Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au regard de son caractère global et impératif, la proposition de loi tendant à généraliser l’assurance récolte obligatoire, déposée par nos collègues Yvon Collin et Jean-Michel Baylet, appelle un certain nombre d’observations.
En posant le principe de l’obligation de l’assurance récolte sans envisager la question de son financement, de ses modalités de mise en œuvre et de son inscription dans le cadre communautaire et international, le texte soulève beaucoup d’interrogations sans y apporter de réponses.
Mais c’est également là sa principale qualité, car elle suscite ainsi, dans notre assemblée, un débat – d’ailleurs nécessaire – sur la prise en compte des difficultés chroniques auxquelles doivent faire face les agriculteurs, les éleveurs, les maraîchers, les arboriculteurs, les viticulteurs, bref, le monde paysan dans sa globalité.
En effet, leur protection contre les aléas climatiques, sanitaires et économiques n’est pas assurée de manière satisfaisante et semble assez disparate, voire inexistante, selon les filières concernées.
Il existe plusieurs produits d’assurance sur le marché contre la grêle, contre le gel ou encore contre plusieurs risques combinés, avec le soutien de l’État et, souvent, des collectivités locales. Malgré ses imperfections, le Fonds national de garantie des calamités agricoles reste un mécanisme nécessaire dans bien des situations de crise. Cependant, si l’assurance récolte a progressé grâce à l’adoption de la loi du 5 janvier 2006 d’orientation agricole, c’est surtout en direction des grandes cultures.
À ce titre, selon les indications fournies par le rapport de la commission, le taux de prise en charge de la prime d’assurance par le Fonds national de garantie des calamités agricoles a été le même pour toutes les cultures de 2005 à 2008. Compte tenu de la disparité des revenus et des risques entre les cultures, on peut s’interroger sur le bien-fondé d’une telle décision. C’est pourquoi il est heureux que, pour 2009, soit prévu un taux différencié favorisant les cultures les plus exposées.
Avant d’entrer dans le détail des difficultés posées par l’assurance récolte, dont le constat semble être largement partagé, j’aimerais soulever le problème du revenu des agriculteurs et, à travers lui, évoquer la notion d’« assurance revenu ».
La question de l’assurance récolte ne peut être déconnectée de la question de la garantie des prix aux agriculteurs. Il serait nécessaire de réfléchir à la mise en place d’un mécanisme assurant les volumes produits, peut-être même les prix, afin de tendre vers une régularisation des revenus.
Si le revenu net par actif de l’ensemble de la branche agriculture a augmenté entre 2006 et 2007, ce résultat positif est essentiellement dû à la forte progression de la valeur de la production agricole, qui s’explique à 85 % par les céréales oléagineuses et protéagineuses, dont le prix avait augmenté de 51 % par rapport à 2006. Cette augmentation a notamment entraîné une forte hausse du coût de production de l’alimentation animale, ce qui a mis en difficulté nombre d’éleveurs, parfois déjà affaiblis par des crises sanitaires.
Il faut noter de fortes disparités dans les revenus non seulement entre les grandes cultures susmentionnées et l’élevage, mais également entre celles-là et les autres productions végétales. Or ce sont également ces grandes cultures qui sont le mieux assurées.
Vous le voyez, on ne peut pas traiter la question assurantielle sans prendre en compte les difficultés économiques de bon nombre d’exploitations. Si certains agriculteurs ne s’assurent pas, c’est tout simplement qu’ils n’en ont pas les moyens !
C’est pourquoi, selon nous, il devient urgent que les sénateurs se saisissent de la question d’un prix rémunérateur des produits agricoles dans le cadre de la réflexion sur l’assurance récolte.
Nous le sentons bien, le véritable obstacle à la proposition de loi déposée par nos collègues réside dans l’engagement financier de l’État. En effet, un soutien budgétaire beaucoup plus important que celui qui est prévu aujourd'hui serait nécessaire si l’assurance récolte devenait obligatoire.
Ainsi, les 32 millions d’euros qui sont mobilisés aujourd'hui seraient à multiplier par dix. L’Espagne, pays cité en exemple, a consacré 280 millions d’euros au financement de son dispositif assurantiel.
Dans le contexte actuel de crise économique et financière, alors que le Gouvernement a vidé les caisses de l’État au profit des ménages les plus aisés, alors que le sous-engagement financier de l’État s’accompagne d’une sous-dotation du Fonds national de garantie des calamités agricoles, il serait illusoire de croire que la puissance publique est disposée à engager les sommes nécessaires à la viabilité du système d’assurance obligatoire.
De plus, les décisions relatives au soutien financier d’origine communautaire et à la compatibilité du soutien interne des États membres, c’est-à-dire à la participation aux primes d’assurance, n’ayant pas encore été définitivement prises, il nous semble opportun de ne pas imposer aux agriculteurs des obligations qui les mettraient en difficulté financière.
Lors des débats en commission, M. le rapporteur a souligné que, si certains agriculteurs ne s’assurent pas aujourd’hui, c’est en raison de l’absence d’un produit assurantiel adapté à leurs besoins. Nous partageons cette idée. Avant de rendre l’assurance obligatoire, peut-être serait-il intéressant de réfléchir sur ses modalités et d’envisager des solutions par filières.
La question de la concurrence entre les assureurs se pose également. Comme le notait déjà le rapport de Dominique Mortemousque, deux assureurs proposent des contrats d’assurances multirisques : Groupama, qui détenait, en 2005, les neuf dixièmes des contrats, et Pacifica, filiale du Crédit agricole. Selon le même rapport, si la bonne diffusion de l’assurance récolte pour les grandes cultures peut s’expliquer en partie par la bonne concurrence entre les deux opérateurs, cet élément ne sera certainement pas durable, a fortiori dans un système d’assurance obligatoire.
Il ne faudrait pas non plus sous-estimer le risque que les assureurs profitent de la subvention publique pour augmenter leurs primes, autrement dit que des tarifs prohibitifs consomment l’aide.
Enfin, la présente proposition de loi reste muette quant à la mutualisation puisqu’elle renvoie pour l’essentiel à un décret, et le rapport n’envisage la question qu’en quelques lignes, au travers du principe de l’extension progressive de l’assiette des cotisants.
Il est essentiel de déterminer quel niveau de mutualisation nous voulons dans le cadre d’un système d’assurance récolte obligatoire.
Si nous ne sommes pas catégoriquement opposés au principe d’une assurance obligatoire, nous estimons que sa mise en œuvre est quelque peu prématurée.
À l’heure de la réforme de la politique agricole commune, la présidence française n’a pas su proposer de mesures fortes pour défendre les cultures les plus fragiles et assurer un revenu décent aux agriculteurs. Les politiques européennes de suppression des quotas, de réforme des aides à la production vont dans le sens d’une déstabilisation des revenus et renforcent les inégalités au sein du monde agricole.
Nous considérons donc qu’il convient d’approfondir cette réflexion en prenant en compte un traitement assurantiel par filière, un haut niveau de mutualisation des risques, une participation substantielle de l’État et de l’Union européenne, sans oublier des prix rémunérateurs, une régulation des volumes de production et des marges de la grande distribution.
Or, si j’ai bien compris, notamment à la lecture du rapport de Dominique Mortemousque, ce qui se prépare, c’est le désengagement total de l'État dans ce domaine et son abandon aux appétits des assurances privées.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen s’abstiendra sur cette proposition de loi.