La loi de 1999 négligeait, en effet, deux faits essentiels : d'abord, que tous les chiens sont potentiellement dangereux - plus ou moins, naturellement, en fonction de leur force et donc de leur poids - ; ensuite, que le mauvais maître, qu'il soit délinquant, agressif, inconscient ou tout simplement incompétent, fait presque toujours le mauvais chien, et jamais le contraire.
Mais cette position que le Sénat avait défendue n'a malheureusement pas été suivie, si bien que nous avons perdu près de dix années pour aborder ce problème comme il convient, en mettant l'accent sur la prévention, c'est-à-dire sur l'appréciation de la dangerosité potentielle de chaque chien, mais aussi de la compétence de son détenteur à avoir autorité sur lui.
Je le regrette, comme je déplore que, pendant cette décennie, à la différence de nombreux autres pays - la Suisse ou la Belgique, par exemple - nous n'ayons pas mené une véritable réflexion sur ce sujet, ce qui nous aurait évité de légiférer, une fois de plus, dans l'urgence, sous la pression des médias et de l'émotion publique.
Je dois cependant reconnaître, madame le ministre, que le texte que vous nous proposez aujourd'hui va incontestablement dans le bon sens et qu'il comporte, dans le domaine du « dépistage » des chiens dangereux et de la responsabilisation de leurs maîtres, des mesures positives et novatrices qui éviteront sûrement de nombreux accidents, à la condition expresse - et cela est très important - qu'elles soient bien mises en oeuvre.
C'est donc pour les soutenir, mais aussi avec le souci d'en renforcer l'efficacité, que la commission des affaires économiques a souhaité en être saisie pour avis. Je tiens, à ce propos, à me féliciter de l'excellent climat dans lequel nous avons travaillé avec la commission des lois, saisie au fond, et à en remercier son rapporteur, mon éminent collègue Jean-Patrick Courtois, qui a eu comme moi le souci d'aborder ce texte dans un esprit pragmatique, avec le seul objectif de l'efficacité.
C'était indispensable, car, vous le savez bien, madame le ministre, beaucoup, pour ne pas dire tout, reste à faire en termes de prévention des accidents canins.
Nous en convenons tous, me semble-t-il, la loi de 1999 a été un texte de police utile et efficace. Elle a, en effet, rapidement mis un terme à ce que j'appellerai le « phénomène pitbulls », c'est-à-dire l'utilisation de chiens choisis pour leur apparence inquiétante et rendus agressifs pour servir d'instruments d'intimidation, voire d'armes par destination.
Ce résultat positif est la conséquence des contrôles qui ont été autorisés par la nouvelle loi. Celle-ci a, en effet, permis de contrôler sur la voie publique les détenteurs de chiens qui pouvaient être de première et de deuxième catégorie. Ces contrôles ont été déterminants dans la lutte contre cette forme de délinquance dans certains quartiers difficiles, car ils ont le plus souvent permis de constater un large éventail d'infractions cumulables et ont manifestement découragé un grand nombre des propriétaires de ces chiens.
Comme de nombreux élus d'ailleurs, j'ai moi-même pu constater sur le terrain, à Mantes-la-Jolie, la quasi-disparition de ces formes de délinquance et du sentiment d'insécurité qu'elle suscitait, ce qui est un résultat, je peux vous l'assurer, inappréciable pour tous nos concitoyens qui vivent dans les quartiers concernés.
Mais si elle a été une loi de police efficace, la loi de 1999 n'a donné aucun résultat en termes de prévention des morsures canines. Le dispositif souffre, en effet, d'une erreur de conception originelle, car il est fondé sur la création artificielle de deux catégories de chiens présumés plus dangereux que d'autres, définies en fonction de critères scientifiquement infondés. En outre, les imperfections techniques du texte, qui s'est révélé à peu près inapplicable, n'ont rien arrangé.
Premier échec : on espérait responsabiliser les propriétaires et contrôler, grâce à la déclaration, tous ces chiens présumés dangereux. Or, comme souvent en pareil cas, on n'a responsabilisé que les gens déjà responsables, soucieux de respecter la loi. En revanche, la majorité des chiens réputés dangereux appartenant à des personnes qui n'étaient pas des citoyens modèles n'a jamais été déclarée.
C'est ainsi qu'on ne dénombrait, au 1er octobre 2006, que 17 000 déclarations pour la première catégorie et 117 000 pour la deuxième, chiffres sans commune mesure avec les populations réelles. Il est clair que la très grande majorité des propriétaires de chiens de première et de deuxième catégorie a tranquillement bravé la loi et échappé aux contrôles.
