Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le sujet dont nous devons débattre aujourd'hui est complexe, et sa gravité n'aura échappé à personne. Les blessures ou les décès par morsure révulsent chacun d'entre nous. De trop nombreuses personnes ont été et sont victimes de chiens. Ces comportements agressifs et anormaux de nos animaux de compagnie ont causé des morts et, malheureusement, la majorité de ces victimes sont des enfants.
Ma pensée va tout d'abord à ces victimes et à leurs familles. Au moment où nous légiférons, nous nous devons de ne pas les oublier. C'est pour elles que nous travaillons ce soir, cette nuit.
Bien légiférer aujourd'hui, au nom des victimes d'hier, c'est agir intelligemment pour éviter des victimes demain.
Bien légiférer, c'est aussi accepter de traiter la question des chiens dits dangereux dans toute sa complexité.
Bien légiférer, c'est encore appréhender cette situation avec sérieux, pondération et objectivité. C'est, par conséquent, éviter d'agir sous le coup d'une émotion surmédiatisée et dans la précipitation. Nous devons bien légiférer par respect tant des victimes de morsures de chien que de l'ensemble de la société.
En effet, le chien est un fait sociétal en lui-même. Depuis sa domestication, donc depuis des siècles, il accompagne l'homme. La présence du chien et la diversité des races sélectionnées ont marqué nos campagnes, nos villages et nos villes, au gré des besoins et des modes, nous faisant oublier qu'il descend du Canis lupus, c'est-à-dire du loup. Selon les études de l'INSEE ou de la Chambre syndicale des fabricants d'aliments préparés pour les chiens, les chats, les oiseaux et autres animaux familiers, la FACCO, nous comptons en France entre 8, 08 millions et 9 millions de chiens ; 25 % des foyers français en possèdent au moins un. Notre pays se situe en tête des pays européens et au deuxième rang mondial en termes de possession de chiens.
Le phénomène sociétal qu'est le chien de compagnie concerne en réalité tous les Français, notamment les plus fragiles et les plus vulnérables d'entre eux : les enfants. En effet, selon l'INSEE, 44, 5 % des foyers ayant des enfants de moins de six ans possèdent un chien. Le taux est de 33, 33 % pour les foyers ayant des enfants entre trois et six ans et encore de 29 % pour ceux qui ont des enfants de moins de six mois.
Manifestement, les gouvernements successifs n'ont pas saisi les enjeux liés à la présente situation. Le cadre juridique actuel, loin de marquer la « rupture » attendue, continue de reposer principalement sur la loi du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux. Pourtant, ce régime juridique manifestement obsolète est marqué par des lacunes, voire des incohérences auxquelles les quelques avancées du présent projet de loi ne parviennent pas à remédier, comme cela serait pourtant nécessaire.
En premier lieu, je tiens à faire remarquer que c'est l'absence totale de données nationales centralisées et de standards d'évaluation des comportements agressifs anormaux canins qui frappe le parlementaire qui tente de légiférer en connaissance et en conscience. Alors que le sujet est extrêmement complexe, et tandis que les responsables politiques proclament l'importance de la prise en compte de la douleur des victimes, il n'existe toujours pas d'organisme centralisant au niveau national les cas de morsure constatés sur l'ensemble du territoire et permettant d'élaborer des standards scientifiques objectifs d'analyse et d'évaluation des morsures et autres comportements agressifs anormaux de chiens.
En préparant ce projet de loi, j'ai été amené à entrer en contact avec l'ensemble des praticiens et des professionnels intervenant dans le domaine cynophile. Qu'il s'agisse des vétérinaires, des vétérinaires comportementalistes, des comportementalistes non vétérinaires, des éducateurs canins, des membres de clubs de races ou encore des scientifiques, comme des éthologistes et des sociologues, tous ont souligné l'urgente nécessité d'instaurer un tel organisme à l'échelon national.
Tous les pays qui ont fait baisser de manière significative leur taux de morsures, plus particulièrement la Suisse, l'Autriche et le Canada, ont non seulement mis en oeuvre une réelle politique de prévention fondée sur la sensibilisation et la formation, mais aussi, et d'abord, instauré de tels organismes de centralisation des données, de recherche et d'homogénéisation des critères d'évaluation des accidents.
