi.

Compte tenu de la persistance de la menace terroriste dirigée contre la France, notre collègue Hubert Haenel a pris l’heureuse initiative de cette proposition de loi.

Certains ont pu considérer qu’il eût été plus conforme à l’esprit dans lequel les trois articles de la loi de 2006 avaient été adoptés qu’ils fussent réexaminés et leur application évaluée par le Parlement à la demande du Gouvernement. Je crois néanmoins que le Parlement est tout à fait dans son rôle lorsqu’il veille au suivi des dispositions qu’il a précédemment adoptées ! De plus, cette proposition de loi spécifique offre l’immense avantage de traiter ces questions isolément, et non pas noyées dans un projet de loi au champ plus large, ou incidemment, au détour d’une ordonnance, comme cela avait été le cas pour plusieurs dispositifs expérimentaux de la loi de 2001 relative à la sécurité quotidienne.

La proposition de loi permet aussi au Parlement, en l’absence d’évaluation par le Gouvernement, d’effectuer lui-même une réelle évaluation. J’ai procédé à ce titre à un certain nombre d’auditions – je remercie les collègues qui s’y sont associés – qui autorisent un premier bilan et de premières conclusions.

J’en viens donc aux trois articles concernés.

L’article 3, à la différence des articles 6 et 9, n’a pas pour objet unique la lutte antiterroriste puisqu’il rend possibles les contrôles d’identité sur les lignes ferroviaires internationales, d’une part, entre la frontière et le premier arrêt se situant au-delà de 20 kilomètres de la frontière, et, d’autre part, entre ce premier arrêt et un autre arrêt situé dans la limite des 50 kilomètres suivants. Il constitue ainsi l’une des mesures compensatoires rendues nécessaires par la suppression des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen.

Cette faculté supplémentaire de procéder librement à des contrôles d’identité tient également au fait que les trains ne s’arrêtent plus dans les gares frontalières, en raison notamment du développement des lignes à grande vitesse.

Les dispositions de cet article 3 étaient préfigurées dans la législation antérieure puisqu’il était déjà possible, depuis 1993, de procéder à des contrôles dans une bande de 20 kilomètres tout le long de nos frontières terrestres. Dans un certain sens, mes chers collègues, l’article 3 pose moins de difficultés au regard de la liberté d’aller et venir que ces premières mesures qui permettaient, dans la bande de 20 kilomètres, le contrôle de l’identité non seulement des personnes traversant la frontière mais aussi de celles qui résident habituellement dans cette zone. Or les personnes contrôlées dans les trains transnationaux, même au-delà des 20 kilomètres, sont indiscutablement des voyageurs transnationaux.

Par conséquent, avec l’article 3, les contrôles d’identité sont mieux ciblés qu’avec la loi de 1993. Un premier bilan indique que plusieurs centaines d’interpellations ont été réalisées depuis le début de l’année.

Un aspect moins quantifiable tient à l’identification de personnes signalées mais qui ne sont pas interpellées. Dans chaque cas, la personne identifiée fait l’objet d’un rapport aux services compétents, notamment à ceux qui sont chargés de la lutte antiterroriste. Ce travail de renseignement permet de mieux cerner leurs déplacements et de connaître, le cas échéant, les personnes avec lesquelles elles voyagent.

J’estime, mes chers collègues, que l’article 3 ne suscite pas de difficulté particulière. Au contraire, il permet de mener dans de bonnes conditions des contrôles normaux entre deux frontières. Au demeurant, je rappelle que les contrôles d’identité étaient déjà possibles dans les gares internationales ; il est néanmoins préférable de contrôler les personnes à bord du train plutôt qu’à leur descente, car cela réduit à la fois le nombre de personnels mobilisés pour ces opérations et la gêne occasionnée aux passagers.

J’ai hésité à présenter un amendement tendant à préciser que les contrôles d’identité pouvaient s’effectuer dans les deux sens de circulation, et non pas uniquement lorsque le train est en provenance d’un pays étranger. En effet, deux ordonnances isolées de la cour d’appel de Bordeaux ont jugé illégale l’interpellation d’étrangers en situation irrégulière consécutive à des contrôles d’identité effectués dans un train circulant de la France vers un pays étranger.

Cependant, cette jurisprudence me semble contradictoire avec la loi du 23 janvier 2006, qui est suffisamment claire, qui pose des limites géographiques, mais qui ne traite pas, il est vrai, du sens de circulation du train. Je voudrais cependant réaffirmer ici – après m’en être entretenu avec le rapporteur de l’époque – que la volonté du législateur n’a jamais été de restreindre à un seul sens de circulation la possibilité de procéder à des contrôles d’identité, ce qui serait d’ailleurs absurde.

J’en viens à présent à l’article 6.