Mais, alors, la loi de 1999 a-t-elle au moins permis de réduire le nombre des chiens dits dangereux ? Actuellement, tout prouve le contraire : la fourchette haute des évaluations avancées lors de l'examen de la loi de 1999 était de 400 000 ; il y en aurait aujourd'hui 680 000, dont 270 000 de première catégorie.
On a, par ailleurs, constaté une augmentation importante du nombre des chiens de deuxième catégorie et des races proches des chiens classés. En effet, certains de nos compatriotes trouvent rassurant, voire valorisant, de posséder un chien que je qualifierai de « méchant par détermination de la loi ». La classification, loin d'être dissuasive, s'est donc, dans ces cas-là, révélée attractive. Elle est considérée comme une marque, un véritable label de qualité, ainsi qu'en témoigne, madame le ministre, la mode de certains chiens de deuxième catégorie, comme les rottweillers.
Quant à ceux qui ont voulu échapper légalement aux contraintes liées aux chiens classés, ils ont constitué une nouvelle clientèle pour des chiens qu'on ne voyait pas auparavant et qui sont tout aussi dangereux, voire plus, mais qui ne sont pas classés en France : le dogue argentin, le cane corso, les mastiffs et bien d'autres. Cela démontre une fois de plus l'inanité des deux catégories créées par la loi de 1999 !
S'agissant de l'extinction programmée par cette même loi des chiens de première catégorie, la commission y voyait, dans son rapport, une utopie et elle avait évidemment raison. J'y reviendrai tout à l'heure.
Enfin, si l'on n'a guère responsabilisé les propriétaires de chiens dits dangereux, on a en revanche largement déresponsabilisé beaucoup d'autres, qui sont pourtant d'excellents citoyens, en les confortant dans l'idée, évidemment absurde, qu'un berger allemand, un dogue, un doberman, un labrador ou un golden retriever ne sont pas dangereux puisque la loi ne les définit pas comme tels !
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, je reste toujours persuadé - les faits nous donnent raison chaque jour -, comme tous les spécialistes canins, unanimes, que la catégorisation a été une ineptie totale. Pour autant, en tant que responsable politique et élu local, je suis bien conscient qu'il est impossible d'y renoncer, ne serait-ce que parce qu'un tel revirement serait totalement incompris du grand public et, surtout, pourrait être interprété, par une certaine population de quelques quartiers, comme le signal d'un retour possible à des pratiques inacceptables.
Il est aujourd'hui nécessaire et impératif, comme je le disais en 1998, de prendre enfin le problème par « le bon bout de la laisse », en se fondant sur des évidences qui sont, hélas ! encore trop méconnues.
Il faut non pas tout bâtir sur l'idée fausse qu'est la catégorisation mais, au contraire, apprendre à chacun que tout chien peut être dangereux, qu'un chien réputé paisible peut devenir agressif et que cette agressivité dépend presque toujours de multiples facteurs, qu'il faut connaître pour la prévenir et ainsi éviter des accidents dramatiques semblables à ceux auxquels nous avons assisté.
Le projet de loi que vous nous présentez, madame le ministre, a l'immense mérite d'aller dans ce sens, en mettant l'accent sur l'évaluation comportementale des chiens, ainsi que sur la responsabilisation et la formation de leurs détenteurs.
L'évaluation comportementale, qui doit - j'insiste sur ce point - porter à la fois sur l'animal et sur ses relations avec son maître, est fondamentale, car elle permet le dépistage de tous les chiens à risque. Elle deviendrait obligatoire pour tous les chiens de première et de deuxième catégorie, ainsi que pour les chiens mordeurs. Ces évaluations systématiques s'ajouteraient à la possibilité, déjà donnée au maire par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, de demander l'évaluation comportementale de tout chien présentant un danger.
Pour donner à ce dispositif l'efficacité indispensable, nous vous proposerons d'étendre cette évaluation comportementale à tous les chiens non classés, mais que leur poids rend potentiellement plus dangereux que d'autres, et très souvent plus dangereux que les chiens classés, comme le prouve l'examen des accidents dus aux agressions canines.
Nous vous proposerons également, conjointement avec la commission des lois, d'imposer que les résultats de ces évaluations soient transmis par les évaluateurs à l'autorité de police qui sera compétente pour prendre, le cas échéant, les mesures qui s'imposeraient - formation et attestation d'aptitude.