Voilà pourquoi la première proposition que je présenterai, au nom des Verts et du groupe socialiste, vise à instaurer, sous la tutelle des ministères de l'intérieur et de l'agriculture, un observatoire national du comportement canin. Cette proposition constructive et de bon sens recueillera, je l'espère, l'agrément de notre auguste assemblée.
Le deuxième problème posé par le présent projet de loi tient à l'absence de « rupture » avec l'esprit de la loi du 6 janvier 1999. Ce texte perpétue en effet la logique de la catégorisation des chiens dits dangereux, qui est, au mieux, inefficace, au pire, contre-productive.
Cette logique est inefficace, parce que la fameuse catégorisation 1 et 2, qui ne concerne en définitive que 1 % environ de la population canine, n'a évidemment pas pu, comme nous l'avons tristement constaté, empêcher la répétition d'événements tragiques.
Un type particulier de chien, le type molossoïde, était visé. Or ces chiens, qui possèdent des caractéristiques physiques impressionnantes, liées notamment à leur poids, ont été victimes du comportement irresponsable d'un nombre extrêmement restreint de détenteurs ou de propriétaires.
À cause de quelques animaux appartenant à des propriétaires irresponsables, la mise à l'index de tous ces chiens n'a fait qu'accroître leur stigmatisation.
Pourtant, les chiffres existants montrent que les principales races de chiens à l'origine de morsures graves ne sont ni les pitbulls, ni les amstaffs, ni les autres molossoïdes. Ainsi, en France, depuis 1984, 80 % des morsures mortelles sont le fait de chiens n'appartenant pas aux première et deuxième catégories. En Allemagne, sur les quarante dernières années, 94 % des agressions mortelles sont le fait de races ou de types non catégorisés comme « dangereux ».
Les principaux chiens à l'origine de morsures répertoriées, ou plutôt mal répertoriées, sont, bien au contraire, ceux qui sont réputés, dans notre imaginaire, parés de toutes les vertus : fidèles, aimant les personnes, et plus particulièrement les enfants. Il s'agit notamment des bergers allemands et des labradors. Je souligne d'ailleurs que ces chiens continuent d'échapper à la caractérisation génétique inscrite dans le présent projet de loi.
Il convient également d'ajouter à ces deux races ou ces deux types la cohorte des chiens sans race, dits « bâtards », qui sont extrêmement nombreux en France.
Toutes les études scientifiques le démontrent clairement, il n'existe aucun lien significatif entre dangerosité, agressivité et race, qu'il s'agisse de nos adorés labradors ou des redoutés rottweilers, pitbulls ou amstaffs.
Que ce soit l'Office vétérinaire fédéral suisse, le professeur Iren Stur de l'Institut für Tierschutz und Genetik Veterinärmedizinische Universität de Vienne, des vétérinaires comme Valérie Bordas, Rudy de Meester ou Claude Beata de l'association Zoopsy, ou des comportementalistes pour chiens comme Laurence Bruder-Sergent, présidente de l'association Chiens d'aujourd'hui et de demain, tous les experts réfutent unanimement la vision erronée, certes intellectuellement rassurante, qui lie a priori la dangerosité du chien à sa race.
Comme dans d'autres domaines, madame le ministre, ce n'est pas la génétique qui fait de certains chiens de dangereux déviants qu'il suffirait de dépister, d'encadrer et, le cas échéant, d'éradiquer. Ce qui est en cause, c'est le milieu et les conditions dans lesquelles ces animaux ont grandi depuis leur naissance, puis ont été éduqués ; c'est le manque des connaissances les plus élémentaires des maîtres, voire leur irresponsabilité ; c'est enfin la méconnaissance de la majorité de la population française de ce qu'est un chien.
Et si ce sont les bergers allemands et les labradors qui occupent la première place dans les statistiques relatives aux morsures de chien, c'est tout simplement parce qu'ils sont les plus nombreux sur le territoire.
Le berger allemand est la race la plus populaire en France, puisque 3, 6 % des foyers possesseurs de chiens en ont un. On trouve également d'autres races de bergers, comme les malinois, dans 3, 4 % des foyers possesseurs de chiens. Ainsi, près de 7 % des chiens sont de race berger. Quant aux labradors, ils sont présents dans 6, 9 % des foyers possesseurs.