Cet article a instauré une procédure de réquisition administrative des données techniques de connexion conservées par les opérateurs de communications électroniques, les fournisseurs d’accès et les hébergeurs. Cette procédure n’est utilisable qu’aux fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme, à la différence de la précédente. Précision importante pour éviter toute confusion dans nos débats, ces données portent non pas sur le contenu des communications, mais seulement sur les connexions.

Je ne rappellerai pas les détails de cette procédure originale et unique s’inspirant de celle qui existe en matière d’interceptions de sécurité.

Sur le plan réglementaire, la plupart des textes d’application ont été pris.

Toutefois, le décret devant permettre la réquisition des données de trafic sur internet n’a toujours pas été publié. Il s’agit de données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création d’un contenu sur internet.

Sur le plan pratique, l’article 6 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme est mis en œuvre depuis le 2 mai 2007.

Un premier bilan montre que le processus de désignation de la personnalité qualifiée chargée d’autoriser les demandes de réquisition fonctionne bien et offre les garanties d’indépendance nécessaires.

Pour ce qui est des demandes de réquisition elles-mêmes, en 2007, 25 982 demandes ont été validées, 243 refusées et 1 476 ont fait l’objet d’une demande de renseignements complémentaires. Je précise que 480 agents des services de lutte antiterroriste sont habilités à les demander. Les demandes émanent à 90 % de la Direction centrale du renseignement intérieur.

Le nombre de demandes concernant l’internet reste très faible, même s’il progresse, puisque le principal décret n’a toujours pas été publié. Le cadre juridique en vigueur ne permet pour le moment que de demander l’identification d’une adresse internet.

Les demandes liées à internet devraient donc augmenter considérablement une fois le décret publié. Toutefois, plusieurs des personnes entendues ont souligné que les technologies accessibles aux terroristes permettaient à ces derniers de brouiller les pistes plus facilement sur internet que sur les communications par téléphone.

L’instruction des demandes par la personnalité qualifiée se fait selon un schéma « calé » sur celui de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.

Ainsi, la personnalité qualifiée exige, en particulier, une motivation suffisamment circonstanciée de la demande. Avant de la formuler, les services chargés de la lutte antiterroriste doivent procéder à un minimum de vérifications pour l’étayer.

Les demandes de réquisition sont de différents types. À ce titre, elles ne sont pas toutes examinées avec la même attention, certaines étant très répétitives et ne posant pas de difficultés particulières au regard de la protection de la vie privée. En revanche, les demandes de géolocalisation et de factures détaillées font l’objet de l’examen le plus attentif.

Le bilan opérationnel de ce dispositif semble convaincant.

En effet, les réquisitions administratives des données de trafic sont devenues un outil indispensable pour trier rapidement les informations, écarter des pistes ou, le cas échéant, les approfondir. Si la piste apparaît valable, les services peuvent passer à l’étape suivante : des écoutes administratives, voire l’ouverture d’une procédure judiciaire. Ce dernier cas représente pour l’instant un pourcentage infime.

Comme l’a indiqué M. Bernard Squarcini, directeur de la Direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI, ce dispositif « permet un éclairage immédiat pour espérer lever le doute en temps réel ».

En outre, en permettant un tri plus fin, le plus en amont possible des investigations, ce dispositif pourrait avoir pour avantage de mieux cibler et donc de diminuer les demandes d’écoutes administratives.

Ces dernières, outre qu’elles sont très coûteuses à exploiter par les services chargés de la lutte antiterroriste, sont beaucoup plus intrusives et attentatoires aux libertés puisqu’elles portent sur le contenu des communications.

Une légère diminution du nombre d’interceptions de sécurité sur le motif « prévention du terrorisme » est enregistrée sur 2007-2008, après le pic de 2005. Compte tenu du caractère étroit des écarts constatés et de l’absence de recul suffisant, on ne peut, à ce stade, établir une corrélation, mais il sera intéressant de suivre l’évolution dans les années à venir.

J’en viens enfin à l’article 9 de la loi du 23 janvier 2006. Il autorise les services chargés de la lutte antiterroriste à accéder directement et à toute heure à certains fichiers administratifs gérés soit par le ministre de l’intérieur, soit par le ministre de l’immigration. Outre une réactivité immédiate, ce dispositif offre l’avantage de la discrétion, les services des préfectures n’ayant pas à savoir que des investigations sont menées à l’encontre de telle ou telle personne.

De manière générale, il semble donc que les premiers résultats sur ces trois articles soient plutôt satisfaisants. Toutefois, le recul manque encore compte tenu des délais de publication des textes d’application.

Telles sont les raisons pour lesquelles la commission, dans ses conclusions, vous propose, mes chers collègues, de reprendre la proposition de loi sans modification.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion