Madame le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, toute personne doit répondre de ses actes et de leurs conséquences, autant sur le plan civil que sur le plan pénal.
Non seulement cette règle de droit commun n’échappe pas à la personne investie de l’autorité publique, qu’elle soit fonctionnaire, élue ou officier ministériel, mais son application en est fréquemment élargie, voire durcie, en vertu d’un principe très simple selon lequel le porteur de cette autorité publique doit être un garant de l’autorité qu’il représente ou de la fonction qu’il assume.
Le droit administratif a construit dans le temps, sur la base d’une jurisprudence et d’une doctrine solides, la notion de la faute détachable ou non du service et de ses conséquences. Sur le plan pénal, le simple fait de commettre une infraction en étant investi de l’autorité publique entraîne le durcissement de la sanction, voire de la qualification pénale, allant jusqu’à criminaliser des faits qui n’auraient reçu qu’une qualification délictuelle au regard du droit commun.
Les domaines d’activité de plus en plus variés et complexes relevant du champ public et du champ privé, notamment dans le domaine économique, ont conduit l’autorité publique et le législateur à mettre en place des contrôles de déontologie de plus en plus rigoureux.
Ces principes et cette rigueur doivent être une règle et une exigence. Mais cette exigence de droit ne peut aller sans la précision de la règle et de son caractère normatif, et cela d’autant plus qu’en matière pénale on s’éloigne du caractère intentionnel des faits pour n’en retenir que le seul caractère matériel.
Il y a quelques années déjà, Mme Chandernagor, en sa qualité non pas de romancière, mais de rapporteur du Conseil d’État sur l’activité législative, soulignait les risques du nombre croissant de textes législatifs et de l’insécurité juridique qui en résultait.
Combien de fois des magistrats n’ont-ils pas soulevé les difficultés qui en résultaient pour eux, allant même jusqu’à considérer que, dans bien des cas, la difficulté ne résidait pas tant dans l’appréciation des faits qui leur étaient soumis que dans la bonne application des textes, compte tenu de leur nombre, de leur diversité, voire de leur complexité ?
Les élus locaux qui, ne l’oublions pas, sont la plupart du temps des élus de petites communes disposant de services administratifs très réduits, voire inexistants, sont amenés à représenter ès qualités la collectivité et l’assemblée dont ils émanent, au sein de ce que l’on appelle communément « les organismes extérieurs », qu’ils soient de droit public ou de droit privé. Ces établissements publics ou associations parapubliques concourent à l’action publique locale en remplissant des missions d’intérêt public ou d’intérêt général irremplaçables.
Dans notre droit positif, la prise illégale d’intérêt se définit comme un manquement au devoir de probité de la part de toute personne exerçant des fonctions publiques. Or, l’absence de qualification précise de la notion d’intérêt a conduit la jurisprudence la plus récente – elle résulte d’un arrêt de la Cour de cassation de 2008 – à s’éloigner de cette définition.
Ainsi, dans un des considérants de l’arrêt précédemment évoqué, la chambre criminelle indique que l’infraction est constituée même s’il n’en résulte ni profit pour les auteurs ni préjudice pour la collectivité, comme cela a été longuement développé. Dès lors, la Cour considère que « la prise illégale d’intérêt se consomme par le seul abus de sa fonction, indépendamment de la recherche d’un gain ou d’un avantage personnel ».
Non seulement les effets de cette jurisprudence n’auraient plus aucun lien avec la notion de probité à préserver mais entraîneraient de lourdes conséquences à l’égard d’élus qui refuseraient à l’avenir d’assumer des décisions, des responsabilités ou des représentations dans des structures extérieures qu’ils considéreraient comme susceptibles de les exposer à ce risque.
Mes chers collègues, nous faisons tous partie d’assemblées délibérantes. Nous siégeons pour beaucoup dans des commissions permanentes. Qui, dans cet hémicycle, n’a pas été témoin – je vais peser mes mots – d’échanges au cours desquels l’un lève la main en demandant au président de ne pas figurer au procès-verbal, et ou l’autre, inattentif, parlant à son collègue, se voit rappeler son statut de président de l’OPAC et la nécessité de se faire porter hors procès-verbal ? Combien de fois n’a-t-on pas entendu : « tu es président du CAL-PACT ou de l’ADIL, et peut-être faudrait-il que cette décision ne te concerne pas » ?