Pour clore sur ce sujet, je citerai un rapport de l'Office vétérinaire fédéral suisse répertoriant les cas de morsures constatés dans ce pays entre le 1er septembre et le 31 décembre 2006. Au cours de ces quatre mois, 1 003 cas de morsures sur humains, qui impliquaient 200 types de chiens différents, ont été recensés. Cette diversité montre, s'il en était encore besoin, que le potentiel de morsures et d'agressivité n'est pas en corrélation avec une race ou un type de chiens.
Mais il y a encore plus grave : la caractérisation génétique sur laquelle continue de reposer le présent projet de loi risque de susciter les mêmes effets contre-productifs.
Tout d'abord, comme ce fut le cas en 1999, les cas d'abandon de chiens de première et deuxième catégorie se multiplient. Les fourrières et les refuges sont confrontés à une vague d'abandons qui peut se transformer en péril sanitaire et sécuritaire.
De plus, la répression étant privilégiée par rapport à la prévention, de nombreux praticiens du domaine cynophile font remarquer que la majeure partie des propriétaires de chiens de type molossoïde commencent à prendre des mesures radicales : ils promènent leur chien à des heures où ils espèrent rencontrer peu de monde, voire personne, dans la rue ; ils les enchaînent ou les enferment de plus en plus souvent, ce qui a pour conséquence de désocialiser plus encore ces animaux. Or nombre de morsures sont dues à des chiens rendus asociaux, tout simplement parce qu'ils ont été trop isolés du monde.
L'un des autres dangers du régime juridique existant, outre qu'il stigmatise un type ou certains types de chiens en tant que chiens dangereux, est surtout qu'il laisse s'installer dans l'esprit des propriétaires ou détenteurs l'idée qu'il existerait des chiens gentils par nature, qui nécessiteraient, par conséquent, une vigilance ou une sensibilisation moindres.
Permettez-moi d'insister : tous les chiffres montrent que les chiens peuvent tous se comporter de façon anormalement agressive, quelle que soit leur race.
La troisième lacune de ce projet de loi réside dans le fait qu'il n'appréhende pas l'ensemble de la chaîne de responsabilités et d'interactions dans la vie du chien. Il se limite aux seuls propriétaires et détenteurs. Or c'est sur tous ceux qui interagissent de façon sensible avec le chien qu'il convient de se pencher.
On ne peut se concentrer sur le détenteur et le propriétaire et ne pas s'intéresser à l'éleveur et aux conditions de naissance et d'élevage, moments essentiels dans la vie du chien, dans l'apprentissage de la socialisation et, surtout, de l'inhibition de la morsure.
Il convient également de se pencher sur les acheteurs et les revendeurs, notamment les propriétaires d'animaleries, qui devraient être les premiers sur le front de la prise de conscience par chaque citoyen des responsabilités qui incombent aux possesseurs ou aux détenteurs d'un chien.
Il faut surtout donner toute leur place aux praticiens exerçant dans le domaine cynophile : les vétérinaires, les vétérinaires comportementalistes, les comportementalistes non vétérinaires, les éducateurs canins et les intervenants dans les clubs de race.
Je relève que nos modes de vie ont profondément évolué, et avec eux ceux de nos animaux de compagnie. Ainsi, 39 % des chiens vivent en milieu rural, alors qu'ils se trouvent en nombre toujours croissant dans les villes, puisque 42 % des foyers possesseurs de chiens sont installés dans des agglomérations de plus de 20 000 habitants.
Malgré tout, rien n'a été fait et encore moins pensé concernant la place du chien dans nos sociétés urbaines avancées, au sein desquelles nos comportements, nos manières de vivre ensemble, ont également changé en profondeur.
Aujourd'hui, dans une société conjuguant paradoxalement violence et cocooning, cohabitent molosses agressifs à vocation d'intimidation et « animaux-jouets », qui, pour certains, sont des succédanés d'enfants-objets. Comment s'étonner des accidents si des précautions élémentaires, en particulier comportementales, ne sont pas prises et généralisées ?
Ainsi, c'est une chose d'avoir des chiens à la campagne, où ils disposent d'énormément d'espace et où la distance entre deux voisins peut être très importante, mais c'est tout autre chose de détenir un chien dans une HLM, où la promiscuité est de mise entre voisins.
Il me paraît également important de rappeler que notre noyau familial a changé. De plus en plus de familles françaises sont recomposées et les enfants, qui peuvent être de passage au domicile de l'un des parents ou de son compagnon, sont ainsi en contact inhabituel avec un chien.
