Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de loi renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux a été adopté par le conseil des ministres le 11 octobre dernier.
Je ne vais pas rappeler son dispositif, qui vient d'être présenté par Mme le ministre ; je me contenterai de formuler quelques observations sur les points que je crois essentiels.
Le problème des animaux dangereux n'est pas nouveau et, sans revenir aux temps reculés où les loups attaquaient les villages, les maires détiennent depuis longtemps, au titre de leurs pouvoirs de police, les prérogatives nécessaires pour mettre fin à la « divagation des animaux malfaisants ou féroces », pour reprendre la belle expression de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales.
Toutefois, au début des années quatre-vingt-dix, une nouvelle forme de violence impliquant des molosses, dont le plus connu est le pitbull, a fait son apparition. Certains délinquants se sont empressés d'acquérir ces chiens très agressifs afin de commettre des délits. Pour lutter contre ce phénomène, on a tenté, au travers de la loi du 6 janvier 1999, de définir les chiens dangereux en les classant selon deux catégories, en fonction de leur morphologie.
D'une part, les chiens de première catégorie, ou chiens d'attaque, résultent de croisements de chiens de race, comme les mastiffs, qui portent au maximum leur potentiel d'agressivité. Le pitbull est le plus connu des chiens de cette catégorie.
D'autre part, les chiens de deuxième catégorie, ou chiens de défense, à l'exemple des rottweilers, sont des chiens de race répertoriés dans des livres généalogiques contrôlés par le ministère de l'agriculture.
À partir de cette définition, la loi de 1999, qui a été complétée en 2001 et en 2007, a prévu de nombreuses obligations et interdictions applicables à la détention des chiens dangereux et a donné aux maires les moyens de se débarrasser des animaux les plus dangereux.
Que dire de l'efficacité de cette législation ?
Il semble bien que la loi de 1999 a permis de limiter le nombre de chiens de première catégorie sur notre territoire, sans pour autant les faire disparaître, comme le souhaitait le législateur.
Entre 2001 et 2005, le nombre de déclarations de chiens de première catégorie est passé de 3 837 à 967, alors que le nombre d'infractions à la législation relative aux chiens dangereux constatées diminuait de plus de 53 %.
Ce constat doit être nuancé en raison des limites de la loi de 1999.
Tout d'abord, il existe toujours des chiens de première catégorie en France, et certains sont nés après l'entrée en vigueur de l'obligation de stérilisation ; les contrôles effectués par la police et la gendarmerie le prouvent. Des élevages clandestins ont d'ailleurs pu être démantelés.
Cependant, des chiens relevant de la première catégorie ont aussi pu être classés dans la deuxième catégorie par les vétérinaires. Ces erreurs ont, le plus souvent, été induites par le moment des contrôles : en effet, ils sont généralement réalisés lorsque le chien a six semaines, c'est-à-dire à un âge où il est très difficile d'apprécier clairement si un chien appartient à la première ou à la deuxième catégorie.
De plus, des croisements de chiens de race, provoqués ou spontanés, ont pu engendrer des chiens de première catégorie. Je reviendrai sur ce constat important lors de la présentation du projet de loi.
Il faut, en effet, souligner le caractère trop limité des catégories posées par la loi de 1999, au regard du phénomène des chiens dangereux.
En pratique, c'est un arrêté interministériel qui énumère les types ou races de chiens de première et de deuxième catégorie. La définition donnée est si précise que des molosses présentant la même agressivité mais légèrement plus grands peuvent être détenus sans contrainte.
De plus, nombre de personnes souhaitant acheter un chien présentant une morphologie et un potentiel d'agressivité identiques à ceux des chiens de première catégorie sans avoir les contraintes pesant sur les détenteurs de ces derniers ont fait l'acquisition d'un chien de deuxième catégorie. Le cheptel de ces chiens demeure aujourd'hui important. Je rappelle que les derniers accidents ont été provoqués par des rottweilers, chiens de deuxième catégorie qui, en l'état du droit, n'ont pas à être stérilisés.
Par ailleurs, ce sont aujourd'hui moins les phénomènes de délinquance avec des chiens de première catégorie que des morsures graves de personnes par des chiens, le plus souvent au sein de la sphère familiale, qui préoccupent les Français.
Ces accidents provoqués par des attaques de chiens sont fréquents, car la population canine de notre pays, avec 8, 5 millions de chiens domestiqués, est très importante. Environ 28 % des familles ont un chien. Et ce sont des chiens parfois non classés dans les catégories définies en 1999, comme des dogues allemands, qui ont été à l'origine des accidents tragiques de l'été.
Comme le rappelait déjà notre collègue Jean-René Lecerf lors des débats sur la loi relative à la prévention de la délinquance, tout chien peut être dangereux en fonction de ses conditions d'éducation et de garde.
Or, comme s'en est fait l'écho notre collègue Yves Détraigne, les maîtres des chiens, qui en sont théoriquement responsables, sont parfois de vrais irresponsables, à l'exemple du détenteur du chien qui a tué une petite fille - sa propre nièce ! - à Épernay, en août dernier. En effet, non content de faire un recours pour empêcher l'euthanasie de son animal, cet homme a organisé une manifestation de propriétaires de chiens dans les rues de la ville en menaçant le maire...