Cette proposition est au coeur de notre réflexion sur la prévention et la réduction des agressions canines : il est, en effet, très important que le dispositif d'évaluation prévu par le projet de loi, qui nous semble très pertinent dans son principe, soit imposé aux chiens responsables de plus de 50 % des accidents graves. Ne pas la mettre en oeuvre, mes chers collègues, serait une véritable faute et nul doute que nous en serions tenus pour responsables au prochain accident grave.
En effet, dès lors qu'il est unanimement reconnu par tous les spécialistes canins que le potentiel de dangerosité d'un chien réside d'abord dans sa force, et donc dans son poids, il est impératif de soumettre à l'évaluation comportementale tous les chiens que leur poids désigne, par nature, comme étant des animaux susceptibles d'infliger de lourdes, voire de fatales blessures en cas d'agression.
Cette proposition est d'autant plus pertinente que cette évaluation comportementale sera, dans la quasi-totalité des cas, une procédure très légère et très peu coûteuse pour les propriétaires de ces animaux, puisqu'elle pourra être effectuée lors d'une simple consultation vétérinaire.
N'oublions pas, monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, que sur les trente-quatre accidents mortels recensés depuis 1989, dix-sept, soit 50 %, ont été provoqués par des bergers allemands ou belges, contre neuf, soit 25 %, par des chiens classés, dont presque exclusivement des chiens de deuxième catégorie.
Dans le même ordre d'idée, nos voisins suisses, très en flèche en matière de législation, de réglementation, de suivi et de prévention des agressions canines, ont constaté que les chiens classés dangereux, selon un principe similaire au nôtre, peut-être un peu plus large, ne sont responsables que de 12 % des accidents, alors que 88 % de ces derniers sont dus à des chiens non classés.
Bien évidemment, les accidents les plus graves sont le fait non pas de chihuahuas ou de yorkshires, comme l'a rappelé Mme le ministre, mais de chiens que nous connaissons tous : bergers allemands, bergers belges, labradors, golden retrievers, bouviers suisses, pour ne citer que les premiers responsables de morsures. La caractéristique commune à tous ces chiens est qu'ils disposent de cet évident potentiel de dangerosité que constitue la force liée à leur poids.
Alors, quel poids retenir pour faire diminuer drastiquement le nombre d'accidents mortels ? Je vous propose que ce seuil soit fixé par arrêté, ce qui permettrait d'appliquer progressivement cette mesure, en commençant, par exemple, par tous les chiens de plus de quarante kilos, puis en l'étendant ensuite à ceux de plus de trente kilos, voire moins encore, si cela s'avère nécessaire.
Bien entendu, madame le ministre, ces chiffres ne sont qu'indicatifs ; ils ne visent qu'à étayer ma démonstration. Laissons aux éminents spécialistes canins le soin de les définir.
Quels que soient les seuils retenus, il est utile de préciser que le nombre de chiens concernés, même s'il était élevé, n'impliquerait pas de lourdes contraintes de mise en oeuvre, puisque cette mesure, je le répète, serait très légère. Elle pourrait s'inscrire dans le cadre du suivi vétérinaire normal des chiens concernés, sans nécessiter de consultation supplémentaire.
Ainsi, la mesure prévue par le texte qui nous est soumis serait-elle progressivement et simplement étendue. C'est sur cette logique que sont fondés les amendements que je soumettrai, mes chers collègues, à votre approbation.
En ce qui concerne la formation des détenteurs de chiens - sujet également fondamental, sur lequel tout reste à faire -, le projet de loi prévoit un dispositif à trois étages.
D'abord, tous les détenteurs de chiens de première et de deuxième catégorie devront subir une formation et être titulaires d'une attestation de capacité.
Ensuite, tous les détenteurs de chiens mordeurs devront suivre la formation, mais sans avoir à obtenir obligatoirement l'attestation d'aptitude.
Enfin, le maire pourra imposer cette formation, au cas par cas.
En ce qui concerne les chiens mordeurs, c'est, à notre sens, le résultat de l'évaluation qui permettra de décider si une formation sera ou non nécessaire. Nous vous proposerons donc d'alléger le dispositif en modifiant en ce sens la rédaction de certains articles.
En revanche, il nous semble qu'il faut aussi pouvoir imposer à tout propriétaire de chien d'obtenir l'attestation de capacité si l'évaluation révèle que son chien est susceptible de présenter un réel danger, car il est alors indispensable qu'il soit confié à la garde d'une personne offrant certaines garanties.