Voilà pourquoi, madame le ministre, nous fondons notre seconde série de propositions non seulement sur l'action préventive de masse et sur la formation des maîtres, mais aussi sur la sensibilisation du grand public, et plus particulièrement des enfants, afin d'agir avant la morsure ou tout autre type de comportement agressif anormal canin.
Toujours en ce qui concerne les morsures, le présent projet de loi est incomplet : le risque d'ineffectivité de la déclaration de morsure est patent, dans la mesure où 80 % des accidents se déroulent en famille, dans la sphère privée : combien de maîtres iront se signaler en mairie pour dénoncer leur propre chien après la morsure d'un membre de leur famille ?
Enfin, l'augmentation du quantum de la peine en cas d'homicide paraît parfaitement inefficace, voire franchement contre-productive, pour les raisons déjà évoquées et relatives à la caractérisation génétique. La Grande-Bretagne, dont le Dangerous Dogs Act a inspiré le législateur en 1999, ainsi que, plus généralement, les pays qui ont mis en oeuvre une politique unilatérale fondée sur la répression, ont tous échoué dans les faits.
Au contraire, les pays qui ont su développer une politique volontariste de prévention et de sensibilisation tout au long de la chaîne d'interactions avec le chien, ont, eux, réussi à faire reculer spectaculairement la fréquence des morsures.
Permettez-moi de donner quelques exemples.
Aux États-Unis, la ville de Baltimore a instauré, entre autres, des mesures en matière de déclaration obligatoire des morsures et a mis en oeuvre de groupes de travail composés de spécialistes pour élaborer des recommandations et conduire des campagnes d'éducation et d'information. Alors qu'il allait croissant, le nombre de morsures a été brutalement réduit de 30 % en cinq ans.
Au Canada, la ville de Calgary emploie trois éducateurs canins professionnels à temps plein, qui organisent des journées d'information et de formation à destination des propriétaires de chiens. Alors que la population canine a doublé entre 1985 et 2003, les cas de morsures ont été divisés par quatre.
En Australie, l'université de Sydney a réalisé en 2000 une étude relative à la prévention des morsures de chiens à destination des enfants de sept à huit ans, à qui il a été expliqué comment reconnaître le comportement d'un chien : est-il amical ou agressif ? Comment doit-on se comporter ? Comment peut-on l'approcher ? Faut-il, par exemple, demander la permission à son maître ?
L'étude a démontré que 80 % des enfants qui n'avaient pas suivi cette formation préventive avaient spontanément un comportement tout à fait inadapté avec le chien : ils étaient souvent dans le registre de la provocation. En revanche, seuls 9 % des enfants ayant suivi la formation se comportaient ainsi.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous appelons à des campagnes de formation et de sensibilisation nationales, à l'instar de ce qui prévaut pour des actions aussi sensibles que la diminution des accidents mortels sur la route, la réduction des risques dans l'usage de drogues ou la prévention des maladies cancéreuses.
Chacun l'aura compris, si l'on veut obtenir quelques résultats en matière de morsures de chiens, la prévention et la sensibilisation doivent être, enfin, généralisées et élargies, pour toucher un public allant bien au-delà des propriétaires de chiens des première et deuxième catégories, qui sont stigmatisées.
Or ce projet de loi ne permet aucune avancée en ce sens. Pire, pour des raisons qui n'ont rigoureusement rien à voir avec la réalité scientifique du sujet que nous avons à traiter, le Président de la République a préféré durcir encore le volet strictement répressif, qui, à l'instar d'autres mesures pénales de ce type, n'empêchera malheureusement pas de nouveaux drames de se produire, notamment dans le cadre familial, là où précisément surviennent la majorité des accidents.
Nous avons l'occasion d'élaborer une grande loi sur le chien et l'animal de compagnie. J'en appelle au Gouvernement et aux membres de la Haute Assemblée. Madame le ministre, mes chers collègues, faisons preuve de l'esprit de « rupture » qui s'impose. Refusons de sombrer dans l'émotionnel, n'agissons pas dans la précipitation et adoptons un projet de loi qui permette de protéger vraiment nos enfants et nos familles des accidents par morsures. Or cette protection efficace ne saurait reposer sur la recherche de chiens victimes émissaires, car génétiquement stigmatisés !