À l'évidence, certaines personnes sont incapables de détenir un chien.
Je ne reviendrai pas sur le contenu du projet de loi, qui répond à ces constats et qui a déjà été présenté par Mme le ministre.
Je veux néanmoins redire que je soutiens la démarche du Gouvernement, conforme aux attentes de la population, et saluer la priorité donnée par le texte à la formation des maîtres, qui est essentielle. Je m'attacherai ensuite à présenter les principaux amendements de la commission des lois.
Au préalable, permettez-moi de remercier nos collègues qui ont assisté aux auditions, ainsi que Dominique Braye, le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, avec qui j'ai mené une réflexion fructueuse. La plupart des amendements que je présente au nom de la commission des lois sont, d'ailleurs, issus de notre travail commun.
L'article 1er prévoit que le maire peut imposer aux maîtres de chiens susceptibles d'être dangereux une évaluation comportementale de leurs animaux ainsi qu'une formation relative aux principes d'éducation canine et aux règles de sécurité applicables aux chiens dans les espaces publics et privés.
Sur cet article, la commission des lois vous propose, comme la commission des affaires économiques, deux amendements qui tendent, d'abord, à rappeler le pouvoir de substitution du préfet en cas d'absence de décision du maire ; ensuite, à préciser que l'organisation de l'évaluation comportementale du chien est un préalable à l'organisation éventuelle d'une formation pour le maître. De cette façon, les formations inutiles seraient évitées. Simultanément, le détenteur pourrait être contraint non seulement de suivre la formation, mais surtout d'être titulaire de l'attestation d'aptitude.
Enfin, ces amendements prévoient que les résultats de l'évaluation comportementale devront être transmis au maire par le vétérinaire. En effet, cette évaluation n'a de sens que pour déceler d'éventuels troubles chez l'animal et aider le maire à décider de le placer, voire de faire euthanasier l'animal en cause.
À l'article 2, qui prévoit que tout détenteur de chiens de première ou de deuxième catégorie doit être titulaire de l'attestation d'aptitude et que la possession de ces chiens est soumise à une évaluation comportementale de l'animal, la commission des lois propose d'axer la formation prévue pour les maîtres sur la prévention des accidents. Néanmoins, je l'annonce tout de suite, elle se ralliera à l'amendement n° 16 de la commission des affaires économiques, qui est plus complet.
L'article 4 prévoit que, désormais, les morsures de chiens devront être signalées en mairie par les propriétaires ou détenteurs des animaux en cause. Simultanément, les victimes pourront toujours aller au commissariat ou à la brigade de gendarmerie pour porter plainte.
Néanmoins, j'attire votre attention, madame le ministre, sur le fait que plusieurs personnes auditionnées nous ont signalé que ces plaintes n'avaient pas toujours de suite. Il semblerait donc opportun de rappeler aux services concernés qu'elles doivent être prises en considération et enregistrées.
L'article 5 a fait l'objet d'un examen attentif des deux commissions ; il prévoit l'interdiction pure et simple des chiens de première catégorie nés après le 7 janvier 2000, date à laquelle ils auraient dû être tous stérilisés. En pratique, selon l'article 14, les maîtres disposeraient de deux mois à compter de la date de publication du présent texte pour s'y conformer. L'article 7 transforme cette détention en délit, puni de six mois d'emprisonnement de 15 000 euros d'amende.
Si ce dispositif paraît logique et que nous en partageons la philosophie, il semble en pratique difficilement applicable. En effet, aux dires des spécialistes - dont M. Baussier, secrétaire général du Conseil supérieur de l'ordre des vétérinaires - que nous avons entendus, les chiens de première catégorie qui résultent de croisements peuvent non seulement être issus de chiens de la deuxième catégorie, dont les caractéristiques morphologiques sont très proches, mais également de chiens qui ne sont pas classés parmi les catégories de chiens dangereux.
Comme cela a été mentionné à plusieurs reprises dans la presse, un labrador et un boxer peuvent engendrer un chien de première catégorie. Ainsi, de nombreux propriétaires ont pu acquérir sans le savoir des chiens légalement interdits et les déclarer tardivement en mairie.
Le dispositif prévu pourrait donc frapper indifféremment les personnes qui ont violé délibérément la loi de 1999 en faisant reproduire des chiens de première catégorie non stérilisés ou importés illégalement et celles qui possèdent sans le savoir des chiens de première catégorie issus d'animaux non soumis à l'obligation de stérilisation.
Avec Dominique Braye, nous avons proposé à nos commissions des amendements de suppression de l'article 5. Par coordination, les articles 7 et 14 seraient aussi supprimés.
Cependant, l'amendement proposé par notre collègue Isabelle Debré me paraît très intéressant pour concilier l'objectif du Gouvernement d'éliminer les chiens les plus dangereux, que nous partageons, et la volonté de la commission d'adopter des dispositifs rapidement efficaces. Nous l'approuverons donc.