Comme l'a indiqué. le rapporteur de la commission des lois, nous vous proposerons ensemble un amendement imposant à tous les personnels de surveillance ou de gardiennage utilisant des chiens, classés ou non, d'être titulaires de l'attestation de capacité, le respect de cette obligation étant à la charge de leur employeur et engageant leur responsabilité.
Ce dispositif ne résoudra pas, nous en sommes parfaitement conscients, tous les problèmes liés à l'utilisation de chiens par des agents privés de sécurité, mais il nous a paru indispensable de soulever cette question et d'essayer d'y apporter dès à présent un début de réponse en termes pragmatiques.
Nous espérons aussi, madame le ministre, que vous pourrez dès aujourd'hui nous apporter quelques informations sur le contenu de la formation, sa durée, son coût, sur les conditions d'obtention de l'attestation, ainsi que sur les personnes qui auront compétence pour dispenser la formation et délivrer l'attestation.
Pour notre part, il nous paraît important que cette formation intègre une information, même sommaire, sur le comportement canin, dont l'ignorance est à l'origine de nombreuses erreurs ou carences éducatives et, par voie de conséquence, d'un grand nombre d'accidents.
J'en viens maintenant à une disposition qui, vous le savez, madame le ministre - mon collègue Jean-Patrick Courtois l'a rappelé -, n'emporte pas plus l'adhésion de la commission des affaires économiques que celle de la commission des lois. Je veux parler de l'interdiction de détenir des chiens de première catégorie nés après le 7 janvier 2000, c'est-à-dire après la date à compter de laquelle leur stérilisation était obligatoire.
En 1999, le législateur avait pensé, bien que nous l'ayons averti, pouvoir assurer l'extinction de ces animaux en se fondant à la fois sur l'interdiction des entrées sur le territoire et sur l'impossibilité de reproduction de la population y étant présente, parce qu'elle devait être stérilisée.
C'était méconnaître, et vous l'avez tous rappelé, que la production des chiens de première catégorie résulte, le plus souvent, de la reproduction de chiens de deuxième catégorie qui ne sont pas confirmés ou de chiens n'appartenant à aucune catégorie. Ainsi, le produit non confirmé de deux staffordshires terriers ou de deux rottweillers sera un chien de première catégorie, tout comme celui de la rencontre, un beau soir de printemps, dans un champ de coquelicots, de deux chiens non classés, s'il répond aux critères morphologiques retenus par l'arrêté du 27 avril 1999.
Vous le voyez, mes chers collègues, même si tous les chiens de première catégorie avaient été stérilisés avant le 7 janvier 2000, ce qui est très loin d'être le cas, il est parfaitement impossible d'empêcher la production de chiens de première catégorie, sauf à vouloir éradiquer un grand nombre de races de chiens, dont certaines nous sont particulièrement sympathiques en raison de leur gentillesse et de leur utilité pour l'homme, comme le beagle, qui est utilisé dans de très nombreux laboratoires.
Il nous paraît donc impossible d'interdire la détention de chiens de première catégorie nés depuis le 7 janvier 2000 par des propriétaires n'ayant jamais violé la loi et ignorant d'ailleurs très souvent - M. le rapporteur le soulignait à l'instant - posséder un tel animal. Je le précise, dans de nombreux cas, on ne peut déterminer avec certitude l'appartenance d'un chien à la première catégorie qu'une fois que celui-ci a atteint l'âge adulte.
Dans ces conditions, je vois mal quiconque aller annoncer à une famille propriétaire d'un chien depuis six ou huit mois - les chiens qui sont achetés ont entre deux et trois mois -, un animal parfaitement intégré dans son milieu et n'ayant jamais posé le moindre problème, qu'il faut aujourd'hui l'euthanasier, car on vient de s'apercevoir qu'il appartenait à la première catégorie !
Pour autant, madame le ministre, si nous ne sommes pas favorables au dispositif qui est envisagé dans le projet de loi, la proposition de nos collègues Isabelle Debré et Alain Milon va, me semble-t-il, dans le bon sens.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, j'aimerais conclure en vous apportant deux précisions. D'une part, la commission des affaires économiques a adopté à l'unanimité les amendements qu'elle m'a chargé de vous présenter. D'autre part, c'est également à l'unanimité qu'elle a émis, sous réserve de l'adoption de ses amendements, un avis favorable sur le présent projet de loi.