Dans un article additionnel après l'article 5, la commission des lois, en accord avec la commission des affaires économiques, a décidé d'imposer aux agents de surveillance et de gardiennage d'être titulaires de l'attestation d'aptitude. Le drame de Bobigny, où le chien affamé et maltraité d'un de ces agents a blessé mortellement un enfant en bas âge, a dramatiquement souligné la nécessité d'intervenir pour mieux encadrer les compétences de ces agents.
En pratique, cette formation se ferait aux frais de l'employeur et le fait d'employer un agent de surveillance ou de gardiennage dépourvu de l'attestation d'aptitude serait constitutif d'un délit. Il convient, en effet, de sensibiliser les employeurs sur les conditions de détention et de traitement des chiens de garde, les agents ne pouvant être les seuls responsables.
Je considère cet amendement comme une bonne base de discussion. Il pourra, bien sûr, être amélioré au cours de la navette.
L'article 6 imposerait un meilleur suivi à la fois des ventes de chiens par des professionnels et des cessions de chiens par des particuliers en exigeant un certificat vétérinaire lors de la livraison de l'animal.
Il précise que le certificat attesterait de la régularité de l'identification de l'animal, dresserait un bilan sanitaire et comporterait un ensemble de recommandations touchant aux modalités de sa garde dans les espaces publics et privés ainsi qu'aux règles de sécurité applicables à sa détention, compte tenu de ses caractéristiques.
Tout en constatant que cette intervention des vétérinaires en amont des ventes ou des cessions de chiens semble souhaitable et qu'ils sont prêts à jouer ce rôle de conseil, je constate que l'énumération des mentions du certificat vétérinaire ne relève pas du niveau de la loi. La commission proposera donc plutôt de définir les modalités de délivrance du certificat par décret.
L'article 12 prévoit une dérogation aux règles générales d'acquisition et de délivrance des médicaments vétérinaires en faveur des sociétés de protection des animaux appelés dispensaires, qui prodiguent gratuitement des soins aux animaux des personnes nécessiteuses.
En effet, à l'heure actuelle, ces établissements, qui salarient parfois un vétérinaire, doivent néanmoins passer par l'intermédiaire d'un pharmacien pour obtenir les médicaments dont ils ont besoin. Désormais, par arrêté interministériel, ils pourraient se voir reconnaître le droit d'acquérir et de délivrer seuls ces médicaments.
Cette disposition semble être de bon sens. Toutefois, les auditions nous ont permis de constater que les dispensaires ont une notion spéciale de la gratuité, sollicitant en pratique les dons ou demandant aux détenteurs des animaux de participer aux frais de l'établissement.
La commission propose donc un amendement de suppression de l'article 12, afin d'obtenir des éclaircissements du Gouvernement sur les pratiques de « dons tarifés » de ces établissements et d'attirer son attention sur la nécessité de renforcer leur contrôle afin d'éviter les abus. Je rappelle que si un don est effectué, un certificat doit être délivré afin d'obtenir une déduction fiscale à hauteur de 66 % du montant de ce don.
L'article 13 présente les dispositions transitoires nécessaires aux détenteurs de chiens de première ou de deuxième catégorie pour la mise en oeuvre de l'évaluation comportementale et de la formation à l'éducation canine. La commission des lois vous proposera d'allonger les délais prévus, afin de permettre une entrée en vigueur sereine de ces dispositifs.
Enfin, l'amendement n° 58 du Gouvernement prévoit que lorsqu'un homicide involontaire résulte de l'agression ou de l'attaque commise par un chien, il est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.
Cet amendement, annoncé par le Président de la République, me semble bienvenu ; son but est excellent, car si le code pénal punit déjà les délits commis volontairement avec des chiens alors considérés comme des armes, aucune disposition spécifique n'était prévue pour l'homicide involontaire.
Or, de plus en plus de cas se produisent : je rappelle que, depuis le début de l'été, au moins quatre personnes ont été victimes d'attaques mortelles de chiens en raison de la négligence de leurs maîtres. Il faut agir fermement pour responsabiliser ces derniers.
Je rappelle aussi que le droit en vigueur prévoit déjà que les conducteurs de véhicules ayant provoqué un homicide involontaire sont punis par des peines plus fortes que celles résultant du droit commun.
Ce renforcement des peines pour les propriétaires et les détenteurs irresponsables de chiens était très attendu par nos compatriotes. Les blessures provoquées par ces chiens seraient aussi punies de peines renforcées, tout comme celles qui sont causées par les conducteurs.
Tout en partageant les objectifs de ce dispositif qui manquait dans notre droit, je vous proposerai un sous-amendement de précision, qui devrait permettre de mieux l'insérer dans notre code pénal, les peines prévues étant alignées sur celles qui sont applicables aux conducteurs de véhicules auteurs d'un homicide involontaire ou de blessures.
Madame le ministre, la commission des lois partage votre volonté de mieux lutter contre le phénomène des chiens dangereux. C'est pourquoi, sous réserve de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d'adopter le projet de loi renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux.